Ecrit par I. Bouhrara I
Après l’euphorie de 2021 avec un taux de plus de 7%, la croissance au Maroc est revenue à son cycle atone. Pourtant, le pays dont le modèle de développement était essoufflé, n’est pas resté les bras croisés. Faut-il pour autant se résigner à nourrir ad vitam aeternam cette ambition de l’émergence ?
Voilà six ans que le discours royal d’octobre 2017 à l’ouverture de la session d’automne du Parlement avait évoqué l’essoufflement du modèle de développement du Maroc et l’importance d’élaborer un modèle de développement équitable et équilibré, offrant de l’emploi, des revenus, des richesses, une équité sociale et spatiale… C’est dans ce sens que la CSMD a été mise en place débouchant sur de axes stratégiques de développement dont celui de la restructuration de l’économie, et une hypothèse de croissance moyenne annuelle de 6%.
D’ailleurs une telle moyenne sur une longue durée fait l’unanimité quant à la possibilité de rejoindre le club des économies émergentes et sortir enfin du piège des économies à revenus intermédiaires.
L’enthousiasme est vit tombé en 2020 en raison de l’onde de choc mondial provoqué par le Covid-19 suivi d’une euphorie suite à plus de 7% de croissance en 2021 bien que les économistes évoquent un effet de rattrapage, pour enfin revenir à un cycle de croissance très moyen entre 2022 et 2023. Même le PLF 2024 ne sort pas des rangs d’un cycle de croissance atone.
Il faut dans ce sens souligner que des chocs exogènes ont grandement contribué à ce résultat bien timoré mais pas seulement… certes la pandémie a donné lieu à une crise des prix des matières premières suivie de l’inflation et de l’endettement… mais aussi en raison de la faible résilience des secteurs stratégiques comme l’agriculture à des éléments tellement récurrents dans notre histoire, à savoir les cycles de sécheresse.
Pourtant, en économie comme en guerre, une bonne stratégie est celle qui anticipe les mouvements ennemis et qui garde toujours des munitions à portée de main; et un modèle de développement efficient doit appréhender tous types de chocs qui peuvent survenir.
Et c’est dans ce sens, qu’en plus d’assoir les fondements de l’État social, les discours du Roi vont jeter les bases de deux stratégies importantes à savoir l’eau et l’investissement.
Les conditions d’une relance du cycle de croissance sur des bases plus fortes sont-elles réunies ?
Selon la lettre mensuelle d’octobre du Centre marocain de conjoncture (CMC), le profil de croissance pour l’exercice en cours semble s’inscrire dans le prolongement de cette tendance avec un rythme de progression de l’activité relativement modeste qui se situerait selon les hypothèses de projections les plus favorables autour de 3 %.
Cette perspective témoigne des difficultés réelles de l’économie à s’affranchir des pesanteurs des structures productives et des limites qu’imposent un environnement économique fluctuant et empreint d’incertitudes. Elle rappelle par certains aspects le piège des économies intermédiaires où l’accès à des paliers plus avancés de croissance demeure tributaire de l’accélération des transformations structurelles profondes permettant la diversification productive, l’intégration des nouvelles technologies et l’amélioration de la productivité des facteurs.
Pour le CMC, la rupture avec cette tendance appelle l’adoption d’une stratégie économique sur le moyen-long terme qui privilégie les politiques mettant en œuvre les réformes profondes favorisant les transformations structurelles afin de libérer le potentiel de développement du système productif dans toutes ses composantes.
Il s’agit en quelque sorte d’initier des programmes d’action adaptés dans le cadre d’une stratégie globale permettant la meilleure sortie possible du piège des économies intermédiaires, marquées en particulier par une croissance molle, fluctuante, faiblement créatrice d’emplois et insuffisamment inclusive.
Si le CMC insiste sur la question des ressources notamment hydriques et énergétiques dont vertes, le développement des infrastructures de base constitue par ailleurs l’autre axe déterminant pour la dynamisation du processus de croissance et l’activation de ses ressorts internes et contribue également au renforcement des capacités de résilience de l’économie et de la société de manière générale.
Reconstruction d’Al Haouz, Mondial 2030… sont autant de promesses de la relance du processus de croissance à travers les grands projets d’infrastructure, mais pour les conjoncturistes, elles ne peuvent être tenues sans leur accompagnement par des politiques actives visant le développement du capital humain.
« La sortie du piège d’une croissance molle et insuffisamment inclusive ne peut réellement se concevoir dans le contexte concurrentiel d’aujourd’hui sans un investissement massif dans le système d’éducation et de formation, seul capable de générer plus de gains en termes de compétitivité, de productivité et d’innovation », souligne le CMC.
Par ailleurs, les fondements de l’État social peuvent constituer des leviers importants du développement du capital humain qu’il importe de promouvoir dans le but d’assurer une cohésion sociale à même de soutenir et consolider l’effort global de développement.
Pour les conjoncturistes, les conditions d’une relance du cycle de croissance sur des bases plus fortes semblent mieux se préciser, particulièrement en raison de l’effort d’investissement à engager dans les années à venir et dont certaines grandes composantes sont actuellement connues comme celles relatives à la reconstruction ou encore celles ayant trait au développement des infrastructures sportives, qui augurent d’une forte accélération de la croissance avec un taux pouvant dépasser la moyenne de 5,5% par an à l’horizon 2030.
Ce qui est bien en deçà d’une croissance du PIB supérieur à 6%, et ce pendant plusieurs années pour prétendre à l’émergence et ce qui est même en deçà des projections du CMC dans son ouvrage « Maroc 2030, quelles voies d’émergence » paru en 2017.
Ce qui démontre de la complexité de réaliser cette ambition de l’émergence face à une conjoncture fluctuante, des chocs répétitifs mais aussi et surtout de la capacité du Maroc à mobiliser tout son potentiel.