Equilibres macroéconomiques, pressions inflationnistes, commerce africain, barrières non-tarifaires, communautés économiques régionales, Zlecaf… le rapport annuel sur l’économie africaine 2019 du Policy Center for the New South livre une analyse approfondie des performances du continent, de ses atouts mais également les freins à son développement.
Voici quelques faits saillants d’un document qui a fait appel à une vingtaine d’experts africains.
L’Afrique est un continent où les pays évoluent à des trains différents, chacun essayant d’actionner ses leviers de croissance mais tous font face à pratiquement les mêmes défis. Le rapport annuel sur l’économie africaine 2019 du Policy Center for the New South (PCNS), grâce à ses 25 chercheurs-contributeurs, permet d’élargir le spectre d’analyse des évolutions économiques du continent et des défis auxquels il est confronté.
Sous la direction de l’économiste et Senior Follow au PCNS, « En quête d’objectivité, ce rapport cherche à contribuer, sans complaisance, à un nouveau narratif sur la croissance et le développement du continent ».
Cette première édition est répartie en trois parties majeures. D’abord un état des lieux de la croissance, qui va d’une lecture de la conjointure économique, en s’attardant sur les aspects sociaux de la croissance, dans le continent aux partenariats avec des pays comme la Chine ou le Japon.
Une partie importante est consacrée à la dynamique des communautés économiques régionales, CAE, CDAA, CEEAC, CEDEAO, UMA, UEMOA…
Puis, l’Afrique entre régionalisme et multilatéralisme économiques avec un focus sur la ZLECA mais également un suivi des activités économiques des cinq commissions de l’Union africaine.
L’ambition du PCNS est « d’approfondir un regard de l’Afrique sur l’Afrique, en épousant des démarches qui nous permettent de scruter nement l’évolution de l’Afrique, hier présentée comme une région à la marge de l’économie mondiale, aujourd’hui considérée comme un continent émergent ».
Comment dès lors améliorer la trajectoire actuelle de la croissance et la rendre plus créatrice d’emplois ?
Dans son introduction, Larbi Jaïdi rappelle d’emblée que Le continent constitue un espace économique hétérogène et fragmenté. Et d’ajouter que les conditions politiques et les moyens institutionnels agissent comme des facteurs entravant la mise en synergie des activités pouvant exploiter les complémentarités potentielles. Ce à quoi peut remédier la ZLECA mais c’est un travail de long terme et de longue haleine nécessitant moult réformes.
Le constat est que les progrès de croissances économique ont été importants sur l’ensemble du continent avec toutefois des variations entre économies et entre régions. L’économiste note par ailleurs que « Ces dernières années ont été marquées par un retour progressif à l’équilibre des moteurs de la croissance économique africaine. La contribution de la consommation à la croissance du PIB réel a diminué, passant de 55% en 2015 à 48% en 2018, tandis que la contribution de l’investissement est passée de 14 % à 48 %. Les exportations nettes, qui représentent historiquement un frein à la croissance économique, ont apporté une contribution positive depuis 2014 ».
Toujours est-il que la plupart des principaux pays en forte croissance dépendent encore principalement de la consommation pour soutenir la croissance.
Autre constat et non des moindres, la performance de croissance reste insuffisante pour répondre aux problèmes structurels des déficits budgétaires actuels et de la vulnérabilité à l’endettement. Les équilibres macroéconomiques devraient d’ailleurs accuser le coup en raison d’un environnement international peu favorable, notamment en raison de l’escalade des tensions commerciales entre les Etats-Unis et leurs principaux partenaires. En interne, quelques goulots d’étranglement persistent notamment une lenteur du changement structurel des économies africaines et un processus d’accumulation de nature rentière et marqué par une faiblesse de compétitivité. Un troisième point figure dans l’analyse de Larbi Jaïdi est cette faible capacité à s’extraire de la « trappe à pauvreté ».
Bien évidemment, il y a encore un potentiel inexploité qui pousse à l’optimisme pour ce continent. D’abord, les exportations intra-régionales qui demeurent faibles. Cette dynamique des intégrations peut jouer un rôle majeur pour explorer le potentiel des échanges intra-africains, particulièrement au sein des communautés économiques régionales. « La construction d’un espace économique présente un certain nombre d’avantages : l’exploitation du potentiel de diversification des échanges de biens, l’émergence d’une chaîne de valeur régionale qui permettrait d’exploiter les avantages compétitifs avec, à la clé, une meilleure insertion dans le commerce international…. Ces avantages sont entravés par les divers obstacles qui entretiennent la faiblesse du commerce », explique Larbi Jaïdi.
Un grand espoir est ainsi fondé sur la ZLECA qui n’entrera pleinement en vigueur que dans un an avec le lancement du démantèlement tarifaire le 1er juillet 2020
Sur un tout autre registre Abdelaaziz Aït Ali, économiste Senior et Rim Berahab, économiste, du PCNS, décortiquent les rythmes de croissances dans le continent. Après des pics des années 2000, la forte chute en 2016, la croissance africaine a repris mais à des niveaux inférieurs qui ne sont pas de nature à améliorer la croissance par habitant et par conséquent « pèserait sur la vitesse de convergence du continent et compliquerait les efforts d’élévation des niveaux de vie des populations, surtout les plus défavorisées ».
Aussi, le déficit budgétaire élevé pose-t-il la problèmatique de la solvabilité du continent et laisse profiler un nouvel épisode de l’endettement. Le tableau n’est pas totalement sombre puisque les deux économistes révèlent que les pressions inflationnistes de la plupart des économies africaines se sont modérées, particulièrement dans les pays où les taux de change sont restés stables, reflétant l’atténuation des effets de la crise des prix des matières premières et l’amélioration des positions budgétaires.
Pour leur part, Karim El Aynaoui, Président du PCNS, Aomar Ibourk, Senior Follow au PCNS, et Tayeb Ghazi, économiste du PCNS, ont travaillé sur les aspects sociaux de la croissance en Afrique. On notre ainsi des progrès constants, quoi que hétérogènes, dans la lutte contre la pauvreté mais la progression demeure lente. Pour la faim, le constat est plus alarmant puisqu’on relève une aggravation après des années de déclin. S’en suit le droit de l’accès à l’eau et l’assainissement, qui est le sixième objectif du développement durable. Les progrès vers la réalisation de cet Objectif ont été d’une divergence marquée relativement à l’accès à l’eau potable. On notre un gap entre l’Afrique du Nord, en voie d’atteindre l’universalité et l’Afrique Subsaharienne avec des scores moins bons. La progression de l’accès à l’assainissement n’est pas meilleure puisqu’elle est très lente (4% d’augmentation par rapport à 1990).
Globalement, malgré de fortes réalisations, les progrès demeurent mitigés sur les aspects sociaux de la croissance, notamment l’approche genre, l’accès à l’éducation, aux soins de santé, etc. D’autant que l’appréciation de ces indicateurs reste subjective par les populations concernées.
Le rapport fait également un focus, de son auteur Mohamadou Ly, sur le Ghana, pays qui jouit d’un contexte économique favorable et semble s’engager dans un nouveau paradigme.
Bien évidemment, ce rapport ne peut faire l’économie sur l’importance du secteur agricole pour le continent, notamment l’épineuse question de la sécurité alimentaire. Ou encore l’intérêt grandissant de certaines puissances, en l’occurrence la Chine et le Japon, pour le continent…
Le rapport de 288 pages dresse un large panorama et le prédispose à devenir une référence crédible dans la pléiade de rapports qui fusent sur le continent.