Ecrit par Soubha Es-Siari |
L’importance des engrais dans le système alimentaire en Afrique n’est plus à démontrer. Leur mobilisation en quantité et en qualité demande une attention sérieuse et collective pour améliorer la productivité agricole dans les différents pays du continent.
La crise sanitaire aigĂĽe qui s’en est suivie du conflit russo-ukrainien a mis Ă nu la fragilitĂ© de la sĂ©curitĂ© alimentaire en Afrique qui dĂ©pend outrancièrement de l’Etranger. Un constat alarmant qu’ont dressĂ© tour Ă tour les ministres africains de l’agriculture Ă l’occasion du 3e Forum africain de financement des engrais organisĂ© par OCP Africa en collaboration avec la BAD qui se tient les 12 et 13 octobre au Maroc.
Les deux crises ayant pour point nodal la perturbation des chaînes de valeur mondiales se sont traduites par une forte volatilité des prix voire même une rareté de l’offre des produits alimentaires. Suite au conflit russo-ukrainien, les coûts des engrais se sont multipliés par 4.
L’Afrique ne jouissant pas d’une souverainetĂ© alimentaire s’est retrouvĂ©e du jour au lendemain vulnĂ©rable, ne savant plus sur quel pied danser pour rĂ©pondre aux besoins de sa population sans cesse croissante.
De prime abord, il est utile de rappeler les raisons sous-jacentes Ă cette situation dans un continent comme l’Afrique qui dispose de 65% des terres arables dans le monde. Mieux encore, Ă©tant plurielle, l’Afrique est le contient oĂą l’on retrouve les diffĂ©rents climats, ce qui n’est que favorable Ă l’agriculture.
A l’occasion du forum, les intervenants ont fait le diagnostic de la situation pour identifier par la suite des solutions durables pour une agriculture durable et résiliente.
Cette rencontre se veut par ailleurs une occasion pour se pencher sur le financement de la chaîne des engrais qui constitue un enjeu prioritaire pour le continent. La Banque africaine de développement joue à ce titre un rôle déterminant pour permettre aux pays africains d’accéder à des engrais de bonne qualité.
Dans son intervention, Anouar Jamali de OCP Africa a rappelé que l’OCP en tant qu’entreprise panafricaine, leader mondial sur le marché des fertilisants et engagé fortement pour un secteur des engrais résilient, en réponse à la flambée des cours, a procédé à une contribution de 550.000 tonnes d’engrais sous forme de dons qui représentent 16% des besoins annuels du continent. Près de 20. 000 africains et 4 millions de fermiers africains en ont bénéficié.
« Cette opération n’est pas uniquement basée sur la fourniture des engrais de qualité mais consiste également en des actions de sensibilisation et de formation des petits fermiers tout en facilitant l’accès au financement », explique A. Jamali
OCP Africa : une approche novatrice
Face aux grands défis que lance le secteur des engrais, seule l’action collective peut aider à les relever de manière efficiente et durable.
Dans ce sillage, une seconde phase du plan d’OCP Africa est lancée cette semaine avec le support d’institution régionales et internationales pour impacter plus de 40 millions de fermiers dans une quarantaine de pays du Continent. Cette seconde phase structurelle portera sur 4 millions de tonnes de fertilisants adaptés au sol et aux cultures africains.
Elle représente le double de l’approvisionnement habituel en engrais phosphatés sur le continent. Il s’agit selon A. Jamali d’une approche holistique, novatrice, une approche basée sur les fondements scientifiques. Aussi l’approche partenariale sera fondamentale à tous les niveaux pour rendre le système alimentaire africain des plus résilients. Toujours est-il que pour assurer une alimentation résiliente aux chocs exogènes, une mobilisation tout-azimuts est nécessaire. C’est d’ailleurs tout l’enjeu de ce forum où se rencontrent des banquiers, des experts et des représentants du monde agricole en vue de proposer des solutions réalistes et durables.
