Nombreux sont, et différents, ceux à vouloir partir. Néanmoins toutes, semblables, les raisons pour partir, Et c’est là qu’il faut agir.
« Au Maroc, la fuite des cerveaux inquiète »
Enième article sur la fuite des cerveaux au Maroc, celui-ci publié (hier), le 17 février, sur le journal le Monde, et signé par la correspondante freelance Théa Ollivier. Préjuger de la qualité du journal Le Monde n’est bien entendu pas à discuter, quoique l’approximation qu’il s’accorde dans le traitement de certains sujets de société, de pays étrangers, notamment le Maroc, nous laisse parfois dérangés. Préjuger de la partisannerie de Théa Ollivier, cela est un autre sujet.
En revanche, nous rappeler à notre exactitude, qui dénonce pis que pendre, les désastreuses conséquences des « intelligents » de chez nous qui veulent partir, peut commencer à relever du délire. N’est-ce pas là une occasion pour s’enorgueillir de tous nos intelligents qui partent car capables de la complexité du monde ? Là bien même une même occasion pour construire, de plus en plus d’intelligents ?
L’article rapporte l’actualité d’un sujet usé, celui des compétences « non valorisées », -et le terme est assurément inapproprié- celles-ci concernant des ingénieurs multi diplômés, qui préfèrent, expérience faisant, tout simplement, partir, ou re-partir.
Et pourquoi ne serions-nous pas fiers de voir nos enfants partir ?
Quand partir, est justement la meilleure façon pour fièrement représenter le Maroc et ses familles, sous d’autres cieux, en d’autres horizons. La meilleure façon de le couvrir des turlupinades graveleuses, de ceux qui fomentent et nous éhontent.
Quand partir pour le coup cette fois-ci, aux yeux des médias du monde, qui nous commentent et nous contentent, n’est pas pour réduire le Maroc, au nom de malheureux délinquants réduits en charpie, pour qui, on ne fait rien non plus pour les retenir. Ces malheureux étant davantage moins outillés pour partir.
Quand partir est le signe de l’attractivité du Maroc et de ses marocains, signe de l’intelligence de nos jeunes et d’une nation dans la construction de son destin.
Quand partir est tout simplement un rite de passage, comme quitter ses parents à l’âge adulte, comme se laisser quitter par ses enfants à un autre âge adulte, comme quitter le monde quand on a fini d’y accomplir son culte. L’ordre du monde s’exécute selon un certain ordre : préliminaire, liminaire (sur le seuil), et postliminaire. L’ordre de la nature et des saisons, tout simplement.
La question ne doit plus concerner le fait que nos jeunes partent, bien au contraire. Cela est bien naturel, est même un corollaire, et une bonne façon de ne plus continuer à voir les choses toujours à l’envers.
La crainte doit davantage concerner le discours rapporté par que ceux qui partent. Car, quoiqu’ils soient ingénieurs, ils acclament, ailleurs, le même registre de discours que les chômeurs : Le Maroc, la torpeur.
Car à ces enfants éduqués et instruits qui partent, on leur apprend à dire que le Maroc les laisse partir parce qu’il n’a rien à leur offrir.
Alors qu’on devrait leur dire qu’ils sont les chanceux à qui le Maroc a donné, pour justement sortir de leur creux, ouvrir les portes du monde, et aller bâtir.
Et quelle chance que de pouvoir partir, non parce qu’on a été chassé, négligé ou humilié, mais parce que, volontaires acteurs, nous avons toujours la chance de revenir. Pourquoi vouloir à tout prix les retenir ?
La chance de ne pas partir par dépit, mais pour s’ouvrir à la chance de pouvoir intrinsèquement s’enrichir.
Nos enfants ne nous appartiennent pas plus que nous appartenons à une seule terre, une seule identité, une seule nationalité. Nous devons nous rapporter à l’échelle du citoyen du monde pour justement bien représenter sa communauté, et précisément échapper aux réductions des discours communautaires, instrumentalisés. Entendriez-vous les français, les coréens, ou les américains, se plaindre de voir leurs enfants quitter leurs pères et mères, leurs sœurs et frères, vers d’autres champs des possibles ? NON.
Il ne faut pas craindre que le Maroc se dépeuple, notamment de ses compétences. Le Maroc ne se videra pas.
Il faudrait craindre pour ceux qui y restent, qui s’assomment dans le système, ou ceux qui s’assument, s’accommodent et finissent dans ce même système.
Il faudrait craindre pour ceux qui veulent y venir ou y revenir, et pour ceux qui ne souhaiteraient jamais y atterrir.
Il faudrait craindre que la crainte ne concerne que les filières des nouvelles technologies, pour laquelle des discussions avec un certain Bruno le Maire chercheraient à éviter « la fuite des cerveaux », alors qu’on annonce en même temps que le Japon est le premier employeur privé étranger au Maroc. Voyez bien comment tout est représentation, et choix de représentation, selon les histoires, les cultures et les civilisations. Et par conséquence le choix des solutions. Nos solutions ne doivent certainement pas être entre les mains de Bruno le Maire.
Eviter la fuite des cerveaux dit-on, mais cette fuite n’est pas plus grande que la fuite assumée sur toutes les autres filières. Quelle autre voix que celle de Mme Karkri pour défendre les autres filières, qui n’ont nulle autre part ailleurs pour fuir ? Qui pour empêcher par ailleurs d’autres inégalités, d’autres offres de compétition, ou de compromission?
Le Maroc a manqué d’apprendre à nos jeunes l’amplitude d’un Maroc fort de son histoire et de sa civilisation. Une histoire qui leur aurait permis ne jamais douter de la foi de leur pays en leurs prédispositions.
Laisser nos enfants partir doit être une idée tout aussi juste que de négocier de justes accords de libre-échange et autres divers partenariats. Le contraire serait injuste, et ne participerait pas du même juste discours de libre circulation.
Laissons-les partir mais offrons leur d’autres histoires pour les encourager à partir. Des histoires pas pour nécessairement les voir revenir. Mais des histoires pour leur permettre de grandir, et de là où ils sont, aider le Maroc à se construire. De belles histoires qu’ils auront à raconter et à redire, pour voir d’autres au Maroc venir.
Pour arrêter de les entendre dire, ailleurs, qu’ils ont quitté le Maroc pour ne pas s’y voir périr.
C’est en changeant de paradigme de discours, notamment accusateur ou victimaire, que les solutions, égalitaires, peuvent être envisagées. C’est alors et ce n’est qu’à ce moment là, qu’on pourra mieux jaspiner.