Lors des six précédents entretiens, nous avons interrogé Omar Bakkou au sujet des dispositions de la règlementation des changes applicables aux opérations d’exportation de biens. Les explications fournies par O. Bakkou nous ont permis de saisir l’objet essentiel de cette règlementation, à savoir l’institution de l’obligation d’encaissement et de cession sur le marché des changes des recettes au titre des exportations de biens, et ce, selon des modalités bien définies par ladite règlementation.
Ces modalités consistent, en matière d’encaissement des recettes, dans l’obligation de recouvrement de ces recettes, par virement bancaire ou en billets de banque, dans un délai de 150 jours à partir de la date d’enregistrement de la déclaration douanière de l’opération d’exportation.
En outre, en matière de cession sur le marché des changes des recettes, lesdites modalités consistent dans l’obligation de cession de ces recettes dans les trois jours ouvrables qui suivent la réception desdites recettes par la banque.
Ces deux obligations éditées par la règlementation des changes régissant les exportations de biens font l’objet, toutefois, de plusieurs dérogations. Ces dérogations, énumérées de manière détaillée dans le précédent entretien, peuvent être scindées en deux catégories.
La première catégorie englobe les dérogations à la règle de l’obligation d’encaissement des recettes au titre des opérations d’exportation de biens. Ces dérogations, énumérées par les articles 67, 68 et 187 de l’Instruction Générale des Opérations de Change-24 (l’IGOC-24), comprennent bon nombre d’opérations qui permettent à l’exportateur de ne pas encaisser, à titre total ou partiel, les recettes au titre des exportations de biens.
Quant à la seconde catégorie, elle englobe les dérogations à la règle de l’obligation de cession sur le marché des changes des recettes d’exportation. Ces dérogations ou plutôt cette dérogation, puisqu’il s’agit d’une seule, citée par l’article 66 de l’IGOC-24, elle consiste dans l’autorisation accordée aux exportateurs d’ouvrir des comptes en devises auprès des banques marocaines et d’alimenter ces comptes à concurrence de 70% de leurs recettes en devises.
Ces dispositions de la règlementation des changes régissant les opérations d’exportation de biens soulèvent des questionnements concernant leur pertinence. Ces questionnements feront l’objet du présent entretien avec O.Bakkou.
Quel regard portez-vous sur les dispositions de la règlementation des changes régissant les exportations de biens ?
En principe, l’analyse de ce genre de questions peut être opérée sous deux principaux ongles : celui de la forme et celui du fond.
Quelles sont vos remarques de forme ?
Ma principale remarque de forme concerne le volume de cette règlementation : cinq longs articles (les articles 63 à 71 l’IGOC-24) totalisant environ 2800 mots.
Ce volume me paraît largement surdimensionné par rapport à l’objet de cette règlementation, lequel objet consiste à instituer deux obligations simples : le rapatriement des recettes d’exportation et la cession de ces recettes sur le marché des changes.
Quid de vos remarques de fond ?
Ma principale remarque de fond concerne la cohérence de cette règlementation : d’une part les exportateurs doivent « acheminer la totalité de leurs recettes vers le marché des changes », et d’autre part, ces mêmes exportateurs sont libres de « ne pas acheminer la quasi-totalité de leurs recettes vers le marché des changes ».
Acheminer leurs recettes vers le marché des changes, je pense que vous utilisez un concept nouveau !
L’objectif de tout ce corpus règlementaire régissant les opérations d’exportation de biens est en définitive d’acheminer les recettes au titre de ces opérations vers le marché des changes.
Bien entendu , cet objectif n’est pas une fin en soi, mais il a pour finalité d’alimenter le marché des changes marocain de suffisamment de devises pour éviter une pénurie de devises, c’est-à-dire une crise de change.
En effet, dans le cas où tous les exportateurs n’encaissent pas les devises ou qu’ils les encaissent sans les céder sur le marché des changes, cela aura pour impact un asséchement du marché des changes, et ce, du fait que les recettes des exportations de biens représentent environ 50% de l’offre de devises sur ce marché.
Si j’ai bien compris l’obligation d’encaissement des recettes d’exportation et de cession de ces recettes sur le marché de change a pour objectif d’acheminer ces recettes vers le marché des changes, n’est pas ?
Absolument.
Donc si j’ai bien compris, vous considérez que la règlementation des changes régissant les opérations d’exportation de biens est incohérente dans le mesure où elle exige l’acheminement des recettes au titre des opérations d’exportation de biens et qu’en même temps elle autorise les exportateurs de ne pas acheminer ces recettes, n’est-ce pas ?
Effectivement.
L’obligation « d’acheminement des recettes d’exportation » est claire, par contre qu’est-ce qui vous fait dire que la règlementation des changes autorise les exportateurs de ne pas acheminer vers le marché des changes les recettes au titre des exportations ?
La règlementation des changes en vigueur au Maroc autorise effectivement les exportateurs de ne pas acheminer sur le marché des changes les recettes en devises au titre de leurs opérations d’exportation de biens , et ce, du fait que cette règlementation permet à ces exportateurs :
-D’alimenter les comptes en devises ouverts librement auprès des banques marocaines à concurrence de 70% des recettes générées au titre de leurs opérations d’exportation ;
– D’accorder des crédits à court ou à moyen terme à leurs clients non -résidents, et ce, dans la limite de 85% de la valeur des biens exportés.
Vous dites ci-dessus que le cadre libéral établi par la règlementation des changes en faveur des exportateurs en matière de comptes en devises a pour corollaire l’abolition par cette règlementation de la disposition relative à l’obligation de cession des devises sur le marché des changes, comment ca alors que les comptes sont ouverts auprès de banques marocaines ?
La possibilité d’ouverture de comptes en devises auprès des banques marocaines par les exportateurs et de loger les recettes au titre des exportations dans la limite de 70% de ces recettes donne la possibilité aux exportateurs de maintenir les devises en question à l’étranger.
En effet, les comptes en devises ouverts auprès des banques marocaines, sont domiciliés auprès des banques marocaines, mais les devises reçues par ces banques n’atterrissent pas sur le marché des changes marocain.
En effet, ces devises donnent lieu à un enregistrement comptable au compte de ladite banque auprès de son correspondant bancaire étranger.
Ce correspondant bancaire peut être, soit une banque américaine lorsqu’il s’agit de recettes en USD ou une banque relevant d’un pays de la zone euro, au cas où les recettes sont en euros.
En définitive, les devises logées dans les comptes ouverts par les exportateurs auprès de banques marocaines restent dans le marché monétaire du pays de la banque centrale émettrice des devises concernées.
Vous dites ci-dessus que le cadre libéral établi par la règlementation des changes en faveur des exportateurs en matière de possibilité d’octroi par ces derniers de crédits à court ou à moyen terme à leurs clients non -résidents a pour corollaire l’abolition par cette règlementation de la disposition relative à l’obligation de cession des devises sur le marché des changes, comment ca?
Le fait que la règlementation des changes autorise les exportateurs à accorder des crédits à moyen terme à leurs clients non-résidents signifie que les exportateurs sont autorisés de ne pas encaisser les recettes au titre de leurs opérations d’exportation.
Or, cette autorisation de « non encaissement » des recettes au titre des opérations d’exportation de biens a pour corollaire une autre autorisation qui est celle « de non cession » desdites recettes sur le marché des changes.




