Lors des huit précédents entretiens, nous avons interrogé Omar Bakkou au sujet des dispositions de la règlementation des changes régissant les opérations d’exportation de services. Les explications fournies par O. Bakkou à ce sujet avaient une double portée : descriptive et analytique.
En effet, les éléments descriptifs nous ont permis de saisir l’état actuel de la règlementation des changes régissant les exportations de services.
Quant aux éléments analytiques, ils nous ont permis de saisir, d’une part, les incohérences de cette règlementation et, d’autre part, les réformes proposées par O.Bakkou pour remédier à ces incohérences.
Dans le présent entretien, nous allons interroger O.Bakkou au sujet d’une section non moins importante de l’Instruction Générale des Opérations de Change-24(l’IGOC-24), à savoir celle relative au négoce international.
L’instruction Générale des Opérations de Change-24 comprend une section intitulée « négoce internationale ». Quel est l’objet de cette section ?
Il ne s’agit pas d’une section, mais d’une sous-section de la section « exportation de services.
Cette dernière section comprend pour rappel deux sous- sections : une première sous-section intitulée « exportation de services » et une seconde sous-section intitulée « négoce international ».
Votre réponse suggère que le négoce international constitue une opération d’exportation de services, puisqu’elle constitue une sous-section de la section « exportation de services », n’est-ce pas ?
Le négoce international désigne l’acquisition par un résident d’un bien ou d’un service auprès d’un non-résident en vue de sa revente à un client non-résident, sans que ledit bien ne fasse l’objet d’une importation au Maroc.
Cette opération est catégorisée par les normes internationales en matière de classification des opérations économiques parmi les opérations d’exportation de services.
Et pourquoi le négoce international fait l’objet d’une sous-section à part dans l’IGOC-24, puisqu’il s’agit d’une opération d’exportation de services ?
Effectivement, le négoce international fait l’objet d’une sous-section constituée de quatre articles (les articles 80 à 83).
Ces articles prévoient un ensemble de dispositions particulières en matière d’opérations de négoce international : domiciliation, immatriculation , etc.
Ces dispositions peuvent en principe être supprimées.
Vous dites que ces dispositions peuvent être supprimées, cela ne risque-t-il pas de créer un vide règlementaire en matière d’ opérations de négoce international ?
Les articles précités ont pour finalité d’autoriser les personnes qui effectuent des opérations de négoce international à payer les achats de marchandises ou de services occasionnées par les opérations de négoce internationale.
Ces opérations d’achat doivent en principe être intégrées dans la liste des services figurant dans l’annexe I de l’IGOC-24.
Plus exactement, lesdites opérations doivent être classées dans le titre V « services liés au commerce extérieur » de l’annexe précité.
Comment seront intitulées ces opérations d’achat de biens et de services réalisées dans le cadre du négoce international ?
Elles peuvent être intitulées « opérations de négoce international ».
Si on suit le raisonnement qui sous-tend votre proposition, les opérations d’achat de biens et de services au titre d’opérations de négoce international seront traitées comme une opération « d’importation de services » normale. Cela aura pour corollaire que le négociant ramène le document justificatif à la banque et transfère les devises à l’étranger !
Absolument.
Cela même avant qu’il encaisse les recettes au titre de la revente de la marchandise ou du service ?
Effectivement.
Vous proposez la mise en place d’un cadre libéral pour les achats de biens et de services au titre d’opérations de négoce international. Est-ce que votre proposition ne risque-t-elle pas de créer un canal supplémentaire de fuite de capitaux ?
La mise en place d’un cadre libéral pour les achats de biens et de services au titre des opérations de négoce international signifie concrètement que les banques seront autorisées à livrer aux personnes concernées les devises nécessaires à la réalisation de ces opérations.
Cette livraison sera effectuée ,bien entendu à l’instar de toutes les opérations librement réalisables en vertu de la règlementation des changes, sur présentation d’un document qui justifie « l’effectivité présumée » du service concerné (facture, contrat, etc.).
