Suite à l’annonce de l’Association nationale des cliniques privées (ANCP) de ne plus prendre en charge les assurés de l’AMO à partir d’avril, l’équipe EcoActu.ma a contacté les différentes parties à savoir l’ANAM, la CNSS ainsi que l’ANCP pour en savoir davantage les dessous de cette décision.
Cela fait plus de deux ans et demi que la signature des conventions nationales tarifaires traîne. Et pourtant 2017 devait être l’année des signatures de toutes les conventions. Ce dossier prioritaire pour l’ANAM accuse un retard non pas sans conséquence sur le citoyen qui continue de subir de plein fouet l’anarchie des tarifs appliqués par le secteur privé. Aujourd’hui, ironie du sort, ce sont les cliniques privées qui montent au créneau pour dénoncer un laisser-aller qui pénalise leur business.
Ces dernières ont même menacé de ne plus prendre en charge, à partir du mois d’avril, les assurés AMO (CNSS et CNOPS) en guise de protestation contre la non-révision des tarifs de référence.
Une information qui nous a été confirmée par le président de l’association nationale des cliniques privées (ANCP), Redouane Semlali qui nous a assuré que la décision est prise. « Si la révision des tarifs n’aboutit pas d’ici fin mars, toutes les cliniques privées du Royaume seront contraintes de refuser les assurés AMO. En d’autres termes, les patients devront payer à leur charge la totalité des frais », a-t-il affirmé.
Certes, la révision des tarifs de référence a pris beaucoup de retard, 13 ans pour être précis puisqu’elle devait se faire en 2009, soit 3 ans après l’entrée en vigueur de l’AMO en 2006. Toutefois ce qui est incompréhensible voire injustifié, c’est le timing de cette montée au créneau des cliniques privées. Parce qu’il ne faut pas perdre de vue que l’Agence nationale de l’assurance-maladie (ANAM) est aujourd’hui en pleine négociation avec les différentes parties prenantes.
Contacté par nos soins, Khalid Lahlou, Directeur général de l’Agence nationale de l’assurance maladie (ANAM) nous a même confié que depuis sa nomination, en octobre 2018, il érige ce dossier en priorité.
« Depuis ma nomination, j’ai entamé très rapidement les concertations avec les prestataires de soins ainsi qu’avec les organismes gestionnaires (CNSS et CNOPS). Ce qui est important à souligner, c’est que nous sommes parvenus à nous mettre d’accord à environ 80-90% sur les différentes composantes de la convention nationale concernant la tarification », a-t-il précisé.
Des propositions de convention ont d’ailleurs été transmises, il y a 3 semaines, aux organismes gestionnaires pour avis.
Il s’agit précisément de 5 projets de conventions notamment celle avec les médecins du secteur libéral, les cliniques privées, les CHU, les chirurgiens-dentistes, les biologistes ainsi qu’une révision prévue de la convention des pharmaciens signée en 2016.
Khalid Lahlou nous a affirmé que certes la tarification nationale est dépassée et sa révision a pris un temps non justifié. « Malheureusement, le premier lésé est bien le citoyen qui est remboursé sur la base de la tarification de 2006 alors qu’il paye des prestations qui sont beaucoup plus chères » précise-t-il.
Le manque de contrôle fait que c’est la loi du plus fort qui règne. C’est pourquoi ces conventions sont tant attendues pour instaurer de l’ordre et mettre fin à l’anarchie.
« Les conventions sont des engagements mais aussi un moyen de régulation et de contrôle. La signature de ces conventions implique que l’ANAM va désormais jouer le rôle qui lui incombe en matière de régulation du système de santé », nous a précisé le DG de l’ANAM. Encore faut-il que la réglementation suit. Malheureusement, force est de constater que les périmètres d’intervention de l’ANAM sont aujourd’hui limités. D’où l’impératif d’amender la loi en vigueur. « Il y a une grande volonté aussi bien de la part du Chef de gouvernement que du ministre de la Santé pour donner à l’ANAM plus de prorogatives de contrôle mais aussi de sanctions » a-t-il précisé.
Qu’en est-il de la position des organismes gestionnaires ?
La CNOPS et la CNSS sont les principales parties prenantes de ce dossier. Leur avis est impératif pour faire avancer le processus de révision. La résistance de la CNOPS est d’ailleurs la cause du retard.
D’après nos sources, à cause de sa situation financière (dépenses supérieures aux cotisations), la CNOPS a freiné l’aboutissement de la révision des bases tarifaires. La CNOPS, devenue aujourd’hui la CMAM, souhaite négocier une solution globale qui inclut aussi bien le plafonnement, le changement de taux de cotisation, ainsi que la tarification. Ce qui n’est pas le cas de la CNSS.
« La CNSS a un a priori positif pour l’amélioration du tarif national de référence bloqué depuis 2006 sur quelques actes. Il y a des actes qui méritent d’être revus à la hausse tandis que d’autres actes doivent être revus à la baisse. La technologie médicale a tellement évolué que certains actes pourraient voir leur tarif baisser. Notre objectif est ce que le système soit efficace et attractif », précise-t-on auprès de la Caisse.
Khalid Lahlou nous a toutefois confié qu’il a réussi à faire sauter certains verrous et assainir le climat des négociations.
Une question reste, tout de même, en suspens : les cliniques privées ont-elles le droit d’appliquer une telle décision qui mettrait en danger la vie de milliers de Marocains affiliés aux caisses d’assurance maladie ? Vont-elles refuser la prise en charge des cas urgents ? Pas vraiment. Avec cette mesure, le secteur privé s’expose à un risque de non-assistance aux personnes en péril. L’article 431 du code pénal marocain est clair sur ce point « toute abstention volontaire de porter à une personne en péril l’assistance que, sans risque pour lui, ni pour les tiers, il pouvait lui prêter, soit par son action personnelle, soit en provoquant un secours, est puni de l’emprisonnement de trois à cinq ans ».
Cela dit, le grand perdant est bien le patient qui non seulement paye la différence des prix mais en plus subit les abus des cliniques privées qui profitent des failles du système de santé pour gonfler les factures, imposer le noir…
Affaire à suivre !