Lors du précédent entretien, nous avons interrogé Omar Bakkou au sujet de la pertinence économique des dispositions de la règlementation des changes régissant les produits financiers dérivés.
En réponse O. Bakkou a tenu de dresser en premier lieu un état descriptif de cette règlementation, descriptif ayant permis de relever le caractère :
-totalement restrictif de ladite règlementation pour les « opérations de vente de produits financiers dérivés par les résidents aux non-résidents » ;
-partiellement restrictif de ladite règlementation pour les « opérations d’achat de produits financiers par les résidents auprès de non-résidents ».
Ainsi , en partant de ce constat, notre interviewé a précisé que préalablement à l’analyse de la pertinence de ces restrictions, une question primordiale devrait être soulevée, à savoir : est-ce que la règlementation de ces opérations relèvent ou non du périmètre de la règlementation des changes ?
En réponse à cette question , O.Bakkou a indiqué que les opérations financières
Dérivées effectuées par les banques doivent en principe être régies par la règlementation prudentielle de Bank Al Maghrib.
Il à cet égard étayé son avis par les dispositions de l’article 176 de l’Instruction Générale des Opérations de Change-24(IGOC-24), lequel article stipule que les opérations financières effectuées par les banques conformément aux modalités et conditions fixées par Bank Al Maghrib bénéficient d’un cadre libéral en vertu de la règlementation des changes.
Ainsi , en se fondant sur cet article O.Bakkou estime que les opérations relatives aux produits financiers dérivés effectuées par les banques , en leurs qualités d’opérations financières , doivent bénéficier d’un cadre libéral en vertu de la règlementation des changes et qu’il appartient par conséquent à Bank Al Maghrib de fixer les modalités et conditions de leur réalisation.
Ces éléments suggèrent selon O.Bakkou qu’une bonne partie des restrictions touchant les produits financiers dérivés n’ont pas lieu d’être(les opérations effectuées par les banques) dans la mesure où la règlementation de ces opérations relève des compétences de la règlementation prudentielle de Bank al Maghrib.
Ainsi , une fois cette question évacuée , reste bien entendu un autre sujet non moins important concernant la règlementation des changes régissant les produits financiers dérivés.
Ce sujet concerne la règlementation des changes régissant les opérations effectuées par les personnes morales autres que les banques.
En effet, comme il a été indiqué lors d’un précédent entretien la règlementation des changes permet aux personnes morales , autres que les banques , d’effectuer des opérations de couverture dans des limites bien définies.
Ces limites soulèvent la question de leur pertinence économique. Cette question sera traitée dans le présent entretien.
Ecoactu.ma : Si on suit votre raisonnement , les opérations relatives aux produits financiers effectuées par les banques conformément aux modalités et conditions fixées par Bank al Maghrib doivent bénéficier d’un cadre libéral . Maintenant une fois cette question évacuée, quid des opérations relatives aux produits financiers qui ne sont pas effectuées par les banques ?
Omar Bakkou : Effectivement, l’IGOC-24 autorise les personnes morales marocaines à souscrire des couvertures directement auprès des courtiers négociateurs étrangers sur un marché international organisé, lorsque ces produits sont destinés à couvrir des risques inhérents aux fluctuations des prix des produits de base.
Ces opérations de couverture doivent être effectuées dans la limite de certains plafonds fixés par l’instruction précitée en fonction de la nature de la transaction objet de la couverture : exportation de biens, importation de biens et achat de produits de base au Maroc.
En effet, en matière de couverture des opérations d’exportation, le montant cumulé des souscriptions au titre de produits financiers dérivés ne doit pas dépasser la moyenne des chiffres d’affaires réalisés à l’exportation de biens lors des trois derniers exercices clos.
S’agissant des couvertures relatives aux opérations d’importation de biens, ainsi que pour les produits de base achetés au Maroc , le montant cumulé des souscriptions au titre de produits financiers dérivés, ne doit pas dépasser 25% de la moyenne des montants des biens importés ou achetés au Maroc lors des trois derniers exercices clos.
Ces plafonds sont à mon avis inappropriés et doivent par conséquent être supprimés.
Pourquoi ?
Pour bien saisir le caractère impertinent de ces plafonds, il conviendrait de faire un rappel de l’un des fondements de la règlementation des changes, à savoir le principe de l’adossement.
Ce principe symbolise l’idée que tous les prélèvements sur les avoirs en devises du Maroc doivent être effectués dans l’objectif de réaliser des opérations économiques internationales bien définies par cette règlementation.
Pour la mise en œuvre dudit principe, la règlementation des changes exige la présentation aux banques, préalablement à la livraison par ces dernières de devises , de documents justificatifs de l’effectivité des opérations précitées.
Ces documents permettent en effet d’attester qu’il s’agit effectivement des opérations pour lesquelles les devises ont été livrées.
Cette effectivité consiste dans la majorité des cas en une « effectivité présumée » et non pas réelle.
L’expression « effectivité présumée » est utilisée de manière délibérée pour montrer la différence qui existe entre l’effectivité des paiements au titre des marchandises importées au Maroc et l’effectivité des autres paiements ( paiements relatifs aux services rendus aux résidents par les non-résidents , etc.).
En effet, pour les paiements relatifs aux marchandises importées au Maroc, leur effectivité n’est pas présumée, mais réelle.
Cette effectivité est bien réelle en raison du fait que la valeur des marchandises qui rentrent au Maroc est vérifiée par l’Administration des Douanes et Impôts Indirects au moment de l’entrée de la marchandise au Maroc.
Ceci n’est pas le cas des paiements des opérations de services, paiements qui donnent lieu au transfert de devises sans contrepartie réelle prouvée, puisqu’elle n’existe aucune entité en charge de la vérification de la valeur de ces services préalablement à la livraison de devises par les banques, comme il est indiqué ci-dessus.
En effet, la vérification de l’effectivité s’opère à postériori, à l’occasion des contrôles sur place effectués par les services de la Direction Générale des Impôts ou de ceux de l’Office des Changes.
Ainsi, les éléments présentés ci-dessus suggèrent que le critère adopté par la règlementation des changes en matière de livraison de devises destinées à la réalisation de bon nombre d’opérations économiques internationales est celui de « l’effectivité présumée ».
Ce critère peut être appliqué aux opérations relatives aux produits financiers , selon des modalités plus « smart » que celles adoptées actuellement.
Comment ?
A travers la mise en place d’un cadre libéral en matière d’opérations relatives aux produits financiers dérivés qui permet aux personnes morales résidentes d’effectuer les paiements en devises , quel que soit leur montant , pour la réalisation d’opérations de couverture contre les risques inhérents aux fluctuations des prix des produits de base .
Cette permission serait accordée, sur présentation d’un document qui justifie « l’effectivité présumée » de l’opération , à savoir un document interne émanant de la personne morale qui souhaite souscrire des produits financiers dérivés , précisant les caractéristiques de l’opération de couverture envisagée.
Ce document peut être complétée éventuellement par les justificatifs prévus la règlementation des changes en la matière cités lors d’un précédent entretien : document présentant la politique de couverture du souscripteur (la charte de couverture).
Bien entendu, la vérification de l’effectivité réelle de ces opérations peut être effectuée à postériori par les services compétents en la matière.