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« Bienheureux celui qui s’aperçoit que la douleur n’est pas une couronne de gloire », José Luis Borges, Eloge de l’ombre.
- Loin des bains de lumière chaude, un confiné clame sans spleen : « Homme libre, toujours tu chériras la mer ».
- Plongé dans un miroir, un confiné écoute la plainte des vagues : pourquoi sommes-nous livrées à la solitude sous les ailes de mouettes ivres de silence livide.
- Un confiné se souvient que Al-Mutanabbi, captif de la grippe, peint la fièvre comme une aimante qui vient à lui la nuit. Il éteint alors pudiquement son dépit.
- Je n’ai pas de chat dans l’ici-bas, se plaint un confiné. Son interlocuteur lui répond : tous les chats des ruelles sont à toi. Le mot « chat » est homonyme de « chance » en arabe. De quoi donner sa langue au félin par deux fois.
- Hanté par le contrôle de police, un confiné affiche son autorisation de sortie du domicile lors de ses excursions sur la toile.
- « Prolétaires de tous les pays, excusez-moi ». Tel est le futur testament du virus que lit un confiné dans les lignes de sa main.
- A force de traîner dans la cuisine, un confiné déclare à sa compagne qui doute de ses sentiments: « L’amour c’est que tu sois pour moi le couteau avec lequel je fouille en moi ». Comme Kafka à Milena.
- Le soleil et la mer : deux fruits défendus, se plaint un confiné en croquant une pomme. Est-ce par la faute d’un péché final, ajoute-il.
- De peur d’être contaminé, un confiné rasent les murs, fussent-ils imberbes. Sa consommation favorite : masques et lames de rasoir.
- Feuilletant « Le château », un confiné croise les maîtres-mots de gîte, d’abri, de logis. Aussitôt il fait : Kafka cessez nos allusions.
- Un mystère tourmente un confiné : les couleurs s’évanouissent, les objets perdent leur âme, les intimités s’altèrent,les mots s’alourdissent, les sentiments se pâment, il n’y a ni endroit, ni envers.
- « Il est juste qu’on m’envisage/après m’avoir dévisagé ». Un confiné imbu de lui-même est peiné de donner congé à cette maxime de Cocteau qu’il fait sienne.
- « Où allons-nous ? toujours à la maison », Un confiné ne cesse de répéter cet éloge du besoin d’être chez soi de Novalis pour se consoler du mal de l’immobilité.
- Délaissé, le réveil suspend le vol du temps. Le confiné le menace de vente dans un prochain vide grenier tant qu’il désire que les jours soient aussi rapides que les nuages.
Par Rédouane Taouil,
Ancien des écoles primaire et secondaire publiques du Maroc.