Ecrit par Imane Bouhrara |
Mis sous pression en raison du Covid-19 mais également en raison de la faible production par notre économie d’emplois en nombre et en qualité, le marché du Travail subira une nouvelle pression puisqu’un peu plus d’une décennie nous sépare de la fermeture de la fenêtre d’opportunité démographique. Avec toutes les conséquences qui en découlent.
La fenêtre démographique, ce dividende humain, entre dans sa phase finale avant de se fermer aux alentours de 2038. Une opportunité qui, si elle n’est pas saisie, risque de se transformer en véritable facteur de pression à tous les niveaux, particulièrement le marché du travail.
Alors qu’a-t-on fait de ce dividende humain depuis plus de deux décennies ? Si l’on se réfère aux statistiques du HCP, en 2019, la population active de plus de 15 ans totalise 26.359.000 individus, dont 12.082.000 seulement sont des actifs (10.975.000 pourvus d’un emploi, 1.107.000 en situation de chômage et 14.277.000 sont en dehors du marché du travail et donc ne participe à aucune création de richesse). Donc plus de la moitié de la population active est ailleurs que sur le circuit de croissance et de développement. Il serait d’ailleurs utile de voir où se situe-t-elle exactement.
Aussi, cette deuxième décennie était-elle marquée par un taux d’activité entre 44 et 47 % (39,4 en 2020) à tout casser.
Et la situation ne va pas s’arranger pour autant, puisqu’hormis les chiffres catastrophiques de cette période de pandémie, puisqu’en 2020, la situation du marché du travail a connu, sous l’effet combiné de la pandémie de la Covid-19 et de la campagne agricole sèche, une détérioration remarquable caractérisée par une destruction des postes d’emploi, une chute du volume horaire du travail et une hausse du chômage, du sous-emploi et de l’inactivité ; il ne faut pas perdre de vue que la création d’emplois nets est passée de 144.000 postes en 2000-2009 à 69.000 sur la période 2010-2019.
Cela sans compter le phénomène de la destruction d’emplois devenu cyclique au gré des crises (subprimes, Covid-19… et d’autres chocs à l’avenir ne sont plus à exclure).
L’analyse des indicateurs du marché du travail au Maroc fait ressortir une évolution marquée par une baisse tendancielle du taux d’activité et du taux d’emploi et par une disparité de la répartition spatiale et sectorielle.
Sans oublier que la population du Maroc passera de 35,2 millions d’habitants en 2018, à 43,5 millions en 2050 selon les projections du HCP.
Si cela ne semble pas inquiétant en raison du faible taux de croissance démographique, c’est la modification de la structure des âges qui doit être observée et donc, il faut se préparer à ces changements démographiques qui constitueront une pression additionnelle sur le marché du travail si la croissance demeure atone.
En effet, la tranche de la population âgée de 15-59 ans, estimée à 21,1 millions de personnes en 2014, augmentera sensiblement pour atteindre 26,5 millions de personnes en 2040 puis 25,6 millions en 2050. L’effectif de la population âgée de 18-24 ans, considérée comme celle des nouveaux entrants au marché du travail, connaîtrait un faible accroissement de 4,3 millions en 2014 à 4,5 millions en 2032. Au-delà, elle diminuerait sensiblement pour atteindre 3,8 millions en 2050, enregistrant une baisse d’environ 10% sur la période des projections. Mais minimiser la perspective démographique ne peut pas cacher l’enjeu économique, puisque la situation de l’emploi ne va pas s’améliorer, bien au contraire.
Certes, ce dividende capital est nécessaire au développement de la société et à la création de richesses, il n’en demeure pas moins vrai que ces cohortes exercent une forte pression sur le marché du travail qui est déjà dans l’incapacité d’absorber les cohortes de nouveaux entrants.
La croissance mais pas que…
Le rythme de croissance de l’économie marocaine est, ainsi, passé de 4,8% en moyenne annuelle sur la période 2000-2009 à 3,5% sur la période 2010-2019 (2,8% entre 2018 et 2019) et se caractérise, en plus, par un contenu faible en emplois, ce qui ne permet pas d’absorber les nouveaux entrants sur le marché du travail.
Sur le plan démographique, la population active est appelée à croître avec de plus en plus de jeunes demandeurs d’emploi, exerçant ainsi une pression additionnelle sur le marché du travail. De plus, la population marocaine enregistrerait une tendance au vieillissement, influant ainsi sur la capacité d’absorption des systèmes de santé et de protection sociale et là c’est une autre paire de manche.
Moins de deux décennies nous séparent donc de la fermeture de cette fenêtre démographique ou la deuxième phase de la transition démographique, ce qui interpelle sur les conditions à mettre en place pour éviter que ce dividende ne devienne un goulot d’étranglement.
Autrement dit, comment parvenir à rehausser la capacité du pays à créer de la valeur et des emplois de qualité pour tous, et à répartir équitablement les fruits de la croissance.
Cette dynamique de création de valeur et d’emplois serait portée par une économie dynamique, entrepreneuriale, diversifiée, productive et innovante, et un tissu économique d’entreprises dense, compétitif et résilient, mettant à profit les nombreux avantages comparatifs du pays et ses richesses matérielles et immatérielles, dans tous les territoires, soutient le Nouveau modèle de développement.
Ce dernier avait proposé comme axes stratégiques à l’horizon 2035 de transformer l’économie nationale pour la faire évoluer d’une économie à faible valeur ajoutée et à basse productivité, avec des niches rentières et protégées, à une économie diversifiée et compétitive, portée par un tissu dense d’entreprises innovantes et résilientes.
La transformation économique doit générer plus de croissance et d’emplois de qualité pour intensifier la création de valeur et assurer l’insertion de la population active, en particulier les femmes et les jeunes.
Selon le NMD, la nouvelle croissance marocaine est appelée à être plus efficiente, en s’appuyant davantage sur les gains de productivité avec une meilleure allocation de l’investissement vers les capacités productives et une contribution plus forte du secteur privé.
Elle doit être plus résiliente, avec une base productive plus diversifiée, et plus riche en emplois, notamment formels, qualifiés et féminins. Enfin, la création de richesse doit être répartie plus équitablement entre les citoyens et entre les régions, en exploitant l’ensemble des potentialités économiques des territoires.
Pour atteindre ce nouveau palier de croissance, le Maroc doit amorcer une dynamique de transformation de son tissu productif.
Pour les auteurs du rapport NMD remis au Roi en mai dernier, quatre processus fondamentaux doivent être encouragés pour renforcer la sophistication de l’économie nationale et la faire converger vers la structure des économies les plus avancées : la modernisation du tissu économique existant afin qu’il soit plus formalisé, concurrentiel et productif; la diversification pour introduire de nouvelles activités et de nouveaux savoir-faire; la montée en gamme pour augmenter la valeur ajoutée locale; et enfin, l’internationalisation pour orienter les entreprises vers l’export.
Par ailleurs, l’Etat doit impérativement réviser le cadre incitatif pour orienter les investisseurs vers les activités productives et soutenir plus fortement le développement des PME. Les incitations publiques sont un outil d’orientation de l’investissement qu’il est nécessaire de mettre au service de la transformation productive et des objectifs du nouveau modèle en matière de croissance, d’emplois et de développement des entreprises, explique-t-on.
Mais en attendant que ce NMD soit concrétisé par un Pacte qui tarde à voir le jour, le temps file et les tendances qui semblent longues et lointaines arrivent à grandes enjambées !