Ecrit par Imane Bouhrara I
Les éléments d’informations issus de la récente réunion tenue par la tutelle autour de la problématique de gestion de l’eau d’irrigation et la préparation de la prochaine campagne agricole, n’augure rien de bon. Après plusieurs épisodes successifs de sécheresse, le Maroc est ne passe de devenir le sixième plus grand importateur mondial de blé. Pourtant rien ne laisse entendre une remise en cause des choix de la politique agricole marocaine (Sic).
En dehors des périmètres du Loukkos et Tafrata, soit un total de 39 000 hectares, ce qui représente 6% de la superficie totale des grands périmètres irrigués, qui bénéficient encore normalement de l’irrigation, les autres grands périmètres (550 000 hectares, ce qui représente 78% de la superficie totale des principaux districts d’irrigation) subissent des restrictions sévères pour certains et l’arrêt de l’irrigation depuis plusieurs mois, et certains, depuis plus de quatre ans.
Le Maroc fait face à une crise de l’eau sans précédent que subit de plein fouet un secteur stratégique qu’est l’Agriculture : non pas seulement en tant que locomotive économique contribuant à hauteur de 12 à 13 % du PIB du Maroc et également parce que c’est un grand pourvoyeur d’emplois pour près de 38% de la population active occupée, mais parce qu’il est au premier front de la sécurité alimentaire du pays.
Compte tenu de l’évolution de l’activité de la pêche maritime à environ 3,9%, la valeur ajoutée du secteur primaire devrait se replier de 4,6% en 2024 après une croissance positive de 1,6% enregistrée en 2023, contribuant ainsi négativement de 0,5 point à la croissance du Produit Intérieur Brut au lieu d’une contribution positive de 0,2 point une année auparavant.
Par ailleurs, la superficie semée en céréales principales au titre de cette campagne est de 2,47 Millions d’hectares contre 3,67 Millions d’hectares en 2022/23, soit une baisse de 33%. La superficie récoltable est estimée à 1,85 Millions d’hectares, soit près de 75% de la superficie semée. Avec un rendement moyen prévisionnel au niveau national de 16,9 Qx/Ha, la production prévisionnelle des trois céréales principales au titre de la campagne est estimée à 31,2 Millions de quintaux contre 55,1 Millions de quintaux en 2022/23, en baisse de 43% par rapport à la campagne précédente. Par espèce, la production prévisionnelle est comme suit :
17,5 Millions de quintaux pour le Blé tendre ;
7,1 Millions de quintaux pour le Blé dur ;
6,6 Millions de quintaux pour l’Orge.
« Le Maroc enregistre l’une de ses pires campagnes céréalières depuis l’indépendance et devrait devenir en 2024 le sixième plus grand importateur mondial de blé ! », selon la plateforme Nechfate.
La production des 4 principales céréales marocaines (blé dur, blé tendre, orge et maïs) plafonnera cette année à 2.5 millions de tonnes, soit seulement un tiers des 7,3 millions de tonnes produits en moyenne les dix dernières années.
Les cultures céréalières étant majoritairement non irriguées, leurs rendements se sont écroulés cette année. Pire, des surfaces habituellement cultivées n’ont même pas été semées lors de cette campagne, ce qui témoigne d’un épuisement moral et financier de l’agriculture pluviale marocaine.
« Cette chute de la production nationale mène à une plus grande dépendance aux importations. Or une dépendance accrue augmente la vulnérabilité de l’Etat et de la population marocaine », selon la même source.
En effet, le marché international du blé est sujet à de nombreuses variations liées au contexte géopolitique et climatique dans les principaux bassins de production. La multiplication par deux des cours du blé en 2022 au début de la guerre en Ukraine témoigne ainsi de cette instabilité qui peut mettre à mal les finances publiques.
Cette année, le Maroc a « de la chance » puisque les importations ont explosé en volumes mais leur coût reste stable en raison de la baisse relative de la tonne de blé par rapport à 2022, explique-t-on.
La dépendance extrême du Maroc aux importations de céréales n’était pourtant pas une fatalité. En effet, il est possible de soutenir la production céréalière y compris dans des contextes semi-arides : irrigation, adaptation des itinéraires techniques, promotion de céréales paysannes résistantes à la sécheresse…
« Mais les politiques agricoles marocaines ont choisi un autre paradigme : « exporter pour mieux importer ». Pourtant, les importations ont pourtant explosé à un rythme supérieur à celui des exportations. Cela valait-il l’épuisement de ressources en eaux souterraines non renouvelables pour l’irrigation de ces cultures d’exportation ?
Cela paraît pour le moins discutable : le constat devrait nous inviter à changer en profondeur nos paris agricoles et alimentaires », s’interroge Nechfate.
Une question légitime qui fait l’objet de débat et de controverses depuis l’avènement du Plan Maroc Vert. D’autant que la défaillance de ce modèle en terme de résilience de l’agriculture aux caprices du ciel semble balayer du revers de la main toutes les avancées en termes d’investissement, agrégation, la croissance de la valeur ajoutée agricole, etc.
La problématique de l’eau d’irrigation prend tous de court ? Pas vraiment. Elle est certes exacerbée par la changement climatique mais surtout par des choix explicité d’une agriculture exportatrice avec une surexploitation des ressources hydriques. Et ce au détriment des cultures vivrière et la production céréalières, accentuant plus que jamais la dépendance à l’importation.
Dans de telles conditions assurer une souveraineté alimentaire, voire même sécurité alimentaire semble aléatoire.
La question qui se pose depuis des décennies et persiste encore : pourquoi le Maroc s’obstine-t-il à maintenir ce cap incertain pour ce secteur névralgique qu’est l’agriculture ? peut-être dans l’espoir d’une clémence du ciel qui lisse les erreurs des humains ?
La réponse est qu’il ne s’agit pas de rectifier le tir, mais de repenser de fond en comble nos choix de politique agricole et rurale pour désormais les mettre au service d’une véritable souveraineté alimentaire de notre pays.
Comme l’explique l’économiste Najib Akesbi dans un précédent entretien plus que jamais d’actualité « Il s’agit de faire mieux correspondre notre modèle de production avec notre modèle de consommation, dans le respect de la préservation de nos ressources naturelles et des équilibres sociaux et territoriaux. Concrètement, il faudrait inverser les priorités, en redonnant toute leur importance aux cultures que les Marocains n’ont jamais cessé de consommer, à commencer par les céréales et les légumineuses, mais aussi les cultures sucrières et oléagineuses. Élaborée encore une fois dans l’opacité et sans une évaluation crédible de la première version du plan Maroc vert, sa deuxième version, appelée Génération Green 2030 n’apparaît malheureusement guère meilleure que la première. Du point de vue qui retient notre attention ici, elle s’inscrit en tout cas dans la pure continuité de la première. Pour ce que l’on en sait, au vu des quelques « diapos » publiées dans la presse, cette nouvelle stratégie n’apparaît guère plus préoccupée que celle qui l’a précédée par la question de la sécurité alimentaire, et encore moins par celle de la souveraineté alimentaire… ».
Ne pas reconnaître une erreur et la rectifier, revient désormais à persister dans l’impasse.