Le Conseil de la Concurrence a livré ce 26 septembre son avis sur l’impact de la flambée des matières premières et des intrants sur le fonctionnement concurrentiel du marché des carburants (essence et gasoil). Un avis riche en données !
L’une des premières conclusions de l’avis du Conseil de la Concurrence est que le marché des carburants très encadré par une règlementation devenue obsolète en dépit de la libéralisation des prix de vente du gasoil et de l’essence sur le marché national.
A cet égard, il y a lieu de souligner que même si ce cadre légal a connu un changement en 2015 par la promulgation d’une nouvelle loi, à savoir la loi n° 67.15, celle-ci n’est toujours pas entrée en vigueur sept ans après sa publication, du fait de l’absence de ses textes d’application.
Aussi, la réglementation en vigueur continue de soulever des préoccupations d’ordre concurrentiel portant sur l’ensemble des maillons de la chaine de valeur de ce marché, depuis l’importation jusqu’à la distribution.
Par ailleurs, depuis l’arrêt de l’activité de ce raffineur en 2015, le Maroc s’est vu dans l’obligation d’importer, en totalité, les produits raffinés (gasoil, essence, fuel, kérosène, etc.) et se retrouve depuis, entièrement dépendant des marchés mondiaux desdits produits raffinés.
A ce sujet, il faudrait rappeler que, durant son activité, la Samir ne facturait pas ses produits raffinés aux sociétés de distribution sur la base de ses coûts de production et prix de revient mais sur la base d’une formule qui lui garantissait un prix de vente ou prix de cession sortie raffinerie (prix de reprise en raffinerie) égal à celui des produits raffinés importés.
L’avis révèle une forte concentration au niveau des marchés de l’importation et du stockage dont le niveau se situe généralement en-dessous du seuil prévu par la réglementation (60 jours prévue par la réglementation)
Ainsi, les quatre premiers opérateurs du marché à savoir Afriquia SMDC, TotalEnergies Marketing Maroc, Vivo Energy Maroc et Petrom réalisent, à eux seuls, environ 68% des importations en volume et disposent de plus de 61% des capacités de stockage installées en dépit du nombre de nouveaux opérateurs qui est passé de 11 en 2018 à 25 actuellement.
Idem pour le réseau de distribution détenu à hauteur de 53% par quatre opérateurs : Afriquia SMDC, TotalEnergies Marketing Maroc, Vivo Energy Maroc et Petrom.
Fait saillant de cet avis, l’affaiblissement de la corrélation entre les cours du baril de pétrole brut, les cotations des produits raffinés et les prix de vente sur le marché national durant les années 2020 et 2021 ainsi que les quatre premiers mois de l’année 2022.
« En focalisant l’analyse sur les années 2020, les cours du baril de pétrole brut ont chuté de 34%, les cotations FOB du gasoil ont baissé de 36%, tandis que les prix de vente sur le marché national n’ont diminué que d’environ 12%, ce qui veut dire que les opérateurs n’ont répercuté que partiellement les baisses des cotations enregistrées au niveau international. A l’inverse, en 2021, les cours du baril de pétrole brut ont progressé de 67%, les cotations
FOB du gasoil ont augmenté de 41% alors que les prix de vente sur le marché national n’ont progressé que de 11%, ce qui veut dire que les opérateurs n’ont répercuté, que partiellement, les hausses des cotations du gasoil à l’international sur les prix de vente sur le marché national ».
En général, les prix de vente des sociétés de distribution sont fixés par les opérateurs une fois tous les quinze jours. Toutefois, pendant certaines périodes, les opérateurs ont appliqué deux ou plusieurs changements de prix de vente à la hausse par quinzaine. Tel a été le cas durant les mois de mars, d’avril et de juillet 2022.
Le décalage constaté entre les variations des cotations Platts des produits raffinés et les prix de vente sur le marché national peut être expliqué par le fait que les opérateurs répercutent immédiatement les hausses des cotations. Ceci dit, en cas de baisses, ils cherchent, d’abord, à écouler le stock des produits achetés auparavant à un prix plus élevé et sont même tentés de consolider leurs marges, voire de les augmenter.
Pour ce qui est de la décomposition du prix de vente du gasoil et de l’essence a permis de conclure qu’entre 2018 et 2021, le prix de vente est composé dans le cas du gasoil à hauteur de 51% en moyenne des coûts d’achat des produits raffinés importés et de 43% en moyenne pour l’essence. Les taxes (TVA et TIC) sont de l’ordre de 35 % en moyenne du prix de vente d’un litre de gasoil et de 45 % pour l’essence. Ce qui s’est positivement répercuté sur les recettes de l’Etat prélevées sur le secteur.
Au cours des années 2020 et 2021, les marges des sociétés de distribution ont connu une forte hausse, dépassant en 2020 la barre d’1 DH/l chez l’ensemble des opérateurs. Ces marges ont dépassé les 1,25 DH/l chez les trois premiers opérateurs du marché (Afriquia SMDC, TotalEnergies Marketing Maroc et Vivo Energy Maroc) et ont même atteint 1,40 DH/l chez Vivo Energy Maroc, soit environ 15% du prix de vente d’un litre de gasoil contre seulement une moyenne de 9% pour la période 2018-2021.
