Deux semaines nous séparent de la levée de l’état d’urgence sanitaire prolongé jusqu’au 20 mai et pourtant, nous n’avons aucune visibilité des scénarios de déconfinement et de reprise surtout à la lumière de l’évolution de la situation épidémiologique dans le pays.
Depuis le déclenchement de la pandémie, les Marocains ont été à chaque fois surpris par les décisions des autorités qui intervenaient souvent tard le soir et en week-end. Mais pour réussir la relance et le déconfinement, l’association des citoyens ne serait-ce que pour les tenir informés est importante pour assurer leur adhésion et leur prise de conscience de la démarche à adopter. Or, à deux semaines de la fin de l’état d’urgence sanitaire, nous ne disposons d’aucune visibilité sur les scénarios de déconfinement, alors que les débats sont monnaie courante sous d’autres cieux.
La réflexion devra être entamée et en public pour que chaque composante de la société sache à quoi s’en tenir et surtout s’y préparer.
Un avis que partagent beaucoup de personnes, dont Hassan Chouaouta, Expert en développement stratégique et durable et Directeur de bureau d’études en conseil stratégique Impact Plus.
« Si le Maroc a gagné la première ronde, ou limité au moins les conséquences (notamment en termes de limitation de la pandémie et de gestion sanitaire de la situation), la deuxième semble difficile et complexe. En effet, elle mérite d’être pensée et ses axes de résistance ou de secours doivent être bien identifiés », suggère-t-il.
En effet, la prolongation de l’état d’urgence accentuera davantage les difficultés économiques auxquelles le pays devra faire face de manière méthodique et ciblant des secteurs prioritaires sans marginaliser les autres, les activités économiques étant interdépendantes les unes des autres.
Quelles sont les priorités ?
Présentant quelques pistes de réflexion sur la méthodologie de déconfinement, Hassan Chouaouta a établi 15 indicateurs qui permettent d’identifier les secteurs qui nécessitent une relance immédiate puisqu’ils présentent un fort potentiel en termes de relance économique et un potentiel de déconfinement avec le moins de risques.
Les trois premiers indicateurs d’évaluation se basent ainsi sur le nombre de déclarés à la CNSS, l’importance du secteur en termes de création d’emplois et le système de financement du secteur dans ce sens où il existe des ressources permettant une relance rapide tel un fonds dédié, un programme d’appui ou encore des financements internationaux.
H. Chouaouta qui est également président de l’association AMEDE s’intéresse dans l’identification des secteurs prioritaires à la contribution au PIB national, la part du secteur dans les exportations et le nombre des entreprises y travaillant et leurs effectifs.
Dans un troisième niveau d’évaluation, viennent les critères relatifs à la possibilité de reprise dans des conditions sanitaires qui n’exposent pas à des risques. Il s’agit notamment du milieu de travail, un milieu ouvert (air libre) est mieux noté et se prête mieux à un déconfinement par exemple. La notation proposée par H. Chouaouta prend en considération la possibilité de maintenir l’activité avec des shifts (sessions de travail) exceptionnels ou deux shifts pour favoriser les conditions du strict respect des mesures de sécurité et distanciation.
Un autre palier de critère d’évaluation s’intéresse à la possibilité de fonctionnement de l’activité ou du secteur en sous capacités : moins de 25%, 50 à 75 %…, s’il dépend de matière première locale ou étrangères et si c’est un secteur qui présente une activité saisonnière. Si la valeur ajoutée du secteur dépend des saisons du printemps et de l’été, il nécessite une action immédiate.
Sept pans d’activité identifiés
A la lumière de ces critères, l’auteur identifié 7 secteur prioritaires que sont l’agriculture, l’industrie, le commerce, le transport des marchandises, la construction, les finances et assurances ; et les services.
« Les mesures organisationnelles à mettre en place pour le déconfinement de chaque secteur doivent être élaborées et concertées avec les parties prenantes concernées », explique Hassan Chouaouta qui insiste que l’enjeu est d’assurer une résistance, une continuité de création de valeur tout en empêchant qu’un secteur soit détaché du corps économique. Pour ainsi dire, la priorité doit être donnée aux secteurs vitaux dont la santé touche directement toute l’activité marocaine, tout en protégeant ceux émargés d’un chaos.
« Un impact très négatif généré par un secteur marginalisé peut devenir problématique pour la continuité d’autres, et ce, indirectement ».
Un scénario de déconfinement en quatre temps
Il va de soi qu’en l’absence d’un vaccin contre le Covid-19 et tant que le virus n’est pas totalement maitrisé, les règles instaurées et recommandées par les autorités compétentes (ministère de l’Intérieur et ministère de la Santé…) doivent être maintenues. Qu’il s’agisse des déplacements avec autorisation, de la limitation des contacts entre personnes, du port de masques… il faut une prise de conscience collective qu’aucune reprise n’est possible sans le respect des mesures strictes de sécurité.
Si relance il y a à partir du 20 mai, cela signifie que ces deux semaines qui nous séparent de la fin de l’état d’urgence sanitaire sont la première phase du déconfinement. Pour Hassan Chouaouta, ces deux semaines sont décisives pour préparer le redémarrage progressif des secteurs prioritaires et il propose même une analyse multicritère à adapter par secteur d’activité.
