Ecrit par Lamiae Boumahrou I
Le ministre de la Santé a récemment déclaré mettre fin aux subventions d’investissement accordées au secteur privé de la santé. Des subventions que les acteurs majeurs du secteur affirment ne pas touchées. Alors le ministre cherche-t-il à créer un faux débat alors que le vrai problème est la défaillance du secteur public de la santé ?
Les dernières déclarations du Ministre de la Santé au sujet de la suppression des subventions d’investissement accordées au secteur privé de la santé (cliniques privées) n’ont fait qu’attiser la controverse. En formulant une décision aussi vague, sans préciser ni les montants concernés ni l’identité des bénéficiaires, le ministre semble avoir cherché à détourner l’attention, en imputant une part de responsabilité dans la crise actuelle au secteur privé. Une tentative qui, de toute évidence, s’est retournée contre lui.
La réaction des principaux acteurs de la santé du secteur privé ne s’est pas faite attendre. L’Association nationale des cliniques privées ainsi que le groupe Akdital ont nié avoir bénéficié de quelconques subventions publiques. Allant plus loin dans une démarche de transparence, ils ont interpellé le ministre, dans leurs communiqués respectifs, l’invitant à publier la liste des établissements concernés ainsi que les montants octroyés.
Dès lors, une question s’impose : si les principaux opérateurs privés affirment ne pas avoir perçu de subventions, qui en a réellement bénéficié ? En l’absence de réponse claire, le ministre se retrouve dans une position inconfortable, son crédit politique mis à mal. Aura-t-il le courage de mettre toute la lumière sur cette affaire ? Rien n’est moins sûr.
Mais au-delà de cette polémique conjoncturelle, une interrogation bien plus profonde se pose : pourquoi le secteur public n’a-t-il jamais connu un développement comparable à celui du secteur privé ? Pourquoi la modernisation de l’hôpital public n’a-t-elle jamais été érigée en véritable priorité nationale ? Et pourquoi l’État a-t-il failli à son rôle de régulateur garantissant un équilibre entre les deux composantes du système de santé ?
Depuis l’entrée en vigueur de la généralisation de la couverture sanitaire, on aurait pu s’attendre à un renforcement substantiel du service public. Au contraire, ce dernier connaît une dégradation gravissime. L’élargissement de l’accès aux soins aurait dû s’accompagner d’investissements massifs dans les infrastructures et les ressources humaines publiques. Or, face à l’essor rapide du privé – vers lequel l’AMO a été quasi immédiatement orientée – l’État semble s’être endormi sur ses lauriers, laissant les inégalités se creuser dangereusement.
Dès le 31 mars 2023, soit à peine quatre mois après l’entrée en vigueur de la réforme du 1er décembre 2022, nous avons été les premiers à alerter sur les dérives potentielles du basculement des ex-bénéficiaires du RAMED vers l’AMO-Tadamon. Nous pointions déjà à l’époque un phénomène préoccupant : l’afflux massif des assurés vers le secteur privé, au détriment du service public.
Depuis cette alerte initiale, le gouvernement s’est enfermé dans une opacité persistante quant aux dépenses engagées dans le cadre de ce régime, notamment vis-à-vis du secteur privé. Aucune donnée officielle n’a été communiquée sur la répartition des montants. Ni même par Chef du gouvernement devant le Parlement en avril 2024 lors de la présentation des réalisations à mi-mandat, ni dans le rapport qui devait détailler le contenu.
Ce n’est qu’en décembre 2024, grâce au rapport annuel 2023-2024 de la Cour des comptes, que les chiffres ont éclaté au grand jour. On y découvre que l’État, qui finance l’AMO-Tadamon à hauteur de 9,5 Mds de DH par an, a transféré, via la CNSS, 11,477 Mds de DH au secteur privé entre décembre 2022 et septembre 2024. Ce montant représente 74 % des dépenses totales du régime, soit 15,51 Mds de DH sur la même période. Ce pourcentage aurait atteint les 90% aujourd’hui selon certains députés.
Face à ces chiffres édifiants, nous avons de nouveau tiré la sonnette d’alarme dans un article publié le 17 décembre 2024. Mais c’est comme s’égosiller dans le silence. Cela ne semblait pas déranger plus que ça le gouvernement. Tant que le secteur privé fait l’affaire pourquoi se casser la tête.
Et pourtant c’est le secteur public qui est censé être le pilier de l’accès équitable aux soins.
Nos alertes ne visaient nullement le secteur privé. Encore heureux qu’il y a un secteur privé qui se substitue au public. Sans lui, de nombreux citoyens (ayant les moyens) auraient dû se tourner vers l’étranger pour se soigner, tandis que les plus démunis, eux, continuaient de souffrir en silence, livrés à un service public défaillant.
Mais il s’agit d’un appel clair au gouvernement pour qu’il assume ses responsabilités et dote les Marocains d’un service de santé public digne de ce nom.
À l’heure où la généralisation de la protection sociale est au cœur du projet national, il est impératif que le gouvernement sorte de l’ambiguïté, fasse preuve de transparence, rende des comptes sur ses choix budgétaires et rééquilibre en urgence ses priorités. Le service public de santé ne peut plus être relégué au second plan. Il doit redevenir le socle de l’accès équitable et universel aux soins, conformément aux engagements constitutionnels de l’État. La santé au Maroc a besoin de ses deux jambes secteur public et privé. C’est la base fondamentale d’un système de santé équilibré et efficient.







1 comment
tout à fait d’accord avec cet article ! La couverture sociale généralisée a profité aux cliniques et uniquement aux cliniques. Ceux qui ont pâti de tout cela :
-Le patient indigent non couverts par l’AMO, qui a trouvé un ‘hôpital public déserté par les médecins,
-l’étudiant en médecine qui s’est retrouvé sans enseignants ( sapés par les cliniques )
-le médecin privé exerçant en cabinet, dont les patients ont été dirigés vers ces cliniques qui pour un même soin lui prennent bien plus