L’analyse des discriminations intersectionnelles des femmes au Maroc a été dévoilée plus de trois moins du lancement d’une étude dans le cadre du Programme Conjoint « Appui à l’évaluation des politiques publiques en faveur d’un développement humain équitable » entre l’Observatoire National du Développement Humain (ONDH) et le Système des Nations Unies. Les résultats sont juste effarants.
Le 9 mars dernier, en présence d’El Hassan El Mansouri, Secrétaire Général de l’ONDH, Sylvia Lopez-Ekra, Coordinatrice Résidente des Nations Unies au Maroc, et de Leila Rhiwi, Représentante d’ONU Femmes au Maroc, un webinaire annonçait le lancement d’une étude reposant sur une approche intersectionnelle qui dépasse la notion considérant les femmes comme groupe homogène et universel et permet ainsi de visibiliser celles qui sont les plus marginalisées, vulnérables et exclues.
Si l’égalité des sexes constitue l’un des objectifs majeurs du Programme de développement durable à l’horizon 2030, elle implique en particulier de faire en sorte que toutes les femmes et les filles jouissent de chances et de droits équitables, quels que soient leur lieu de résidence, leur âge, leur classe sociale, leur capacité ou autre.
Et c’est dans le cadre du Programme Conjoint « Appui à l’évaluation des politiques publiques en faveur d’un développement humain équitable » entre l’Observatoire National du Développement Humain (ONDH) et le Système des Nations Unies que cette étude a été lancée.
Plus de trois mois plus tard, et compte tenu de ses attributions en matière d’évaluation des politiques publiques, et s’inscrivant dans la complémentarité des travaux réalisés sur la question du genre, l’ONDH s’est attelé à analyser les inégalités qui existent entre différents groupes de femmes et de filles.
Alors que généralement, ce sont les inégalités de genre qui sont le plus souvent étudiées, des différences d’accès aux ressources, aux services et aux possibilités peuvent exister entre certaines catégories de femmes et de filles, entraînant des discriminations accentuées entre les femmes.
S’appuyant sur les données issues de l’enquête panel de ménages de l’ONDH et enrichie par des investigations de terrain, cette étude a mis en évidence les inégalités touchant les femmes et les filles au Maroc à travers l’examen de plusieurs indicateurs de résultats liés aux ODD, notamment l’éducation, la santé, l’emploi, le mariage précoce et la violence faite aux femmes et aux filles.
Elle a également souligné les causes profondes de ces inégalités généralement déterminées par des facteurs structurels sous-jacents et souvent ancrées dans les institutions économiques, sociales et politiques du pays.
La particularité de cette approche intersectionnelle réside dans le fait qu’elle dépasse la notion considérant les femmes comme groupe homogène et universel et permet ainsi de visibiliser celles qui sont les plus marginalisées, vulnérables et exclues afin de mieux orienter les politiques publiques qui leur sont destinées et répondre à leurs besoins et attentes.
Par ailleurs, l’analyse qualitative menée auprès de ces femmes, à travers la conduite d’entretiens approfondis et de focus groupes, a permis de mieux cerner le vécu de celles-ci, leurs difficultés, leurs attentes et leurs aspirations.
Discrimination au sein de la discrimination
Il est ainsi ressorti de cette étude que ce sont les femmes et les filles issues de ménages ruraux pauvres qui sont les plus discriminées par rapport aux femmes urbaines riches, notamment en termes d’accès à l’éducation (analphabétisme chronique deux fois plus élevés chez les premières, achèvement du cycle collégial pour 8,9% pour les premières contre 55,3% pour les secondes), à l’emploi décent (3,8% contre 27,6%) et aux soins de santé (non couverture médicale pour 54,5% des premières contre 30,5% les secondes).
Les femmes rurales les plus pauvres sont deux fois plus nombreuses à se marier avant l’âge de 18 ans, comparativement à leurs homologues les plus riches issues des ménages urbains (28,3% contre 13,9%).
Par région, les carences les plus flagrantes sont observées dans les régions de Fès-Meknès, Casablanca-Settat, Beni-Mellal-Khénifra et Tanger-Tétouan-Al Hoceima pour ce qui concerne respectivement l’accès à l’éducation, le bénéfice d’une couverture médicale, le recours aux consultations prénatales et à l’accouchement en milieu surveillé.
Aussi, la prévalence de la violence à l’encontre des femmes reste-elle élevée (58% en milieu urbain et 55% en milieu rural) et elle se manifeste autant dans les sphères privées (52%) que publiques (48%). Par ailleurs, l’étude montre aussi que les femmes démunies par rapport à une dimension du bien-être du fait de leur identité intersectionnelle ont souvent plus de risques de cumuler d’autres privations.
En l’occurrence, 32,4% des femmes de 18 ans et plus, soit près de quatre millions de femmes, sont confrontées à des privations simultanées dans trois dimensions en lien avec les ODD : ces femmes n’ont pas accès aux soins de santé, n’ont pas achevé leur scolarité secondaire et n’exercent pas un emploi décent.
Par ailleurs, 63,7% des femmes de 18-24 ans qui ont été confrontées à des carences éducatives n’occupent pas un emploi décent. Et 2,6% des femmes non célibataires de 15-49 ans n’ont bénéficié ni de consultations prénatales, ni d’accouchements en milieu surveillé.
Il faut rappeler que l’intersectionnalité est un concept né à la fin du 20ème siècle (Kimberlé Crenshaw) et qui vise à rendre compte de la manière avec laquelle plusieurs caractéristiques identitaires (sexe, origine, classe sociale, lieu de vie, etc.) interagissent entre elles pour renforcer une ou des discriminations déjà présentes.