Lors des deux précédents entretiens, l’économiste Omar Bakkou a essayé de démystifier le modèle économique adopté par le Maroc. Il a à cet égard qualifié ce modèle de patchwork. De prime abord, il faut selon lui définir ce qu’est un modèle social.
-Qu’est- ce qu’un modèle social alors ?
Toutes les sociétés doivent faire face à une réalité fondamentale.
Cette réalité réside dans le fait qu’aucun individu ne peut subvenir à ses besoins par son propre travail pendant toutes les phases de sa vie.
En effet, l’invalidité, la maladie, la vieillesse sont des exemples de périodes où la capacité de gain est réduite.
Pour pallier ce problème, tous les pays se trouvent contraints de mettre en place des mécanismes pour assurer une certaine « sécurité économique » à l’ensemble des citoyens .
La sécurité économique signifie la satisfaction des besoins minimums de base des citoyens durant toutes les phases de leurs vies, notamment l’alimentation, le logement, les soins médicaux, etc.
Ces mécanismes de sécurité économique mis en place par la société (l’Etat et les entités privées ) définissent, selon leur diversité, le modèle social adopté par un pays donné.
Ces modèles peuvent être différenciés grossièrement en deux principales catégories.
La première catégorie pourrait être qualifiée de « modèle social privé ».
Alors que la seconde catégorie, elle serait qualifiée de « modèle social public ».
– Modèle social privé, c’est quoi au juste?
Il s’agit d’un modèle où les mécanismes de sécurité économique sont établis par les entités privées et non pas par l’Etat.
Cette privatisation de la sécurité économique, pratiquée particulièrement aux Etats-Unis, tire sa substance d’une fameuse citation du président américain Ronald Reagan .
Cette citation est la suivante : « la pauvreté ne concerne pas l’Etat. C’est une affaire de morale et de charité ».
Le « modèle social privé » est un modèle qui confie, par conséquent, la gestion du « dossier de la sécurité économique » à deux principales catégories de mécanismes.
La première catégorie regroupe les instruments relevant du marché.
Quant à la seconde catégorie, elle regroupe les instruments relevant de la morale.
–Quels sont les instruments relevant du marché ?
Les instruments relevant du marché comprennent deux composantes : la libéralisation des marchés et l’assurance privée.
La libéralisation désigne l’extrême flexibilisation des différents marchés (marché du travail, marché des capitaux, marché des biens, etc.).
Cette flexibilisation permet de garantir au maximum de citoyens la possibilité de générer un revenu , et partant, de satisfaire les besoins minimums de base .
En effet, un marché du travail libre des entraves règlementaires (salaire minimum, indemnités de licenciements, etc.) encourage les chefs d’entreprises à recruter et améliore par conséquent l’emploi.
De même qu’un marché des capitaux marqué par la souplesse des conditions de financement permet aux porteurs d’idées de trouver facilement les fonds nécessaires au financement de leurs projets.
En outre, un marché de biens et services libéré des barrières à l’entrée facilite l’entreprenariat et la création de richesses.
S’agissant de l’assurance privée, elle permet de garantir aux personnes ayant au préalable contribué au financement de cette assurance (par le prélèvement des cotisations obligatoires) la possibilité de satisfaire leurs besoins éventuels (se soigner en cas de maladie).
-Quels sont les instruments relevant de la morale ?
Les instruments relevant de la morale comprennent diverses actions (aides monétaire ou en nature) émanant des entités privées (fondations privées, la famille, etc.).
Ces instruments visent à permettre aux personnes déconnectées de la machine économique (handicap, veuves, chômeurs etc.) de satisfaire les besoins minimums de base : alimentation, logement, soins médicaux, etc.
-Vous avez défini ci-dessus le concept de modèle social privé, quid du « modèle social public » ?
Un modèle social public qualifie les régimes adoptés par les pays dans lesquels les mécanismes de sécurité économique sont gérés pour une large part par l’Etat.
Ces régimes proches de ceux adoptés par certains pays qualifiés par Albert Michel de pays du modèle Rhénan (l’Allemagne, le Japon, certains pays nord européens comme la Suède, etc.) s’opposent en effet au régime adopté par les Etats-Unis.
Cette opposition peut être symbolisée, par analogie avec la fameuse citation du président américain Ronald Reagan, comme suit : « dans ces pays, la pauvreté concerne l’Etat. C’est une affaire qui ne peut pas être laissée à la morale, mais doit être prise en charge par l’Etat ».
En effet, pour lutter contre la pauvreté, le modèle social public garantit la sécurité économique des citoyens à l’aide de « mécanismes assurantiels solidaires ».
Ces mécanismes sont qualifiés de solidaires dans la mesure où les personnes connectées à la machine économique paient une prime supplémentaire pour assurer la sécurité économique des personnes déconnectées de cette machine.
