Ecrit par Imane Bouhrara I
Il est très difficile de parler d’un modèle marocain de gestion territoriale de la culture et il est encore très difficile d’élaborer un modèle durable, vu l’importance de la culture dans la dynamique des territoires et de la société. C’est à cet exercice épineux que s’est livré OTED. Détails.
L’initiative citoyenne OTED a organisé ce 1e juin un débat sur la nécessaire prise en compte de la dimension culturelle au sein des plans de développement local. Sous forme de webinaire, la rencontre s’est voulu un espace d’échange sur les initiatives et les bonnes pratiques que les acteurs non étatiques peuvent entreprendre en étroite collaboration avec les entités territoriales, en vue de promouvoir la culture et sa déclinaison au niveau du territoire et en faire un outil de marketing et d’attractivité territoriaux. Et autant dire qu’il y a beaucoup de pain sur la planche. Car à la base, il est très peu probable que nous disposions d’un modèle, de surcroît migrer vers un qui soit plus durable.
D’ailleurs c’était le thème de cette rencontre « Culture et territoires : en quête d’un modèle durable ».
L’autre problématique tellement évidente, quelle place à la culture au niveau central pour quelle déclinaison au niveau local ? Ce sont autant de question auxquelles les intervenants ont apporté des réponses diverses pour essayer d’esquisser des recommandation vers un modèle durable. Et autant le dire les goulots d’étranglements sont légion. A commencer par la multiplicité des intervenants et les interférences notamment au niveau local. Ce qui pose un problème procédural de la gestion culturelle au niveau local et constitue un frein lors du vote des budgets et surtout l’exécution des projets.
Comme l’explique Hicham Abkari, Directeur du Théâtre Mohammed VI qui insiste que le fait que la mise en œuvre d’une politique publique culturelle ne se résume pas seulement au soutien financier.
Il relève que la culture, le terme ou le chapitre n’existe pas dans le budget d’une collectivité territoriale en tant secteur, et est limitée à une perception sociale d’un poste de dépense d’aide sans réellement en mesurer l’impact.
L’exemple des complexes culturelles gérées par les communes : chez le ministère de la culture l’assimilation d’un complexe c’est l’équivalence d’un service, chez une commune c’est des murs.
Certes dans les CT il existe des Services des affaires culturelles, mais est-ce pour autant avec une conscience culturelle de l’importance de la chose culturelle ?
Il a fait d’ailleurs référence à la perception de la culture au niveau institutionnel telle que consacré par la Conférence mondiale sur les politiques culturelles de l’UNESCO à Mexico en 1982.
Tout en rappelant que ministère de la culture n’est pas seul, il y a également les collectivités territoriales (CT) qui ont cette spécialité commun, Hicham Abkari a cité d’autres intervenants au niveau local, notamment l’INDH, la Fondation Mohammed VI pour la solidarité, les fondations des institutions publiques qui opère selon un modèle un modèle de gestion proche de celui français. A contrario, un pays comme les Etats-Unis n’a pas de ministère de la culture, et ce n’est pas pour autant que la culture y est inexistante, en référence à la diversité des modèles possibles à travers le monde.
Mais quelque que soit le modèle, pour Hicham Abkari, au niveau des CT particulièrement les communes locales, il est primordial de mettre en œuvre un plan d’action communal qui regroupe des objectifs précis avec des indicateurs de performance clairs.
Il ne faut surtout pas réduire l’action publique culturelle au niveau local à la distribution des aides, qui peuvent provoquer une situation de rente culturelle.
Les CL doivent également faire le plaidoyer dans la discussion des budgets en proposant des réalisations précises. Le côté fiscal aussi pour soutenir la culture. C’est prioritaire, conclut-il.
Dans le débat a été évoqué la responsabilité des médias dans l’action culturelle notamment au niveau local. Dans ce sens Abdessamad Benchrif, Directeur de la chaîne Attaqafiya (SNRT), a insisté sur le fait que culture est l’un des principaux piliers du développement.
Et de ce fait, les médias ont un rôle central dans le « promotion » du discours culturel qui reflète la diversité et assoir une information de proximité de diffusion des composantes culturelles, linguistiques et identitaires d’une société telle que la société marocaine.
« Aucune efficience et efficacité culturelle n’est possible sans marketing, sans promotion, sans soutien et sans diffusion à travers les médias. Le pôle public a une responsabilité centrale dans ce sens où il assure un service public et cela suppose qu’il ait une vision structurée en considération du fait que la culture est un des droits des citoyens, comme dispose la Constitution du Maroc et différentes conventions internationales. Ce rôle est renforcé face à l’influence des flux, notamment sur les réseaux sociaux qui sont parfois négatifs, pour prémunir la société et assurer un plaidoyer des valeurs constitutives de l’identité marocaine », estime-t-il.
