Ecrit par S. Es-Siari |
Le Maroc ne comptant pas élargir davantage la bande de fluctuation de sa monnaie du moins dans les moments qui courent, la question reste posée quant à la capacité de sa politique de change à juguler l’inflation trop pressante faute d’une éventuelle flexibilisation du Dirham.
En guise de rappel, depuis la mise en place de la flexibilité du Dirham en 2018, le Maroc est toujours dans la 1ère phase de cette réforme bien qu’elle ait connu 2 élargissements de la bande de fluctuation, soit ±2,5 % en mars 2018 à ±5 % en mars 2020. Environ 5 ans plus tard, la question du passage à la 2ème phase se pose avec acuité notamment avec la conjoncture actuelle marquée par une hausse sans précédent du taux de l’inflation.
En marge de la 13e édition de la City week finance conférence tenue récemment à Londres, la ministre de l’économie et des finances, Nadia Fettah a annoncé : « Malgré toute la volatilité des marchés que nous avons connue en 2022, la monnaie est restée au niveau de 5%. Les 5% sont largement suffisants pour évoluer en douceur vers un régime plus flexible lorsque les conditions le permettront ».
Même son de cloche chez A. Jouahri, wali de BAM qui avait affirmé au FMI, dans le cadre des consultations de 2021 au titre de l’article IV des statuts du FMI, que le Maroc n’est pas prêt à franchir ce pas et qu’il valait mieux attendre. Et pour cause, dès que le Maroc s’engagerait dans cette voie, il ne pourrait plus faire marche arrière. Pour le gouverneur de la Banque Centrale, la décision revient pleinement au Maroc et sera prise au bon moment.
Interrogé sur les enjeux de cette question lancinante à savoir obtempérer en matière de flexibilisation sur les ondes de radio de Luxe radio, le spécialiste en politique de change Omar Bakkou considère que cette décision est pertinente et juste parce qu’aujourd’hui si nous flexibilisons davantage et que nous laissons le taux de change évoluer au gré du marché, cela risque dans les conditions actuelles, un marché de change instable, d’impacter le taux de change à la baisse.
Cela ne serait pas sans effet sur les prix en interne voire sur le taux d’inflation. Un tel scénario serait néfaste pour l’économie nationale sachant que le niveau actuel de l’inflation soit 8,2% en mars 2023 n’est pas supportable et le malaise social est très palpable.
Pour l’économiste, s’il faut choisir entre équilibrer les comptes extérieurs et maintenir les prix internes, la balance planche surtout vers le maintien des prix.
Omar Bakkou rappelle à juste de titre que lorsque la décision de flexibilité du DH a été prise en 2018, il y avait une baisse des avoirs de réserves observée depuis 2012 sous l’effet de l’envolée des prix de l’énergie. L’idée sous-jacente est que les instruments dont disposait le Maroc (avoirs de réserves et endettement) étaient insuffisants et qu’il fallait mobiliser un autre instrument notamment celui des prix.
« Je pense que cette décision prise en 2018 par le Maroc de flexibiliser sa monnaie est finalement juste et ne peut être qualifiée de timide aujourd’hui parce qu’il y a les effets macroéconomiques ( balance des paiements, avoirs de réserves, endettement…) qu’il faut calibrer et il faut par ailleurs sur le plan microéconomique que les acteurs économiques s’habituent à l’acquisition de nouveaux instruments de couverture. Autrement dit, il y a des aspects comportementaux qu’il faut absolument prendre en considération avant de franchir une nouvelle étape », explique Omar Bakkou. Un effort de sensibilisation et de formation des opérateurs est donc nécessaire avant de faire basculer le tissu économique dans un régime de change volatile.
Il est crucial de comprendre qu’il ne s’agit pas uniquement d’élargir la bande de fluctuation mais d’abandonner carrément l’ancrage au panier vers un ciblage de l’inflation. En d’autres termes, l’ancrage ne sera pas celui du taux de change mais plutôt de la politique monétaire et du taux directeur de la banque centrale.
Dans un contexte de pression et de soubresauts à l’international comme c’est le cas aujourd’hui, il est important de faire preuve de prudence et de ne pas prendre des mesures draconiennes qui pourraient avoir l’effet inverse. Les mesures doivent être prises dans une période plus calme pour que la transition se fasse en douceur.
Autre point abordé avec Omar Bakkou est la dédolarisation de l’économie et ce depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine. L’économiste parle d’une possibilité de dédolarisation partielle vu que les critères sont partiellement remplis, allusion faite à la domination commerciale par les USA supplantés par la Chine.
Pour le cas du Maroc, cette dédolarisation pourrait être une opportunité parce que d’autres monnaies internationales se traduiraient pour notre économie par plus de liquidités et de devises à condition bien entendu de mettre en place les mécanismes adéquats.