Ecrit par S. Es-Siari I
La volonté de réduire l’informel et de le combattre parait évidente dans le PLF 2024. En revanche, les moyens mis en œuvre pour le combattre ne peuvent être exclusivement fiscaux. Il est impératif d’instaurer des mesures d’encadrement des entreprises, d’application des normes… Les façons de combattre l’informel sont différentes.
La lutte contre le secteur de l’informel constitue une priorité pour les pouvoirs publics qui savent pertinemment que le Maroc ne peut aller de l’avant et réaliser un taux de croissance au-delà de 5% en traînant un pan de l’économie qui échappe à toute légalité et formalité. Ce lien de cause à effet est mis en exergue dans le nouveau modèle de développement qui considère le poids important de ce secteur comme une question préoccupante pour l’économie marocaine.
Le secteur informel est certes une composante essentielle de l’économie marocaine, employant une large partie de la population, mais nuisant à la productivité, aux recettes fiscales de l’État et à la croissance économique à long terme. Sur la base de la définition qui définit les travailleurs informels comme étant ceux qui ne sont pas couverts par les régimes contributifs de sécurité sociale de la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) et de la Caisse nationale des organismes de prévoyance sociale (CNOPS), le taux d’emploi informel représente près de 77 % de l’emploi total.
Ce niveau élevé de l’informel n’est pas exempt d’inconvénients, aussi bien pour les travailleurs (précarité et insécurité de l’emploi, bas salaires, mauvaises conditions de travail, faibles perspectives d’évolution et de développement de carrière,…) que pour l’État (pertes en termes de recettes fiscales) et, enfin, pour le tissu économique en raison de ses effets négatifs sur la productivité et de la concurrence déloyale qu’il permet vis-à-vis du secteur formel et aussi de ses effets négatifs sur la compétitivité.
Et pourtant durant les dernières années, le gouvernement œuvre sans relâche à traiter les problématiques économiques liées au secteur informel au Maroc. Toutefois, en dépit des programmes de mise à niveau de l’économie nationale ( Awrach, tatwir, Imtiaz…), le secteur informel grève l’économie marocaine. Il pèse, selon les différentes études réalisées, jusqu’à 30% du PIB.
Dans ce cadre, une attention particulière a été portée récemment sur le statut auto-entrepreneur, utilisé comme instrument incluant des domaines d’activité plus larges. Les procédures d’obtention du statut sont alors davantage simplifiées.
Que dit le PLF 2024 ?
Conformément aux orientations du Nouveau modèle de développement, la Loi de Finances 2024 contient des dispositions pour éradiquer l’informel.
Dans ce cadre, il est proposé de mettre en place un nouveau régime d’auto-liquidation de la TVA qui permettra aux personnes exerçant une activité passible de la TVA de calculer le montant de la TVA sur leurs achats effectués auprès des fournisseurs situés hors champ d’application de la TVA ou exonérés sans droit à déduction, en leur permettant de procéder en même temps à la déduction du montant de ladite taxe et ce, à l’exclusion des opérations d’achat de terrains et des produits agricoles.
Après l’IS, la retenue à la source (RAS) s’élargira à la TVA. Cette RAS sera effectuée par les clients assujettis sur le montant de la TVA due au titre des opérations imposables effectuées par les fournisseurs de biens et de travaux qui ne présentent pas à ces clients, l’attestation justifiant leur régularité fiscale au titre des obligations de déclaration et de paiement des impôts, droits et taxes prévus par le CGI, délivrée par voie électronique par l’administration fiscale depuis moins de 3 mois.
Les entités juridiques assujetties à une réglementation particulière et les travailleurs indépendants dont le revenu est déterminé selon le régime du résultat net réel ou du régime net simplifié, assujettis à la taxe sur la valeur ajoutée, qui versent des rémunérations liées aux services mentionnés aux travailleurs indépendants assujettis à cette taxe et qui ont fourni le certificat attestant de leur conformité fiscale concernant les impôts, droits et taxes énoncées dans le CGI. En cas de non-fourniture du certificat mentionné, la taxe est retenue à la source à hauteur de 100% de cette taxe.
Il est proposé de réinstaurer l’obligation de conservation des biens meubles ayant bénéficié de l’achat en exonération ou du droit à déduction, dans un compte d’immobilisation pendant une période de 5 ans.
A défaut de conservation desdits biens pendant le délai précité, le bénéficiaire de la déduction ou de l’achat en exonération est tenu de reverser au Trésor une somme égale au montant de l’exonération ou de la déduction initialement opérée, diminué du montant correspondant aux mois écoulés depuis la date d’acquisition de ces biens. Le principe de la solidarité des dirigeants d’entreprises en matière de TVA se veut également une mesure pour éradiquer l’informel.
Les mesures susmentionnées ne sont pas exhaustives, d’autres dispositions existent. Elles ont toutes pour leitmotiv de réduire le gap entre le formel et l’informel. Elles sont nourries par le fait que de nombreuses entreprises et travailleurs oeuvrent dans l’informel parce que tout simplement ils n’ont pas la capacité d’opérer dans un cadre formel, en conformité avec les dispositifs fiscaux.
La fiscalité à elle seule insuffisante…
La volonté de réduire l’informel et de le combattre parait évidente dans le PLF2024. En revanche, les moyens mis en œuvre pour le combattre ne peuvent être exclusivement fiscaux. Il faut des mesures d’encadrement des entreprises, d’application des normes… il y a plusieurs façons de combattre l’informel.
Pour mener à bon escient cet objectif, éradiquer considérablement l’informel, il faut que les lois et dispositions mises en place soient cohérentes. C’est de cette manière que le coût de l’informel serait supportable. Le coût de la lutte contre l’informel ne doit aucunement être supporté uniquement par les entreprises citoyennes. Autrement le gap entre le formel et l’informel ne fera que s’élargir.
Il ne faut donc pas occulter que les activités informelles offrent une échappatoire d’importance aux effets de l’exode rural en absorbant une bonne partie de la main d’ouvre à la recherche d’un emploi. Le secteur informel est donc ce pare-chocs ou amortisseur social dans la mesure où il est un pourvoyeur d’emploi et de revenu permettant à une population urbaine précaire de survivre.
Les activités informelles constituent en sorte une réponse de la société à des besoins nouveaux. Elles sont aussi des inventions sociales dans un contexte précaire qui amènent les acteurs à diversifier leurs stratégies d’insertion par la pluriactivité, à minimiser les risques par la recherche d’opportunités de revenu et à s’adapter à des catégories sociales à faible pouvoir d’achat.
C’est en faisant un bon diagnostic de la situation de l’informel au Maroc et en adoptant une approche intégrée entre les dispositions fiscales et économiques que les pouvoirs publics puissent éradiquer progressivement ce fléau qui gangrène l’économie. Mieux encore, en dispensant une formation sur le tas dans des relations paternalistes complexes, le secteur informel constituerait même une réserve de qualification pour le secteur formel « moderne ».