Il soulève par ailleurs une question épineuse celle d’une volonté forte et stratégie culturelle au niveau de l’État, du gouvernement et des collectivités territoriales, encore faut-il qu’elles soient complémentaires dans le cadre d’une vision globale qui priorise la culturelle à l’instar d’autres secteurs et comme composante incontournable du développement de la société.
Et cela suppose la présence au sein de ces différentes composantes de personnes ayant le souci et l’aptitude de la chose culturelle.
Idem pour la société civile dans son action continuelle en faveur de la culture et pas uniquement de manière occasionnelle lors d’évènements ou manifestations culturelles. La culturelle est d’intérêt public, qui transcende chaque intervenant, soutient Abdessamad Benchrif.
L’objectif aujourd’hui est de savoir comment faire de ce pilier de développement un levier de développement et de création de valeur ?
Et là il interpelle un acteur de taille qui se trouve au poste de commande aussi bien au niveau central que local : l’acteur politique et du degré de conviction qu’il a que la culture reste et résiste car elle le ciment de la société et le levier de développement.
« Donc la culture doit être présente dans les programmes des partis et non seulement sous forme des promesses électorales avec un cahier des charges moral entre les communes les collectivités et les citoyens. C’est un droit et il faut en prendre conscience si on y crois pas on ne peut rendre la culture priorité ».
Et même son de cloche concernant les festivals, Abdessamad Benchrif estime qu’il faut les rationnaliser parce que certains sont devenus une véritable rente.
La culture, l’ouverture culturelle et les jeunes
La culture est une composante majeure du marketing territorial et d’attractivité d’un territoire souvent relégué à un second degré par les autorités compétentes de la gestion de la chose locale. Il y a également un risque d’appropriation de cette culture auprès des nouvelles générations et de surcroît de sauvegarde et perpétuation.
« La culture est un élément fondamental de la personnalité du Marocain, pourtant, particulièrement chez les jeunes, il y a un ressentiment vis-à-vis de cette culture « folklorisée » », alerte Brahim El Mazned, Fondateur & Directeur général de Visa For Music, qui prône l’ouverture culturelle.
Si il rappelle que La modernisation de la production culturelle s’impose de ce fait, il appelle également à la mise en place de mécanisme de préservation des diversités territoriales et des spécificités régionales (le cas de la danse taskiouine), tout en s’ouvrant sur le monde et en laissant un espace de liberté aux jeunes dans la création culturelle. Cette liberté est de nature à provoquer une réappropriation et une inspiration du patrimoine culturel marocain.
Pour aboutir à un modèle durable, mise en œuvre territoriale de la politique culturelle, Brahim El Mazned estime primordial d’investir dans l’humain et l’école tout en soutenant que la culture demande de gros moyens mais c’est un gain pour les génération venir.
Il souligne par ailleurs que l’offre culturelle est abondante mais l’investissement dans la production culturelle notamment le produit national local et des potentialités des territoires et ses jeunes quelle que soit la branche, n’y est pas.
Malgré les appels à candidature, cela ne permet d’aller encore plus dans la production et donc dans la consommation de la culture.
Aussi, il faut prendre en considération les composantes et héritages culturels des régions et leur rôle social dans les territoriales, pour les préserver et leur donner une vie contemporaine et ne pas les enfermer dans des musées, soutient-il.
Pour sa part, Jaouad Essounani, Fondateur et directeur artistique de DABATEK, estime qu’il n’y a pas à avoir peur pour la culture, avec ou sans politique publique, car tant qu’il y a la vie il y aura la culture, comme élément intrinsèque à l’humain.
La question est d’ordre organisationnelle plutôt, cette problématique d’ingénierie avec une multiplicité d’intervenants.
« Dans le discours politique, la culture arrive toujours fermer le bal des autres secteurs. C’est un mindset peut-être inconscient chez le politique. Deuxième erreur est celle de cantonner la culture dans un ministère de tutelle, au moment où la culture est transversale. À soulever également, qu’il n’y a pas eu de Momentum pour se demander quelle culture on veut : évènementielle ou diffusionnelle dans les écoles, les associations etc. », s’interroge-t-il.
Partant de son expérience dans le secteur, Jaouad Essounani estime clairement qu’il faut soutenir les initiatives particulières et les investir. Il faut également avoir plus de courage avec la société civile et lui donner des chances et responsabilités de gestion des espaces culturels.
« Elle peut créer des partenariat, ramener des financement, il faut lui donner cette responsabilité en la liant avec la reddition des comptes », prône-t-il.
En somme, il y a encore du chemin à faire pour tirer le plein potentiel de la culture et son impact de développement des territoires, de cohésion sociale, d’opportunité d’épanouissement et d’activité pour les jeunes et de rayonnement aussi bien au Maroc qu’à l’international en misant sur des projets locaux dont la somme est peut-être bien un modèle durable « bottom-up ».