Aussi, les marges de 2021, même après avoir diminué par rapport à 2020, restent supérieures de près de 25 centimes/litre à celles constatées en 2018 et 2019. Il en résulte que les sociétés de distribution ont tiré profit de la forte chute du cours sur le marché international pour augmenter leurs marges. Un constat qui est corroboré par les conclusions de l’analyse sur le niveau de corrélation. En effet, les cotations à l’international en 2020 ont baissé de 1,73 DH/l, alors que les prix de vente sur le marché national n’ont baissé que de 1,18 DH/l.
L’avis révèle un niveau de marge nette (gasoil et essence) oscillant entre un minimum de 0,07 DH/l et un maximum de 0,68 DH/l durant la période 2018-2021.
Distribution des carburants, activité très lucrative
L’activité de distribution du gasoil et de l’essence reste très lucrative au vu des niveaux de rentabilité financière qu’elle dégage.
En effet, l’exploitation des données de la période 2018-2021 a fait ressortir des niveaux de rentabilité qui demeurent très élevés dans l’ensemble avec, néanmoins des différences entre les sociétés.
Le ratio de rentabilité calculé est égal au rapport entre les résultats nets et les capitaux propres tels qu’ils ressortent des bilans des sociétés concernées.
Ainsi, la société Winxo se différencie par un taux de rentabilité financière qui dépasse généralement les 60%, suivie de Vivo Energy Maroc avec un taux élevé se situant entre 44 et 52%. En revanche, les sociétés Petrom et Ola Energy Maroc ont affiché un taux de rentabilité ne dépassant pas 20% durant cette période. Afriquia SMDC a vu son taux de rentabilité financière fluctuer entre 11,5% et 22%.
Les écarts des niveaux de rentabilité constatés chez les opérateurs s’expliquent surtout, par les différences relevées dans la rubrique des investissements engagés par chacun de ces opérateurs, notamment dans le développement des capacités de stockage et du réseau de distribution.
A titre d’exemple, le leader en termes de parts de marché (Afriquia SMDC) a réalisé un montant d’investissement moyen durant la période 2018-2021 de l’ordre de 319 MDH dans le développement des infrastructures de stockage et dans le réseau des stations service tandis que Winxo n’a mobilisé que près de 185 MDH, soit presque la moitié du montant d’Afriquia SMDC. Vivo Energy Maroc a investi 285 MDH.
En guise de conclusion générale du présent avis, il apparait que les marchés du gasoil et de l’essence sont des marchés fortement concentrés aussi bien en amont qu’en aval et ce, malgré l’arrivée de nouveaux opérateurs dont la taille, les moyens et l’origine n’ont pas permis d’insuffler une nouvelle dynamique concurrentielle au sein de ces marchés.
En outre, la structure et le fonctionnement concurrentiel de ces marchés sont restés pratiquement identiques à ceux hérités de l’époque où les prix étaient fixés par les pouvoirs publics.
En effet, l’analyse menée dans le cadre du présent avis a permis de constater qu’à l’exception de la libéralisation des prix de vente, ces marchés continuent de fonctionner selon le même schéma administratif de régulation, avec le même cadre légal et réglementaire, les mêmes intervenants et presque, le même mode de détermination
des prix de vente et les mêmes procédures.
Ce statu quo pourrait s’expliquer par le niveau de rentabilité financière très élevé que cette activité permet de générer et qui n’incite pas les opérateurs à une rivalité concurrentielle par les prix sur ces marchés, du moment qu’ils sont assurés, ou presque, de la réalisation de résultats positifs quelle que soit la conjoncture ou le nombre d’opérateurs. Ceci explique, en grande partie, l’absence de toute sortie d’opérateurs de ces marchés sur
les dix dernières années.
Ces constats sont confirmés par deux aspects relevés, à savoir i) la stagnation des parts de marché avec de légères variations durant les périodes observées et ii) les comportements passifs des opérateurs qui ont neutralisé toute concurrence par les prix de vente.
D’ailleurs, et au moment de la baisse des cours internationaux en 2020 et premier semestre de 2021, il a été constaté que ces opérateurs ont préféré augmenter leurs marges au lieu de chercher à augmenter leurs parts de marché en opérant des baisses significatives de leurs prix de vente.
Par conséquent et compte tenu de ce qui précède, il est permis de conclure que la concurrence par les prix sur ces marchés est quasi-inexistante, voire neutralisée.
2 Commentaires
Nous somme choqués de remarquer que le raport n’a pas évoqué la différence entre les marges des compagnies pétrolière et la misère que vivent les gérants des stations services, c’est une grandes négligence de la part du conseil de la concurence
A l’instar des précédents, aplaudissons bien fort le présent avis. Et après ? Après, attendons bien sagement le prochain avis et préparons nos mains pour de nouveaux applaudissements. Entretemps qu’est ce qui a été fait pour remédier ou pour améliorer un tant soit peu la situation? Un énième avis nous le dira probablement. Gardons espoir.