« L’effort déployé en termes de confinement est à consolider et à ne pas remettre en cause par un retour trop précipité à l’état normal. Les prochaines étapes (déconfinement partiel, sectoriel ou même régional) doivent être bien planifiées (avec analyse de tous les risques pour chaque mesure) », préconise-t-il. Il estime d’ailleurs qu’un mécanisme est à mettre en place pour la consommation d’une partie du congé par les fonctionnaires et également le secteur privé afin de se préparer à la relance en mois juillet-septembre.
Pour la deuxième phase, il est proposé qu’elle s’étende du 20 mai au 21 juin 2020 durant laquelle, les Gouvernements, les autorités compétentes et les professionnels travailleront ensemble afin de procurer à chaque personne autorisée à se déplacer au moins une protection en tissu normé.
Avec près de 7,6 millions de ménages et les personnes autorisées à travailler (administrations, services, secteurs visés par le déconfinement), le nombre de masques à mettre sur le marché national est de 7 à 9 millions par jour (on suppose qu’une partie des marocains utilisera un masque une fois tous les deux jours).
Le télétravail reste la règle. Il sera permis de pallier l’impossibilité de respecter les distances de sécurité par le biais du respect d’une série de recommandations sanitaires, dont le port du masque.
Hassan Chouaouta propose pour les secteurs qui font l’objet de déconfinement, qu’ils soient accompagnés par d’autres mesures. Par exemple, dans le domaine de la construction, le certificat de déplacement doit porter le nom du chantier, le lieu, le numéro d’autorisation, la signature du chef du chantier ou du promoteur, le nom de l’ouvrier ou du cadre (avec n° CIN)… A l’instar de la fiche utilisée pour les aides, le promoteur ou le chef du chantier (et également le maalam pour les particuliers) intégrera les données à la fin de chaque semaine sur les ouvriers mobilisés).
L’avantage d’une pareille démarche est qu’elle permettra la collecte de données sur les activités objet de déconfinement que l’Etat pourra exploiter pour le suivi de la situation des activités par secteur et branche… ou encore dans la prise de décision par rapport aux mesures de reprise des activités dans les entreprises, le bon fonctionnement des transports publics, ou encore l’accompagnement des secteurs les plus impactés par le confinement.
Ceci dit, l’effort de communication et de sensibilisation sur la pandémie et de l’importance du respect des mesures de sécurité devra également être maintenu pour éviter tout relâchement et le risque d’une deuxième vague de contamination.
D’autant que la reprise dans quelques secteurs ou activités engendra inévitablement une hausse de l’usage des transports en commun. « Pour maitriser les risques, il est conseillé de veiller à se déplacer par ses propres moyens (motocycle, vélo, voiture, etc.) afin de laisser la priorité aux personnes qui ont le plus besoin des transports en commun, le recours au transport du personnel pour les industriels … », explique-t-on.
Et c’est durant cette deuxième phase que le ministère de l’Education nationale devra mettre en œuvre son plan de reprise des cours et des examens, en donnant la priorité à ceux couverts par des examens nationaux et régionaux.
Et si cette phase peut être marquée par un allégement des restrictions des déplacements, les déplacements entre villes devront rester soumis à autorisation. Pour la réouverture des grandes mosquées qui présente une possibilité de distanciation, cette disposition reste assujettie à une décision du ministère de tutelle après avis du Conseil des Oulémas.
L’expert estime néanmoins, que l’interdiction de certaines autres activités devrait être maintenue particulièrement les mariages et fêtes, les salles de sport, les meeting et conférences de plus de 20 personnes, les cafés et restaurants…
Et ce n’est que lorsque les conditions sanitaires s’amélioreront, que l’Etat peut décider dans une troisième phase allant du 22 juin au 22 juillet 2020, l’ouverture de toutes les activités industrielles et commerciales avec quelques exceptions. Cette réouverture s’envisagera impérativement sous conditions. Celles-ci seront définies en concertation avec les secteurs et les autorités locales concernées. Les exceptions concernent les professions impliquant des contacts physiques directs comme les salons de coiffure. L’ouverture des cafés et restaurants peut être examinée à la lumière de l’évolution de la situation. Les fêtes (mariages…) semblent des activités à risques si la situation n’est pas stabilisée. Les autorités examineront également les modalités d’approvisionnement pour l’Aid Adha (prévu le 31 juillet ou le 1er août).
Selon Hassan Chouaouta la quatrième phase de déconfinement interviendra au-delà du 22 juillet après examens de plusieurs points. Les modalités de réouverture éventuelle et progressive des restaurants, des hôtels et des cafés devront s’effectuer sous des conditions strictes. Les différentes activités estivales comme les voyages à l’étranger, les campings, les attractions et les locations touristiques devront faire l’objet d’une décision d’ici le 21 juin 2020. Idem pour l’autorisation de l’organisation des événements de masse de type « festivals ».
Mais comme le souligne Hassan Chouaouta, le déconfinement graduel et ciblé ne peut être envisagé que si les indicateurs liés à la pandémie sont encourageants, notamment une diminution du nombre d’hospitalisations journalières ou l’aplatissement de la courbe des décès liés au virus.
L’absence d’un vaccin à ce jour implique que le respect des mesures sanitaires est notre unique planche de salut pour espérer, un jour, retrouver un semblant de vie normale.