Lors des deux précédents entretiens, nous avons interrogé Omar Bakkou au sujet de la pertinence économique des restrictions applicables à certaines opérations de services. En réponse O. Bakkou a établi un focus assez profond sur les restrictions applicables à une catégorie particulière de services, à savoir les voyages professionnels.
Ce focus a porté sur le diagnostic du système de plafonnement régissant les voyages professionnels.
Ce diagnostic a permis d’identifier les mesures concrètes devant être adoptées pour la réforme de ce système.
Dans le présent entretien, nous allons interroger O.Bakkou au sujet de la pertinence économique des restrictions applicables à une autre catégorie de services, à savoir le courtage.
Vous avez dit lors d’un précédent entretien que les commissions de courtage font l’objet de quelques restrictions. Pourriez-vous nous les rappeler ?
Les services de courtage désignent les activités destinées à mettre en relation un acheteur et un vendeur.
Ces activités donnent lieu au paiement d’une commission appelée commission de courtage, par le vendeur en faveur du commissionnaire.
Ces commissions bénéficient d’un cadre libéral lorsqu’elles sont payées pour favoriser la réalisation des transactions suivantes :
-les opérations d’exportation de biens ou de services ;
-les opérations de commercialisation de la destination touristique nationale ;
-les opérations d’acquisition d’actifs financiers côtés sur la bourse des valeurs de Casablanca.
Cette liberté demeure, toutefois, limitée à concurrence de certains plafonds bien définis.
Ces plafonds concernent les commissions de courtage payées au titre des opérations d’exportation et celles payées au titre la commercialisation de la destination touristique nationale.
Quant aux commissions de courtage payées au titre de l’acquisition d’actifs financiers côtés sur la bourse des valeurs de Casablanca, elles ne sont pas plafonnées.
Quels sont les plafonds établis pour les commissions de courtage payées au titre des opérations d’exportation ?
Les commissions de courtage au titre des opérations d’exportation de biens et de services sont plafonnées à 10% du montant facturé au titre de ces opérations.
Ce plafonnement a pour implication que les paiements de montants au titre de ces commissions supérieurs au pourcentage précité sont soumis à l’autorisation de l’Office des Changes.
Et quels sont les plafonds établis pour les commissions de courtage payées au titre de la commercialisation de la destination touristique nationale ?
Les commissions de courtage relatifs à la commercialisation de la destination touristique nationale (réservation en ligne) sont plafonnées à 20% du montant facturé au titre du produit touristique vendu.
Ce plafonnement a pour implication que le paiement d’un montant au titre de ces commissions supérieur au pourcentage précité est soumis à l’autorisation de l’Office des Changes.
Les éléments que vous avez présenté ci-dessus laisse entendre que les plafonds applicables aux commissions de courtage peuvent être qualifiés comme étant restrictifs. A votre avis, ces restrictions sont-elles justifiées ?
A mon avis, ces restrictions ne sont pas justifiées.
Pourquoi ?
Car, comme je l’avais signalé lors d’un précédent entretien, les services de courtage constituent des opérations courantes.
Or, ces opérations doivent bénéficier d’un cadre totalement libéral en vertu de la souscription du Maroc à l’article VIII des statuts du FMI.
L’argument que vous venez d’évoquer relève des principaux généraux. Mais l’on sait que ces principes peuvent ne pas être appliqués dans certains cas particuliers !
Tous les services indiqués dans la liste figurant dans l’annexe 1 de l’Instruction Générale des Opérations de Change-24(l’IGOC-24) peuvent donner lieu à des paiements en devises dans la limite des montants facturés par les prestataires étrangers.
Ces montants peuvent, bien entendu, être révisés à postériori par l’administration fiscale ou par l’Office des Changes.
Concernant les services de courtage, ils peuvent naturellement parfaitement rentrer dans ce cadre tracé par l’IGOC-24.
Cela signifie que ces services peuvent bénéficier d’un cadre totalement libéral et faire l’objet par la suite de révisions éventuelles par l’administration, et ce, à l’instar des autres catégories de services.
En définitive, les services de courtage n’ont, à mon avis, aucune particularité par rapport aux autres services.
Si j’ai bien compris, vous fondez votre argumentaire pour le déplafonnement des services de courtage, sur des éléments principalement d’ordre juridique, n’est-ce pas ?
Entre autres, puisque nous sommes dans le domaine de la règlementation.
Et qui dit règlementation, dit règles.
Or, le propre des règles c’est la cohérence .
Vous insinuez en demi-mot que les dispositions régissant les services de courtage sont incohérentes !
Absolument, l’on peut relever deux types d’incohérences à ce niveau.
La première catégorie d’ incohérences concernent celles qui peuvent être qualifiées comme étant d’ordre internes .
Ce qualificatif désigne le fait que ces incohérences existent au sein du « régime des services de courtage ».
En effet, certains services de courtage sont déplafonnés (commissions payées au titre de l’acquisition d’actifs financiers côtés sur la bourse des valeurs de Casablanca), alors que d’autres sont soumis à des plafonds eux même variables selon qu’il s’agit de commissions au titre des exportations de biens et de services) ou de commissions au titre de commercialisation de la destination touristique nationale.
La deuxième catégorie d’incohérences concerne celles qui peuvent être qualifiées comme étant d’ordre externes.
Cette qualification symbolise les incohérences qui existent entre le « régime des services de courtage » et les autres catégories de services.
En effet, les services de courtage sont soumis aux plafonds précités, alors que les autres catégories ne sont soumises à aucun plafond.
Mais comme vous le savez, la règlementation des changes est une règlementation d’essence économique. Par conséquent, les éléments d’ordre économique doivent également être pris en considération dans la conception des mesures règlementaires !
Vous sous-entendez à travers votre question que le déplafonnement des commissions de courtage risque d’impacter les réserves de change du Maroc. N’est-ce pas ?
Absolument !
En parlant de l’impact éventuel sur les réserves de change, il serait judicieux d’évoquer « le revers de la médaille » de ce système de plafonnement.
En effet, ce système est libératoire dans la mesure où dans le cas où les commissions de courtage portent effectivement sur des montants inférieurs aux plafonds précités, l’administration ne peut pas les contester.
Tandis que le déplafonnement permet à l’administration de réviser les montants facturés au titre des opérations de commissions de courtage, quelque soit leurs montants.
Par conséquent, le déplafonnement donne plus de marges à l’administration en matière de révision des montants facturés par les opérateurs économiques.
Donc, au contraire le déplafonnement aurait plutôt un impact positif sur les réserves de change.
Quid de l’autre « face de la médaille » ?
Votre question sous-entend que le déplafonnement des commissions de courtage aurait un impact négatif sur les réserves de change.
Cet impact pourrait s’exercer à travers la surfacturation de ces commissions.
Cette éventualité est à mon avis injustifiée sur le plan économique, du fait que les différentes activités exportatrices dégagent des bénéfices qui ne dépassent pas en moyenne 10% de leurs recettes.
Cela signifie que les opérateurs économiques « n’ont pas la main » sur 90% de leurs recettes.
Ces recettes doivent en effet être utilisées pour honorer leurs engagements : dépenses locales (salaires, achats de marchandises, paiement des charges financières, etc.) et de celles en devises (importations de biens et de services, etc.).