Vous insinuez ci-dessus que les achats de biens et de services au titre des opérations de négoce international n’ont aucune spécificité comparativement aux autres opérations courantes librement réalisables en vertu de la règlementation des changes !
Absolument, la quasi-totalité des opérations courantes librement réalisables en vertu de la règlementation des changes est effectuée auprès des banques, sur présentation d’un document qui justifie « l’effectivité présumée » et non pas « l’effectivité réelle ».
Ces opérations englobent les règlements au titre des importations de biens (paiements par acompte, par anticipation, par crédit documentaire, etc.), des services rendus par les non-résidents aux résidents ( presque une centaine de services), des voyages , etc.
Qu’est-ce que vous entendez par ce concept « d’effectivité présumée » ?
L’effectivité présumée signifie simplement que les devises sont livrées en contrepartie de documents : la personne qui souhaite avoir des devises présente des documents à la banque et cette dernière lui livre des devises.
Ces documents ne prouvent pas que le demandeur de devises a réellement bénéficié d’une contrepartie réelle (marchandise achetée, ou service consommé, etc.), mais lesdits documents constituent plutôt une sorte de « déclaration sur l’honneur » de ce demandeur, déclaration qui doit en principe faire l’objet d’une vérification à postériori.
En effet, mis à part le cas où le demandeur de devises présente à la banque un titre d’importation imputé par l’Administration des Douanes et Impôts Indirects, pour tous les autres cas, les devises sont livrées en contrepartie d’un document qui justifie uniquement l’effectivité présumée de l’opération économique objet de la demande de devises par la personne concernée.
Vous insinuez ci-dessus que l’effectivité est bien réelle dans le cas où le demandeur de devises présente à la banque un titre d’importation imputé par l’Administration des Douanes et Impôts Indirects, comment ça ?
Un titre d’importation imputé par l’Administration des Douanes et Impôts Indirects signifie que la valeur des marchandises importées indiquée dans le document remis à la banque a été vérifiée par l’Administration des Douanes et Impôts Indirects au moment de l’entrée de la marchandise au Maroc.
Cette vérification a pour corollaire que les devises sont livrées par la banque au titre de cette opération d’importation en contrepartie d’un document qui prouve « l’effectivité réelle » de l’opération objet de la demande de devises.
Or , ceci n’est pas le cas des devises livrées par les banques aux personnes qui demandent ces devises pour acheter des services de l’étranger , car dans ce cas les devises sont livrées sans contrepartie réelle prouvée, puisqu’elle n’existe aucune entité en charge de la vérification de la valeur de ces services préalablement à la livraison de devises par les banques.
En effet, la vérification de l’effectivité peut s’opérer éventuellement à postériori, à l’occasion des contrôles sur place effectués par les services de la Direction Générale des Impôts ou de ceux de l’Office des Changes.
Ainsi, les éléments présentés ci-dessus suggèrent que le critère adopté par la règlementation des changes en matière de livraison de devises destinées à la réalisation de bon nombre d’opérations économiques internationales est celui de « l’effectivité présumée ».
Ce critère peut être appliqué aux opérations relatives au négoce international.
Si on suit la logique du schéma règlementaire que vous proposez en matière d’opérations relatives au négoce international, on comprend que les négociants seront autorisés à effectuer ces opérations même dans le cas où lesdites opérations ne dégagent pas de marges bénéficiaires !
La règlementation des changes actuelle n’exige pas que les activités génératrices de devises (exportation de biens et de services) dégagent des bénéfices.
Cette règle doit être appliquée aux opérations de négoce international.
Mais l’application de cette règle risque d’ouvrir la voie à des opérations de fuite de capitaux , n’est ce pas ?
Fuite de capitaux signifie que le négociant triche, soit sur le prix d’achat ou sur le prix de vente.
Or, ce type de pratiques présumées sont en principe réprimables à travers l’article 5 de l’IGOC-24 intitulé « Effectivité et prix des transactions ».
Cet article dispose en effet ce qui suit : « Les règlements au titre des opérations courantes ou en capital prévues par la présente Instruction, doivent porter sur des transactions effectives rémunérées au prix du marché …. ».