Dans une récente tribune intitulée Capitaliser sur les « Bonnes Réputations », Fathallah Oualalou, ancien ministre des finances et Senior Fellow, Policy Center explique comment le Maroc a-t-il bien géré la pandémie Covid-19 et comment peut-il capitaliser sur les bonnes réputations acquises.
La réputation, concept majeur s’il en est, est un indicateur de l’estime accordée à une personne physique mais aussi à une entreprise ou encore à une entité étatique. Constituée d’une somme de perceptions, elle est la résultante globale de l’ensemble d’images, d’appréciations des actions et comportements de celles-ci. Ainsi, la bonne réputation d’un gouvernement est déterminée et mesurée par son aptitude à faire face aux épreuves que traverse le pays, à affronter les bouleversements qui le secouent et à gérer les sorties de crise. A l’échelle des relations internationales – notamment en cette phase de globalisation avancée –, la réputation d’un pays donne une image sur sa capacité à rayonner au niveau de sa région, voire au-delà, et à s’adapter aux chamboulements de la mondialisation.
La crise de la Covid-19, qui s’est produite à la fin de la deuxième décennie du siècle, reflète, par sa gravité, la vulnérabilité de cette mondialisation. Survenant après les chocs, géopolitique du 11 septembre 2001, et économique, de la crise de 2008, elle a révélé au grand jour l’incertitude et l’imprévisibilité du monde actuel, devenues des constantes. Elle a contraint les pouvoirs publics à choisir la sauvegarde des vies humaines – imposant le confinement de plus de 4 milliards de personnes – au détriment de l’économique. Qui s’est effondré. Et qu’il faut aujourd’hui aider à se relever. Les États se trouvent, de ce fait, aujourd’hui mobilisés sur plusieurs fronts à la fois : le front sanitaire et avec lui les exigences de la protection sociale de tous et le front économique pour la relance de la machine.
D’où la sidération qu’ont connue tous les pays, quels que soient leur niveau de développement ou encore le mode de fonctionnement de leurs systèmes politico-économiques. La crise de la Covid-19 marque ainsi une rupture, pour ne pas dire une fracture, dans l’évolution du monde. Le monde de demain sera, à n’en pas douter, différent de celui de l’avant -Coronavirus.
La crise sanitaire et économique de 2020, dont l’épicentre s’est déplacé de Chine, d’abord vers l’Europe, puis vers la Russie, les Etats-Unis et le Brésil, a été – et est encore- une véritable épreuve pour le monde entier. Les réponses face au Coronavirus ont été différenciées de sorte que certains pays sont devenus aujourd’hui des références grâce à l’efficience de leurs actions. Et la réputation ainsi acquise leur donne une crédibilité nouvelle qui leur permet de renforcer leur position dans leur environnement régional (Allemagne) et/ou dans la construction du nouveau multilatéralisme qui est en train de se mettre en place. Dans ce cadre, les États-Unis, la Chine et l’Europe se livrent une véritable bataille pour découvrir le vaccin et/ou le traitement anti-Covid-19 qui leur permettra, en sauvant le monde, de construire et/ou améliorer leur réputation.
L’attitude des présidents Trump et Bolsonaro, qui considèrent l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) complice de la Chine dans la gestion de la crise du Coronavirus, fait vaciller le multilatéralisme dans un moment sensible de l’histoire du monde. Un multilatéralisme déjà déstabilisé par le retrait des États-Unis de l’Unesco, de l’accord de Paris sur le réchauffement climatique et de l’accord nucléaire avec l’Iran et par leur alignement sur la politique de colonisation systématique menée par Israël. Les grands programmes de sauvegarde et de relance des économies, soutenus par le G20, auront un impact certain sur le monde post-Covid-19. Partout, le but est d’aider les chômeurs, l’économie informelle et, bien sûr, les secteurs économiques affectés par les effets des confinements (industrie, PMI, transport aérien, tourisme, restauration, etc.). Selon une étude de McKinsey, les plans de sauvetage gouvernementaux se chiffreront à 10 billions de dollars, soit trois fois plus que les plans de relance mis en œuvre au lendemain de la crise de 2008 (l’Europe occidentale seule devra leur allouer 4000 milliards de dollars, soit l’équivalent de 30 fois les crédits du plan Marshall), somme à laquelle il faut ajouter les injections monétaires réalisées par les banques centrales pour racheter des obligations publiques.
Le Maroc, la Covid-19 : capitaliser sur la « bonne réputation »
La crise de la Covid-19 est une grande épreuve et, comme toute épreuve, elle accouche d’une grande opportunité. Le Maroc a été certainement parmi les pays en développement qui ont le mieux géré les conséquences de la pandémie. Un véritable combat a été mené, avec l’adhésion de toute la population confiante dans l’action menée par L’État. Il s’agit, maintenant, de capitaliser sur la bonne réputation acquise par le pays pour négocier le virage post-Covid-19. La mise en place d’un nouveau modèle de développement sera certainement enrichie par les leçons qu’on doit tirer de cette crise sanitaire et des conséquences du confinement. Au Maroc, la recherche de l’efficience doit passer, comme partout dans le monde, par une approche de solidarité. Surtout, la capitalisation sur la réputation acquise doit conduire le pays à améliorer sa capacité à négocier avec les bouleversements attendus de la mondialisation à travers trois orientations :
- Participer à la promotion d’un nouveau pôle régional qui regrouperait l’Afrique et l’Europe et consacrerait une nouvelle centralité dynamique de la Méditerranée. Pour cela, le Maroc devra améliorer son attractivité pour tirer profit des mouvements de relocalisation et de re-régionalisation des activités économiques. Malgré les contraintes géopolitiques, le Maroc n’abandonnera jamais le projet maghrébin, nécessaire aujourd’hui pour les pays de la région, mais aussi pour l’Afrique, l’Europe et la Méditerranée. Cette dynamique régionale doit être fondée sur une rénovation du partenariat euro-méditerranéen qui doit dépasser ses propres limites et s’ouvrir sur une logique de coproduction et de gestion commune des problématiques développement-migration-sécurité. Cela permettra à l’Europe, étant donné son avancée technologique, et à l’Afrique, avec ses potentialités démographiques et son apport culturel, de participer à créer un nouveau pôle AME dans le cadre d’une multipolarité mieux partagée. Le Maroc doit continuer à renforcer son ancrage en Afrique, en consolidant ses actions en faveur du développement alimentaire (grâce aux phosphates), de l’électrification, de la diversification du tissu productif et participer à la promotion de la Zone de Libre-Echange continentale africaine (ZLECA). Grâce aux initiatives royales, le Maroc a su lier la gestion de la crise sanitaire à une approche de partenariat Sud-Sud avec les pays subsahariens.
- S’ouvrir sur les espaces lointains en vue de diversifier les échanges extérieurs avec les deux Amériques : celle du nord, la première puissance économique et géopolitique du monde, et celle du sud, dans le cadre d’un triangle stratégique Europe-Afrique-Amérique Latine, et avec l’Asie et toutes ses composantes, en tenant compte du rôle essentiel de la Chine qui propose à notre région de coopérer avec son initiative « La ceinture et la route ».
- La maitrise des rapports avec la proximité et avec les espaces lointains permettra au Maroc d’adhérer à la dynamique de la révolution technologique du XXIème siècle, représentée par le numérique et l’IA, en rapport avec l’avènement d’un nouveau modèle de développement et la réalisation des réformes nécessaires dans le domaine de l’éducation et de la formation.
Extrait de la tribune de Fathallah Oualalou « Senior Fellow, Policy Center for the New South«