Ecrit par S. Es-Siari |
Les ententes dans des secteurs très concentrés et où la commande publique est prédominante sont monnaie courante. Elles sont dangereuses et contreproductives à telle enseigne que l’on s’interroge sur le rôle du Conseil de la Concurrence censé réguler le marché et veiller au strict respect des règles de la bonne concurrence.
Personne ne peut nier que la commande publique a permis au Maroc d’atteindre un niveau d’équipement honorable comme en atteste le niveau des infrastructures dont le pays s’est doté ces dernières années.
La commande publique, englobant les dépenses engagées par l’État, les Collectivités Territoriales et les Entreprises et Établissements Publics (EEP), joue un rôle fondamental dans l’économie nationale.
Elle fait appel à divers mécanismes tels que les délégations de services publics, les contrats de partenariat public-privé ou encore les marchés publics. C’est là où le bât blesse.
Si l’on se limite aux marchés publics, la gouvernance de la commande publique au Maroc souffre souvent de plusieurs défaillances qui entachent sa performance et limitent son rôle en tant que levier de développement, de création d’emplois et de richesse.
Nous pouvons citer à cet égard, les ententes dans des secteurs tels que le BTP où la commande publique est prédominante. Les opérateurs notamment les plus forts biaisent le jeu de la concurrence en concertant entre eux afin d’adapter leurs offres pour se répartir les quatre coins du Royaume. Des ententes illicites qui font que chacun des opérateurs met la main sur ou s’attribue une zone géographique bien définie.
Dans pareilles situations, quel est le rôle du Conseil de la Concurrence censé réguler le marché et veiller au strict respect des règles de la bonne concurrence ?
Interrogé sur la question à l’occasion de l’émission Hiwar, Ahmed Rahhou, président du Conseil de la concurrence répond de prime abord que la démarche adoptée est une démarche de fait, d’enquête et de choses prouvées et avérées.
« Certes il y a des secteurs où la tentation est importante pour des pratiques illicites notamment lorsque le niveau de concentration est très fort, le nombre des acteurs est peu important et donc la probabilité d’une entente augmente », annonce A. Rahhou. Il précise qu’il ne s’agit pas de jeter l’anathème sur tel ou tel secteur.
Et d’ajouter « Nous avons nos critères pour sélectionner quel secteur devant faire l’objet d’un examen. Mais nous comptons beaucoup sur la pédagogie consistant à prévenir les opérateurs des dangers des pratiques anticoncurrentielles et sur lesquels ils doivent absolument être conscients ».
Le Conseil de la concurrence compte ainsi sur les entreprises et les fédérations à respecter à la lettre leurs engagements en ce qui concerne le processus de la commande publique.
De par leur complexité et la multiplicité des intervenants, les marchés publics est une grande question qui mérite une attention particulière.
Sur le plan économique, le cadre juridique et légal de la commande publique n’a pas encore permis de montrer l’efficience de la commande publique pour créer de la richesse. Il est toujours difficile d’établir la corrélation entre la commande publique et la création de la richesse ou d’emplois.
Sur le plan de la concurrence et bien que le CC reçoive des requêtes de la part des soumissionnaires relatives à l’exclusion de tel ou tel marché, le Conseil n’a pas les prérogatives d’intervenir sur un marché en particulier mais il est de sa responsabilité d’étudier l’impact d’un type de commande publique sur le jeu de la concurrence.
Autrement dit, le CC va opérer à partir de cet angle à savoir que les règles sur telle ou telle activité ont permis l’émergence ou l’existence d’une concurrence suffisante.
« Le Conseil ne traite par les commandes prises individuellement et nous comptons expliquer cela aux opérateurs. Le Conseil peut agir lorsqu’il y a une entente contre l’intérêt du donneur d’ordre qu’est l’Etat ou pour évincer tel ou tel opérateur », tient à préciser A. Rahhou.
Le succès de la commande publique est donc conditionné non seulement par son volet juridique et légal, mais également par les pratiques anticoncurrentielles qui faussent le jeu de la concurrence entre les acteurs d’un marché.
La lutte contre les ententes dans les marchés publics est devenue un impératif au niveau mondial. Elle a fait d’ailleurs l’objet de nombreux rapports notamment de l’OCDE. Mais ils pèchent tous par l’absence de l’identification de mécanismes à même de limiter la probabilité que l’entente remporte l’appel d’offres.
La commande publique devra donc privilégier « l’approche efficience » plutôt que l’approche procédurale actuellement adoptée tout en ciblant les besoins prioritaires (ou devenus prioritaires) des citoyens et en prenant en compte les mutations socio-économiques.
Voir également : [Hiwar] Conseil de la Concurrence : Ahmed Rahhou, le pédagogue ou le gendarme ?