Cinq ans, 2021-2026, pour le déploiement de la généralisation de la couverture sociale pour inclure 22 millions de bénéficiaires supplémentaires est un réel défi qui se pose pour les autorités publiques. D’abord parce que cela intervient dans un contexte contraignant pour financer un tel chantier mais aussi parce qu’aussi bien la couverture médicale de base que les autres prestations sociales requièrent des réformes de fond qui n’ont que trop traîné.
La pandémie de la Covid-19 a mis en exergue l’importance et l’urgence de programmes sociaux pour une équité sociale véridique dans notre pays. Si au cours de cette année 2020, l’Exécutif a dû « bricoler » pour éviter une catastrophe sur les plans social et sanitaire, le colmatage ne peut s’éterniser.
D’autant que les autorités publiques sont acculées à mettre en œuvre à partir de janvier 2021 des orientations royales contenues dans le discours du Roi Mohammed VI en date du 29 juillet 2020 à l’occasion de la fête du Trône.
Le cap fixé est clair : déploiement progressif sur cinq ans de la généralisation de la couverture sociale au profit de tous les Marocains à partir de janvier 2021. Ce déploiement se fera en deux phases telles que décrites dans le discours royal : la généralisation de l’Assurance Maladie Obligatoire (AMO) et des allocations familiales (2021-2022) et ensuite les autres couvertures sociales que sont la retraite et l’indemnité pour perte d’emploi (IPE).
Ce chantier majeur, prélude à une meilleure équité sociale, a suscité beaucoup d’espoir dans le contexte actuel mais en réalité, il se heurte à des difficultés majeures.
D’abord, le nombre des bénéficiaires supplémentaires s’élève à 22 millions, comme l’a annoncé le ministre de la Santé ce lundi 26 octobre lors de la séance des questions orales au Parlement. Ce qui pose la question du financement d’un tel déploiement et sa pérennité. En effet, dès que le PLF 2021 a été dévoilé, l’institution d’une contribution sociale de solidarité qui permettra de générer des recettes d’environ 5 milliards de dirhams qui seront affectées au « Fonds d’Appui à la Protection sociale et à la Cohésion Sociale », a suscité de vives réactions, aussi bien des parlementaires que des syndicats.
D’autant que cette contribution intervient dans un contexte de crise économique et contribue dans l’érosion du pouvoir d’achat des ménages marocains déjà éprouvés par les répercussions de la crise Covid-19.
La question tout aussi légitime qui se pose est s’il s’agit d’une mesure provisoire auquel cas, comment assurer la pérennité de cette généralisation de la couverture sociale ? Pourquoi l’Etat ne cherche-t-il pas d’autres modes de financement et puiser dans les ressources des fonds ici et là ?
A deux mois du démarrage de ce déploiement de la généralisation de cette couverture, il n’existe pas encore d’ébauche de la mise en œuvre de cette orientation royale. D’autant que le Roi avait appelé le gouvernement, en concertation avec les partenaires sociaux, à parachever l’élaboration d’une vision pragmatique globale, il y a de cela trois mois (le discours a été prononcé fin juillet).
L’amont aussi pose de sérieux problèmes
Au-delà de la problématique de financement se pose la question des prestations qui devront être fournies dans le cadre de la généralisation dans un premier temps de la couverture médicale de base.
De prime abord, cette généralisation implique inéluctablement une révision de la loi 65-00 portant code de la couverture médicale de base (AMO et RAMED) et une refonte des régimes de couverture médicale dans la perspective de créer une couverture médicale assurancielle universelle et unique qui englobe toutes les catégories de bénéficiaires (AMO, Ramed, professions libérales…).
Cela induit par ricochet la réforme du financement de l’écosystème de l’assurance maladie obligatoire de base en associant tous les acteurs territoriaux et une évaluation du panier actuel des soins.
Pour l’amont, le ministère de la Santé a du pain sur la planche notamment l’augmentation des capacités de l’écosystème national de santé pour faire face aux besoins nationaux en soins et pallier les risques de perturbation de l’approvisionnement sur le marché international, comme ce fut le cas pendant cette pandémie de la Covid-19.
Le ministre de la Santé est conscient d’ailleurs de l’importance de la mise en œuvre rapide et efficiente du plan stratégique pour l’amélioration de la prise en charge médicale au Maroc. Certes il y a eu peu de temps depuis sa nomination et son début de mandat a été des plus difficiles avec la pandémie, mais l’heure tourne pour son département.
D’autant qu’un tel plan stratégique ne saurait réussir sans l’adoption d’un statut de fonction publique sanitaire avec ce que statut implique comme amélioration des conditions de travail du corps médical et de révision de sa rémunération afin d’enclencher l’amélioration de la qualité des services médicaux.
Et ce n’est pas fini puisqu’il faut également préparer et mettre en œuvre le programme sanitaire régional (avec un schéma de l’offre de soins déclinée en régions) pour éviter les « zones blanches » dépourvues d’infrastructures médicales. En effet, élargir la couverture sociale et médicale est un levier de justice et équité sociale mais qui sera handicapé par l’absence d’infrastructures de soins en régions, seul gage d’équité spatiale dans l’accès aux soins.
Il n’y a qu’à consulter la carte sanitaire du Maroc pour comprendre qu’il existe un grand gap à combler dans ce sens.
La réforme de la retraite ? Motus et bouche cousue
Après la première phase qui couvre la période 2021-2022, démarrera la deuxième phase du déploiement de la généralisation de la couverture sociale à savoir la retraite et l’indemnité pour perte d’emploi.
Pour ce premier point, la retraite également en chantier et après les premières mesures paramétriques, ce dossier est traité en catimini par les autorités publiques.
En effet, ce volet-là n’est jamais dévoilé à l’opinion publique à l’occasion de présentation des rapports annuels de l’ACAPS au chef de gouvernement. Donc, il est difficile de se prononcer sur l’évolution de cette réforme aussi bien au niveau de chacun des pôles public et privé encore moins sur le scénario de refonte en un régime unifié.
Ceci dit, cela laisse présager tous les ajustements à faire pour y inclure les nouveaux bénéficiaires tout en veillant à l’équilibre financier des différents régimes en attendant cette réforme de la retraite qui avance très lentement.
Pour ce qui est de l’indemnité pour perte d’emploi entrée en vigueur le 1er décembre 2014, guère mieux puisque le précédent ministre de l’Emploi avait annoncé il y a plus d’une année qu’une révision de l’indemnité pour perte d’emploi est prévue pour améliorer ce dispositif.
Certes, le 18 octobre 2018 le Conseil d’administration de la CNSS avait décidé de soumettre au Chef du gouvernement les différents scénarios relatifs à l’amélioration de ce dispositif notamment via l’amélioration des procédures tout en garantissant sa pérennité, mais pour le moment, aucune décision n’est encore prise.
C’est dire que cette généralisation se heurte à plusieurs dysfonctionnements et défis qui plus sont exacerbés par un contexte de crise qui ouvre de nouveaux foyers sur lesquels l’Exécutif est également attendu en priorité. Aujourd’hui, après des années où certaines réformes traînent, les autorités publiques sont dos au mur. Et l’heure tourne !