A l’heure où tous les citoyens marocains dénoncent une école publique en panne et un secteur privé qui fait régner ses propres lois, le ministre de l’Education nationale a fait une déclaration pour le moins surprenante. C’est en marge de la conférence sur la rentrée scolaire 2019-2020, que S. Amzazi a annoncé la nécessité d’amender la loi 06-00 formant statut de l’enseignement scolaire privé afin de généraliser l’enseignement privé au niveau rural. Pour cela, le ministre annonce qu’il est nécessaire d’accompagner le secteur privé afin de l’inciter à s’installer dans les zones rurales notamment par des incitations (fiscales, foncières…), des bourses pour les étudiants…
Malheureusement, les Marocains ne s’attendaient pas à cela de la part du ministre eu égard à l’état de notre système d’éducation public. Cette annonce n’a donc pas laissé indifférents les Marocains qui l’ont fait savoir notamment sur les réseaux sociaux (devenu un moyen incontournable de contestation par excellence). Et pour cause, les Marocains ne sont pas contre l’enseignement privé mais contre l’anarchie qui règne notamment sur le plan des tarifs appliqués et qui n’obéissent à aucune logique.
Cela fait plusieurs années que les Marocains appellent le gouvernement à mettre de l’ordre dans ce secteur en attendant la mise à niveau de l’école publique mais en vain. Aucun gouvernement ni ministre n’a eu le courage de s’attaquer à ce dossier. Et pourtant, c’est l’un des plus lourds fardeaux des ménages. Faut-il rappeler que les frais de scolarité représentent plus des deux tiers du budget des ménages. En d’autres termes, nous travaillons pour payer l’enseignement de nos enfants alors que c’est un droit constitutionnel qui devrait être gratuit. Ne parlons même pas des frais d’inscription qui sont exorbitants et non justifiés et que les parents sont contraints de régler généralement vers le mois de mars soit 7 mois avant la rentrée scolaire.
Ne serait-il pas plus judicieux Mr le ministre de mettre plus de moyens financiers et humains afin de garantir une mise en application rapide et efficiente de la réforme afin de garantir un enseignement public de qualité à tous les Marocains et pour que le recours au privé soit un choix, et non pas une contrainte, comme c’est le cas dans les pays développés ?
La réponse du ministre sur cette polémique ne s’est pas faite attendre. Le lendemain de la conférence, un communiqué du ministère apporte des précisions sur le sujet.
Il rappelle que le système incitatif réservé au secteur privé dans le monde rural ne peut en aucun cas se réaliser aux dépens de l’enseignement public ou du pouvoir d’achat des ménages en milieu rural.
Et d’ajouter que cette initiative est de nature à contribuer à l’intégration sociale entre toutes les franges de la société.
« Parmi les axes d’orientation du système éducatif figure le respect des principes d’équité et d’égalité des chances dans l’accès aux différentes composantes de ce système afin de permettre à tous les apprenants, toutes catégories confondues, de bénéficier de l’ensemble des services de l’éducation. Et le ministère veille à mettre en œuvre, consacrer et défendre ces principes », lit-on dans ledit communiqué.
Mais ne faut-il pas d’abord commencer par le principe de l’équité et l’égalité des chances dans l’accès à une école publique digne de ce nom ? Ne faut-il pas encadrer davantage le secteur privé au niveau urbain avant de reproduire les mêmes problèmes au niveau rural ? Ne faut-il pas garantir d’abord un enseignement public au niveau rural afin que le privé soit complémentaire et non pas la seule voie d’issue ?
Dans son communiqué le ministre précise que ses propos sont en adéquation avec « les dispositions contenues dans l’article 13 de la loi-cadre 51-17, relative au système de l’éducation et de la formation, stipulent que les établissements d’éducation, d’enseignement et de formation relevant du secteur privé sont tenus, dans le cadre de l’interaction et de la complémentarité avec le reste du système, de respecter les principes du secteur public et de contribuer à garantir l’accès gratuit à l’éducation et la formation en tant que service public au profit des enfants issus de familles nécessiteuses et des personnes souffrant de handicap ou qui se trouvent en situation spéciale ».
Pour cela, il faudra adopter une loi organique qui devrait déterminer les conditions et la part de contribution des établissements privés d’éducation et de formation en vue d’offrir leurs services gratuitement à ces catégories. Mais alors comment ces établissements vont-ils rentabiliser leur investissement ?
Contacté par nos soins, Ouadi Madih, Président de l’Association de Protection du consommateur UNICONSO tire la sonnette d’alarme et met en garde le gouvernement contre cette démarche qui pourrait être interprétée comme un désengagement de l’Etat de garantir aux citoyens un droit constitutionnel qui est celui de l’éducation pour tous.
« Le secteur privé est motivé par le gain du fait qu’il est soumis aux droits et obligations du Code de commerce. Donc l’endroit géographique est déterminant pour une entreprise et personne ne peut s’installer dans une zone juste pour remplacer l’Etat dans ses prérogatives sans garantir un retour financier », a-t-il précisé.
Il insiste sur la nécessité de garder l’enseignement au niveau rural public afin de garantir les droits à l’enseignement des plus démunis qui n’ont pas les moyens pour payer l’école. Aussi, appelle-t-il le ministère à injecter les budgets qui pourront être alloués à cet accompagnement pour améliorer les moyens logistiques et humains de l’école publique. « Le gouvernement n’a pas le droit de subventionner le privé sur le dos du contribuable », rappelle Ouadi Madih.
Le ministre parle d’une mixité sociale où les plus démunis trouvent leur place dans le secteur privé. Or la réalité est toute autre.
L’expérience au niveau urbain a montré que le secteur privé n’est pas dans cette optique. Pour preuve, qu’on nous dévoile les statistiques relatives au nombre d’enfants issus de familles nécessiteuses et des personnes souffrant de handicap enseignaient gratuitement dans le secteur privé ?
Cela dit, les attentes de cette Nème réforme de ce secteur vital sont nombreuses. Alors ne ratons pas une fois de plus le redémarrage de cet ascenseur social en panne depuis plusieurs années, en creusant davantage les disparités.