Ecrit par Imane Bouhrara |
Depuis plusieurs années, le mariage des mineurs n’est plus un tabou au Maroc. Le cadre réglementaire a même été réformé pour lutter contre ce phénomène et les impacts qu’il peut avoir dans la société. Mais une récente étude montre bien qu’il y a encore du chemin à parcourir.
Entre 2015 et 2019, 57 % des autorisations octroyées pour le mariage de mineur au Maroc ont été délivrés en 24 seulement contre 36% après une semaine et 7% pour les demandes dont le temps de traitement dépasse une semaine.
Ce qui pose un sérieux problèmes quant au respect des conditions procédurales contenues dans le Code de la famille lors d’un mariage qui concerne une partie mineure.
Particulièrement une expertise médicale et une enquête sociale dans l’environnement du mineur qu’il soit fille ou garçon. Une situation que l’étude impute à la programmation quotidienne de séances de demandes (nombre élevé) d’autorisation de mariage mineur.
Les résultats d’une étude présentée ce 29 novembre 2021, à l’occasion d’une journée d’étude présidée par le Ministère public. Ce dernier étant très engagé pour limiter de l’étendue de ce phénomène, en partenariat avec l’UNICEF.
Une mobilisation qui entre également dans le cadre des engagements pris dans la Déclaration de Marrakech 2020 de la Justice, lancée sous la présidence effective de SAR Lalla Meryem en mars 2020.
L’étude qui présente une base solide pour dégager de nouvelles pistes pour lutter contre le mariage des mineurs révèle également le faible recours aux assistantes sociales dans la réalisation des enquêtes sociales pour toute demande d’autorisation, soit 12,42% des autorisations octroyées. Comme elle note une absence totale du recours aux autorités locales ou à la gendarmerie pour effectuer de telles enquêtes notamment dans les régions rurales loin du siège du tribunal.
Pour ce qui est de l’expertise médicale, 13,56% sont réalisés par des médecins spécialistes alors que dans le cas d’une fille mineure, le spécialiste en génécologie est plus habilité de réaliser l’expertise. Le recours à l’expertise de psychologues ne dépasse pour sa part les 0,29% alors qu’ils sont habilités à juger de la capacité psychologique, l’envie ou non du mineur de contracter mariage.
Par ailleurs, si sur la période 2015-2019, la Justice a autorisé 80.599 mariages de mineur, elle a procédé à 13.018 reconnaissances de mariage. Ce dernier point est jugé comme une façon de contourner la procédure spécifique et doit faire l’objet d’une approche juridique pour en limiter les conséquences.
Dans ce sombre tableau, une lueur d’espoir quant à l’impact des efforts consentis par le Ministère public que ce soit par la formation des juges du Ministère public ou par les différentes circulaires à ce sujet, est de repousser l’âge de mineurs autorisés à contracter mariage, vers la tranche de 17 ans et plus qui concentre la majorité des demandes.
A contrario, la majorité des conjoints mariés à des filles mineures se concentrent dans la tranche d’âge entre 20 ans et 35 ans, bien que l’étude montre que le mariage avec des mineures concerne toutes les catégories d’âge.
Aussi, concernant l’environnement social, l’étude montre-t-elle que la majorité des filles mariées mineurs sont issues de milieux difficiles voire très défavorisés et dans 74,30% dans des foyers où la décision est entre les mains du père.
L’étude montre que dans 11,3% des cas, le mariage d’une mineure est motivé par la pauvreté. Pis, parmi les activités économiques des conjoints de mineures filles, la forte présence des gens de l’enseignement ou des imams de mosquées, pourtant ces catégories doivent elles-mêmes contribuer à lutter contre ce phénomène.
Concernant la situation sanitaire des mineures filles, l’étude montre les effets néfastes sur la santé de ces filles puisque 82% des mineures ont enfanté au cours des premières années de mariage, elles sont également privées de couverture médicales, 26,37 % d’entre elles ont accouché à domicile sans suivi médical, 59,07 % des mineures nécessitent des interventions chirurgicales pendant l’accouchement que ce soit pour des césariennes ou pour épisiotomie en raison du fait que le corps de ces mineurs n’a pas atteint sa pleine croissance pour enfanter.
Sans oublier que dans 14% des grossesses de mineurs, produisent des complications pouvant causer le décès de la mère ou du bébé.
L’étude montre par ailleurs, que 13,30 % de ces mineures ont subi une violence psychologique alors que 22,30 ont subi des violences physiques, psychiques, sexuelles ou économiques… d’ailleurs 10,48% des mineures ont été expulsées du foyer conjugal.
L’étude livre plusieurs données statistiques sur le phénomène qui montrent que la lutte ne peut se limiter au niveau judiciaire, mais qui nécessite l’adhésion de tous pour opérer un changement de mentalité et une prise de conscience des conséquences fâcheuses du mariage des mineurs sur la société.
L’étude recommande dans ce sens que le ministère des Habous et Affaires islamiques mobilises les mourchidines et mourchidates vu leur rôle efficace à impacter l’opinion public à travers le discours religieux.
Le soutien des associations est également un levier important dans la lutte contre le mariage des mineurs, mais surtout au niveau des politiques publiques en ce sens de la participation de tous les acteurs étatiques, entre autres recommandations pour mettre fin à ce fléau qui menace l’enfance.