-Et à votre avis, ou est-ce que l’on pourrait situer notre modèle social ?
A l’instar de notre modèle économique, notre modèle social peut être considéré comme un patchwork .
En effet, notre modèle ne peut pas être rangé parmi ceux qualifiés de libéraux ni parmi ceux interventionnistes.
-Pourquoi, considéreriez-vous que notre modèle social ne peut pas être classé parmi les modèles libéraux ?
Notre modèle social ne peut pas être considéré comme un « modèle social privé », pour deux principales raisons.
La première raison réside dans le fait que nos marchés ne sont pas suffisamment flexibles pour insuffler une dynamique d’inclusion par le travail.
En effet, ces marchés demeurent entachés de plusieurs rigidités.
Ces rigidités comprennent plusieurs facteurs bloquants : les barrières directes ou indirectes pour l’accès aux différents marchés, les difficultés pour les porteurs d’idées d’accéder facilement au financement, les charges fiscales et sociales décourageantes quelques fois pour les chefs d’entreprises, etc.
Quant à la seconde raison, elle réside dans ce que l’Etat pratique la politique des prix comme mécanisme d’aide sociale .
Cette politique consiste à offrir une palette assez large de biens et de services soit à titre gratuit soit à un prix plus faible que celui du marché : éducation, santé, eau, électricité, gaz, mobilité intra-urbaine, etc.
-Et pourquoi, considéreriez-vous que notre modèle social ne peut pas être classé parmi les modèles sociaux interventionnistes ?
Notre modèle social ne peut pas être qualifié de « modèle social public » pour deux principales raisons.
La première raison réside dans le fait que les mécanismes mis en place par l’Etat sont largement en deçà du niveau nécessaire pour garantir la sécurité économique de tous les citoyens.
Quant à la seconde raison, elle réside dans ce que notre modèle recèle certains aspects qui le rapprochent de celui privé.
-Insuffisance des mécanismes de sécurité économique au Maroc, pourriez-vous nous en parler davantage ?
Effectivement, les mécanismes de sécurité économique existant au Maroc demeurent largement insuffisants.
Cette insuffisance concerne aussi bien « les personnes connectées à la machine économique » que celles « déconnectées de cette machine ».
-Insuffisance des mécanismes de sécurité économique alloués aux « personnes connectées à la machine économique » : pourriez vous nous en parler davantage ?
Oui effectivement, ces personnes ne bénéficient pas tous d’une sécurité économique totale , notamment des régimes de retraite, de garantie contre le chômage et de couverture médicale.
En effet, en matière de retraite , environ 40% de la population active n’a pas un revenu garanti après la retraite( seul 60% de cette population adhère aux régimes de retraite).
S’agissant de la garantie contre le chômage, les personnes travaillant dans le secteur privé n’ont pas un revenu garanti en cas de perte d’emploi.
Ces personnes bénéficient plutôt d’un système d’aide au retour sur le marché du travail sous forme d’une indemnité allouée par la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS).
Pour ce qui est des régimes de couverture médicale, la population active ne bénéficie pas encore d’un système de couverte médicale complet .
-Quid de l’insuffisance des mécanismes de sécurité économique alloués aux « personnes déconnectées de la machine économique » ?
Les « personnes déconnectées de la machine économique » bénéficient de certains mécanismes d’aide publique.
Ces mécanismes comprennent : le programme d’aide aux femmes en situation de précarité divorcées ou veuves ayant des enfants à charge , le mécanisme d’aide(tayssir) au profit des ménages vivant dans les communes les plus pauvres, l’Initiative Royale « un million de cartables ».
Ces mécanismes de sécurité économique demeurent bien entendu très insuffisants.
–Vous dites ci-dessus que notre modèle recèle certains aspects qui le rapprochent de celui privé. Pourriez-vous nous donner plus de précisions à ce sujet ?
Effectivement, notre modèle social recèle certains aspects qui le rapprochent de celui privé.
Ces aspects sont liés à l’importance des flux monétaires et en nature alloués dans le cadre de l’aide sociale dispensée par les entités privées.
Ces aides comprennent celle familiale, celles émanant des associations privées, celles données dans le cadre de la zakat et celles données à titre individuel aux mendiants dans la rue.
Ces différentes catégories d’aide ont enregistré en effet un développement remarquable durant les dernières années.
Cette affirmation peut être étayée par plusieurs indicateurs palpables, tels l’évolution des transferts des MRE, les chiffres émanant de certaines enquêtes sur la mendicité au Maroc, etc.
1 comment
Mon opinion concernant sur le fait que , les populations qui ont pied l’administration et qui n’arrive pas à avoir les prises en charge médicaux . Sur ce point le gouvernement doit mettre une importance capitale dessus, tandis c’est cette population qui est le gérant de l’économie and lors de l’insatisfaction pour son travail entraînera des conséquences économique.