Dans un pays comme le Malawi, 80% de la population est composée d’agriculteurs. Autrement dit 80% de la population ont besoin d’engrais pour assurer la sécurité alimentaire. Le hic est que la population s’accroît jour après jour mais la superficie de la terre est toujours la même. D’où la nécessité de mobiliser toutes les parties prenantes aussi bien à l’échelle nationale que régionale pour répondre aux besoins en engrais et fertilisants.
Le cas du Malawi n’est pas exclusif. D’autres pays encore plus nombreux sont logés à la même enseigne et sont amenés à augmenter la quantité d’engrais par hectare pour améliorer leur rendement agricole et, par ricochet leur suffisance alimentaire. Or le coût des engrais est de plus en plus cher.
Le ministre angolais de l’agriculture estime Ă son tour qu’il est temps de penser au-delĂ de la sĂ©curitĂ© alimentaire. Pour ce faire, le continent a besoin de beaucoup d’engrais pour ses cultures vivrières (blĂ©, sucre, maĂŻs…).
Les diffĂ©rents tĂ©moignages ou expĂ©riences montrent que le contient a du pain sur la planche pour rĂ©duire sa dĂ©pendance de l’extĂ©rieur et subvenir souverainement aux besoins de sa population.
Dans son intervention Achraf Tarsim country manager AfDB Morocco a tenu à rappeler dans un premier temps la situation de l’agriculture en Afrique. Le continent est, selon ses propos, en train de frôler une situation très difficile et pourtant il dispose de 65% de terres arables. Un vrai paradoxe.
L’Afrique dĂ©pend de l’étranger pour manger ou encore sous traite son alimentation comme elle le fait pour sa santĂ© et son Ă©nergie. D’oĂą l’importance de changer de paradigme. Les chiffres parlent d’eux-mĂŞmes. On parle de 75 Mds de dollars d’importations de denrĂ©es alimentaires par an. Cette situation ne peut perdurer et l’Afrique doit devenir une terre de production agricole.
« Il est inadmissible qu’une crise gĂ©opolitique loin de nos frontières et de notre continent vient basculer tous nos codes. Comment l’Ukraine, un pays qui n’est pas très grand fournit 30% de maĂŻs pour le continent africain ? », s’indigne A. Tarsim.
Modus operandi de la BAD face Ă la crise
Dès le dĂ©clenchement de la crise, la Banque africaine de dĂ©veloppement a rĂ©agi rapidement en mettant en place la facilitĂ© africaine de production alimentaire soit 1 Md de dollars visant Ă aider 20 millions d’exploitants agricoles Ă produire 38 millions de tonnes d’engrais. Le but Ă©tant d’aider l’Afrique Ă produire elle-mĂŞme ses denrĂ©es alimentaires.
Dans la foulée Achraf Tarsim a rappelé les initiatives de la BAD pour aider les pays du continent à améliorer leur productivité et ce grâce au financement des technologies avancées et des semences adaptées (voir vidéo ⇑).
Il corrobore ses propos par deux exemples : l’Ethiopie et le Soudan qui ont bénéficié des offres de la banque africaine. En Ethiopie, on retrouve de nouvelles variétés de blé résistantes à la chaleur qui ont permis en 3 ans soit de 2018 à 2021 au pays d’atteindre l’autosuffisance en matière de blé passant de 5.000 ha de terres cultivées à 45.000 et ce grâce à des technologies avancées. L’an prochain, l’Ethiopie va exporter au Djibouti et au Kenya du blé.
Le Soudan a également amélioré sa production de manière à réduire de moitié ses importations de blé.
Monter à l’échelle au niveau du continent n’est utopique si tous les moyens sont mis en place et si la coopération Sud-Sud joue pleinement le rôle qui lui échoit pour faire effectivement de l’Afrique une zone agricole souveraine.
Voir également : 🎥 Coût humain de la crise alimentaire et énergétique : intervention du PDG du Groupe OCP aux réunions annuelles de la Banque mondiale