Ecrit par Lamiae Boumahrou |
Au lieu d’opter pour des mesures temporaires sur les prix (article 4 de la loi sur la liberté des prix et de la concurrence) au risque de contrarier les pétroliers, l’Etat a choisi la voie la moins conflictuelle, la moins logique et la plus coûteuse, celle de l’aide directe aux transporteurs pour faire face à la hausse des prix des carburants. Sauf que cette mesure pose plusieurs questions. Analyse.
Bien que la raison principale soit conjoncturelle et internationale de surcroît, la flambée des prix à la pompe suscite la grogne des Marocains mais aussi des professionnels en l’occurrence les transporteurs. Une hausse qui se répercute sur les prix des produits menaçant la paix sociale ainsi que l’approvisionnement des marchés notamment avec le risque de grève de la part des transporteurs.
Pour stopper l’hémorragie et afin de préserver le pouvoir d’achat des citoyens, le gouvernement a décidé d’agir en mettant en place une subvention directe aux transporteurs pour faire face à cette montée vertigineuse des prix des hydrocarbures.
Certes à ce jour les détails de cette subvention à savoir les modalités de soutien ainsi que les montants dont bénéficieront les professionnels du transport sont toujours en cours de finalisation. Mais là n’est pas la question. La question est de savoir pourquoi le gouvernement a opté pour une aide directe aux transporteurs au lieu d’activer l’article 4 de la loi N° 104-12 sur la liberté des prix et de la concurrence.
Ledit article stipule que « les dispositions des articles 2 et 3 ci-dessus ne font pas obstacle à ce que des mesures temporaires contre des hausses ou des baisses excessives de prix, motivées par des circonstances exceptionnelles, une calamité publique ou une situation manifestement anormale du marché dans un secteur déterminé, peuvent être prises par l’administration, après consultation du Conseil de la concurrence. La durée d’application de ces mesures ne peut excéder six (6) mois prorogeables une seule fois ». Tous les ingrédients sont réunis pour que l’Etat use de cette carte pour agir sur les marges des pétroliers qui depuis la libéralisation des hydrocarbures ne cessent de cumuler les bénéfices.
Plusieurs zones d’ombre
Malheureusement ce gouvernement, comme son prédécesseur d’ailleurs, a manqué de courage politique (ou de volonté) pour imposer aux pétroliers de telles mesures. Et pourtant, le gouvernement avait déjà saisi le Conseil de la Concurrence (le 31 août 2021 ) pour l’activation de l’article 4 de ladite loi pour fixer les prix des tests PCR. Il n’a fallu au conseil qu’une semaine pour trancher et donner son avis (favorable). Comme quoi quand on veut on peut. Le lobby des pétroliers serait-il derrière cette décision ?
C’est du moins la seule explication plausible au choix du gouvernement qui préfère subventionner les transporteurs du budget de l’Etat, déjà en souffrance, que de toucher aux marges des pétroliers.
Malheureusement, cette subvention supplémentaire, non prévue dans la Loi des Finances 2022, fera davantage grimper la facture de la compensation dont les prévisions pour l’année en cours à savoir 17 Mds de DH (dont 1 Md de DH pour le renouvellement du parc taxis) seront de ce fait largement dépassées.
Où le gouvernement piochera-t-il les fonds pour financer cette subvention ? Comment sera-t-elle distribuée ? Quelles seront les conditions d’éligibilité ? Combien de temps durera-t-elle ? Et le plus important, aura-t-elle un réel impact sur le pouvoir d’achat des ménages ? Autant de questions qui s’imposent pour plusieurs raisons.
D’abord parce que le secteur du transport est un secteur gangréné par l’informel. Et qui dit informel dit hors contrôle de l’Etat. Ce qui veut dire qu’une bonne partie des transporteurs, opérant dans l’informel, ne seront pas éligibles à la subvention, ce qui réduit l’impact escompté sur les prix. En optant pour cette voie, le gouvernement prend le risque de déséquilibrer d’emblée le marché.
Deuxièmement, parce que le gouvernement doit mettre en place tout un dispositif notamment une plateforme pour activer ce mécanisme. Sans oublier les garde-fous à mettre en place pour verrouiller le système d’aide, éviter les fraudes mais aussi pour garantir l’impact de cette subvention sur les prix.
Troisièmement, parce que la conjoncture économique actuelle ne permet pas davantage de pression sur les finances publiques. Rappelons qu’à fin février 2022, le déficit budgétaire s’est creusé à 11,5 Mds de DH en hausse de 1,3 Md de DH par rapport à fin février 2021. Et vu la conjoncture et la hausse des prix des matières premières à l’international notamment ceux du gaz et du blé, le déficit risque de s’accentuer.
Et quatrièmement, parce que l’adoption de mesures temporaires contre les hausses excessives de prix des hydrocarbures prévues par l’article 4 auraient eu un impact plus significatif sur le pouvoir d’achat des Marocains que la subvention d’un seul maillon de la chaîne. Et pour cause, cette mesure risque de coûter cher à l’Etat pour un impact infime.
Ce qui est certain, l’Etat a choisi de mettre la main dans sa poche au lieu de rentrer dans un nouveau bras de fer à l’issue connue avec les pétroliers. Espérant au moins que cette mesure aura un quelconque impact sur les prix et par ricochet sur le pouvoir d’achat des Marocains. J’en doute fort !