Ecrit par Lamiae Boumahrou I
Face à des chantiers sociaux et des réformes lourdes, le gouvernement a besoin de se donner les moyens de ses ambitions. Mais pour augmenter ses ressources fiscales, nécessaires pour financer tout cela, le gouvernement tape chaque fois sur les mêmes et ne va pas chercher les niches qui échappent toujours au fisc. Le cas des créateurs de comptes interpelle. Qu’attend donc le fisc pour passer à la taxation ?
A chaque exercice financier se pose la question de l’équité fiscale. Les projecteurs se tournent automatiquement vers les mesures fiscales qui devraient en principe tendre vers le principe de l’équité fiscale qui reste l’une des pierres angulaires de toute réforme fiscale. Cette équité qui figure parmi les principales recommandations des Assises de la Fiscalité de 2019 donne aux pouvoirs publics du fil à retordre.
Et pour cause, 4 ans après les Assises, il est regrettable de constater que nous sommes encore loin de ce principe tant attendu. Et tant bien que mal l’Etat s’implique à élargir l’assiette fiscale, l’équité fiscale reste un voeux pieux.
Pour réaliser les réformes sociales, garantir le développement socio-économique et assurer un financement durable des chantiers, l’Etat doit recourir à l’élargissement de l’assiette pour augmenter ses ressources fiscales.
Malheureusement, le principe de l’équité fiscale reste toujours lettre morte étant donné que l’assujettissement tombe toujours sur les mêmes catégories (salariés et sociétés (pas toutes)). Soit les catégories dites traditionnelles. Le gouvernement d’Akhannouch était très attendu sur cet exercice notamment sur le plan fiscal. Certes le PLF 2024 a prévu un certain nombre de mesures fiscales nouvelles, entre autres, dans le cadre de la réforme de la TVA, mais n’a pas osé s’aventurer sur ce terrain « glissant ».
« Pour augmenter ses ressources, l’Etat devrait aller chercher des ressources supplémentaires en investissant un ensemble de niches fiscales. Car si nous continuons à taxer les mêmes, on n’ira pas très loin », a déploré le fiscaliste, Mohammed Errahj.
Certes le constat que nous relevons ne date pas d’aujourd’hui. Mais au regard du tournant que le Maroc s’apprête à opérer dès l’exercice 2024, il y a de quoi s’en inquiéter.
Rappelons que la LP 2024 va apporter son lot de mesures et de réformes qui vont marquer un avant et un après l’économie marocaine mais qui va surtout nécessiter des ressources financières importantes.
Lancement de l’aide directe, lancement de l’aide au logement, démarrage de la réforme de décompensation, dialogue social, chantier de la généralisation de la protection sociale…, à moins que le gouvernement ait une baguette magique, l’équilibre financier s’annonce très dur. C’est pourquoi l’exclusion de certaines catégories du champ de la fiscalité nous interpelle à plusieurs titres.
Outre l’impôt sur la fortune, qu’aucun gouvernement n’a osé l’imposer, d’autres niches échappent toujours au fisc. Parmi ces niches, les créateurs de contenus. Depuis un moment, ce business juteux attire de plus en plus d’adeptes et génère des chiffres d’affaires pharamineux. Youtubeurs, blogueurs et influenceurs nombreux sont ceux qui échappent encore au fisc.
La taxation de cette catégorie est en étude depuis quelques années mais n’a toujours pas abouti on ne sait pour quelle raison.
« Sur le plan fiscal, la taxation de cette catégorie ne devrait pas poser de problème puisque les dispositions du Code général des impôts s’appliquent sans problème sur ces influenceurs et blogueurs qui se vantent sur la place publique de gagner beaucoup d’argent », a souligné Mohammed Errahj.
Et d’ajouter que « la loi fiscale donne à l’administration fiscale les moyens d’imposer tous ceux qui refusent de se soumettre à leurs obligations fiscales ».
En effet, ces acteurs du monde virtuel sont des prestataires de services qui rentrent dans la rubrique commerciale et donc ils sont assujettis à payer l’impôt sur les revenus. Le cadre réglementaire spécifique à cette catégorie, en gestation depuis un moment, est-il la raison du blocage ? Qu’attendent les pouvoirs publics pour intégrer ces catégories, et d’autres, dans l’assiette fiscale ?
Car contrairement aux attentes, le PLF 2024 n’a pas prévu de mesures spécifiques aux créateur de contenus. Une question légitime sachant que les personnes opérant dans ce domaine sont déjà connues et identifiées par le fisc. Une enquête a été menée en 2021 par la DGI pour identifier les catégories qui ne déclarent pas leur activité génératrice de revenu. Les résultats de cette étude n’ont toujours pas été dévoilés. Par conséquent nous ignorons les indicateurs générés par cette activité encore moins le manque à gagner pour l’Etat. Nous avons tenté de contacter le fisc pour en savoir davantage sur les raisons de ce retard mais en vain.
Mohammed Errahj nous a affirmé toutefois que « l’administration fiscale ne souhaite pas ouvrir un nouveau front dans la relation contribuable-administration fiscale. Et pourtant les créateurs de contenus sont taxés sous d’autres cieux ».
Sauf qu’en évitant d’ouvrir ce front, l’administration fiscale contribue, de façon indirecte, à une injustice fiscale qui s’enracine dans notre société.
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