Ecrit par Soubha Es-Siari |
Entre l’érosion du pouvoir d’achat et la hausse fulgurante des prix de matériaux de construction, le secteur de l’immobilier traverse une mauvaise passe. Le citoyen revoit ses priorités, les opérateurs crient à la faillite.
Après la crise sanitaire liée au Covid-19, le conflit russo-ukrainien bat encore plus fort le secteur de l’immobilier. Les indicateurs publiés le 19 mai par BAM attestent d’un repli de 4,9 % des prix des actifs immobiliers par rapport au premier trimestre 2021 et de 9,3% du nombre de transactions par rapport à la même période de l’année précédente.
Suite au Covid-19 qui a frappé durement le secteur de l’immobilier, cette baisse n’est pas une surprise chez les promoteurs immobiliers. Comme l’a si bien expliqué Aniss Benjelloun vice-président de la FNPI au micro de 2M : « Cette baisse résulte des répercussions du Covid qui se sont traduites par une réduction des opportunités de travail et le quasi-arrêt de certains secteurs pour ne citer que le tourisme dont les différentes activités connexes ont été brutalement secouées ».
Il avance également comme facteur explicatif, un changement de priorités chez les citoyens. L’accès au logement n’étant plus le premier des soucis. Face à un effritement des revenus, les ménages, qui ont eu la chance de garder leur travail priorisent plus l’alimentaire, la santé et l’enseignement.
En sus de la baisse des prix des actifs immobiliers de presque 5%, le nombre de transactions a accusé une baisse nette de 9,3% à fin mars 2022. Et pour cause, la détérioration du pouvoir d’achat conjuguée à un difficile accès de crédits auprès des banques, qui ont l’œil rivé sur le coût du risque, a suscité une forte baisse des ventes comme le prouvent les statistiques de BAM. L’attitude des banquiers s’explique par la hausse vertigineuse des créances en souffrance et l’endettement des ménages qui ont profité de l’aubaine des taux d’intérêt bas.
Aussi, faut-il rappeler que le bulletin d’informations de BAM ne fait pas mention du nombre assez réduit des dossiers déposés auprès des administrations concernées pour l’octroi du permis de construire soit 30% sur l’ensemble du territoire national. Un chiffre qui n’augure pas de bonnes perspectives voire même un mauvais présage pour le secteur.
La crise en Ukraine, autre son de cloche
Autre nœud gordien est la hausse continue des cours des matériaux de construction depuis la fin de l’année 2020. Cette hausse qui s’est aggravée avec la crise ukrainienne n’est pas exempte d’incidences sur le secteur de la construction.
Nombre de promoteurs immobiliers souffrent de difficultés financières et hésitent à poursuivre les chantiers entamés à cause du coût excessif des charges aussi bien de la main d’œuvre que des prix des matériaux de construction induits par la perturbation des chaînes de valeur mondiales.
Aussi, les répercussions d’ordre social ne sont pas à écarter étant donné que la main d’œuvre du secteur de la construction est issue du milieu rural, ne disposant d’aucune formation… et du coup cette main d’œuvre rurale n’a aucune alternative pour affronter cette dure réalité dans un contexte marqué également par une des pires sécheresses que le Maroc ait connues.
Les questions qui se posent d’emblée à l’aune des crises se succédant, quelles sont les perspectives du secteur de l’immobilier ? La hausse des prix des matières de construction est-elle partie pour durer ?
A ce titre, il est utile de rappeler que certains matériaux ont affiché une hausse de 400% ou de 200%. A titre d’illustration, le prix des briques rouges est passé de 1DH15 à 2 DH. Le prix du fer est passé de 6DH20 à 14 DH le kilo. Le ciment n’est pas exclu …
Ces hausses faramineuses interpellent à plus d’un titre sur leur degré de véracité. Des hausses comparables sont-elles dues entièrement à la crise ukrainienne suite à la perturbation des chaines mondiales et de la hausse du coût de l’énergie ou est-ce que la crise est un subterfuge pour les constructeurs de ces matériaux qui n’ont pas raté l’occasion de surfer sur cette vague.
Face à cette situation compliquée et fort complexe, les opérateurs appellent l’Etat à intervenir pour s’assurer des hausses enregistrées. Ils n’admettent pas qu’on reste les bras croisés et attendre la fin de cette guerre pour réagir.
Les immobiliers plaident à ce que toutes les forces nécessaires soient déployées pour réduire le coût de la construction afin de pouvoir écouler les biens immobiliers à des prix à la portée du citoyen disposant d’un revenu modeste.
Pour ce qui est de leur marge bénéficiaire souvent pointée du doigt à cause des profits importants qu’ils génèrent, ils considèrent que depuis plusieurs années, les marges se sont réduites. Ils sont même prêts à s’ouvrir au ministère de tutelle pour évaluer les coûts des inputs qu’ils considèrent comme connus par tous.
Le spectre de la récession
Si le scénario de la récession se précise, le secteur immobilier va pâtir du fort ralentissement de la croissance.
Aussi, si d’ici l’été prochain l’inflation continue d’augmenter, les taux d’intérêt pourraient également progresser, les revenus des ménages vont s’éroder. Ces derniers auront des difficultés à rembourser leur endettement voire même à contracter de nouveaux crédits. Tout cela risque de casser le marché de l’immobilier avant qu’i puisse retrouver le niveau normal.
Si l’on prend la moitié pleine du verre, on peut dire que le dégonflement de la bulle immobilière est salutaire parce que l’immobilier est le meilleur placement sur le long terme. Il va permettre au secteur d’aller sur des bases plus saines. C’est tout le mal qu’on lui souhaite.
Comme on ne cesse de le dire : les crises sont souvent les meilleures phases d’opportunités.