Ecrit par I. Bouhrara |
Bien de responsables, aussi bien nationaux qu’internationaux, ont anticipé une baisse de l’inflation en 2023 et un retour à des niveaux normaux à partir de 2024. Mais pour atteindre l’objectif cible de 2 %, il faudrait, selon d’autres avis, tabler au-delà de 2024.
Pour sortir des tenailles de l’inflation, les banques centrales dans leur majorité ont amorcé un resserrement monétaire depuis 2022, malgré l’importance d’une politique monétaire accommodante pour relancer la machine économique après deux années de crise sanitaire. Et cette tendance se poursuivra en 2023, face à une inflation qui ne cède que peu de terrain dans un contexte mondial des plus incertains.
Certes on observe une désinflation, est-ce pour autant au rythme souhaité pour revenir à l’objectif de base des 2% ?
Il est très tôt pour crier victoire. « Les risques demeurent élevés en lien avec l’enlisement et un éventuel élargissement du conflit en Ukraine, ainsi que la persistance des niveaux élevés de l’inflation. Les resserrements monétaires décélèrent certes, mais devraient se poursuivre et en conséquence les taux d’intérêt resteraient encore élevés », a souligné le Wali de BAM lors d’une récente intervention.
A cela s’ajoutent les séquelles des crises successives dont notamment l’amenuisement des marges budgétaires des gouvernements et la forte aggravation de l’endettement tant public que privé, soutient Abdellatif Jouahri.
Il faut dire que certains reprochent au Maroc sa réaction tardive, le cas de l’Observatoire du travail du gouvernement (OTRAGO) qui estime que l’exécutif a bien été hésitant et a fait montre d’absence de vision anticipative bien que certains problèmes seraient posés depuis un an le cas du lait et de la viande rouge.
Le rapport d’Otrago souligne par ailleurs le manque de volonté d’organiser le circuit de la distribution et de commercialisation des denrées alimentaires, comme conséquence de la poursuite de la hausse des prix et l’érosion du pouvoir d’achat des citoyens entre autres reproches faits.
Au Maroc qui a terminé l’année 2022 avec une inflation de 6,6 %, tout pronostic dans les conditions actuelles demeure incertain estime pour sa part l’économiste, Mehdi El Fakir, tout en soulignant qu’un retour de l’inflation à son niveau normal en 2024 est fort improbable.
Même son de cloche outre-mer. Le président de la Fed Jerome Powell, a annoncé cette semaine que la route vers une sortie de l’inflation sera « longue, voire cahoteuse » ajoutant lors d’un discours à l’Economic Club de Washington que « si les données économiques devaient continuer d’être plus fortes que prévu (…) nous augmenterions certainement davantage les taux ».
Michelle W. Bowman, membre du Board de la Fed, a soutenu pour sa part que les perspectives économiques et les perspectives d’inflation restent très incertaines.
« Des facteurs mondiaux et nationaux contribuent à accroître l’incertitude, et je m’attends à ce que nous continuions d’être surpris par les développements économiques et géopolitiques et par les données à venir. Bien que nous ayons observé des chiffres d’inflation légèrement inférieurs ces derniers mois, l’inflation globale reste élevée. Les mesures de l’inflation des services de base ont été constamment élevées et la demande de main-d’œuvre dépasse l’offre de travailleurs disponibles, ce qui conduit les employeurs à augmenter les salaires dans le but de retenir et d’attirer les travailleurs. Les tensions persistantes sur le marché du travail exercent des pressions à la hausse sur l’inflation, même si certaines composantes de l’inflation ralentissent en raison de l’amélioration des facteurs liés à l’offre. Plus l’inflation élevée persiste longtemps, plus il est probable que les ménages et les entreprises s’attendent à une inflation plus élevée à long terme. Si tel était le cas, la tâche du FOMC de réduire l’inflation serait encore plus difficile », explique-t-elle le 13 février lors de l’American Bankers Association Community Banking Conference, en Floride.
La BCE elle semble moins inquiète par l’inflation après avoir augmenté à plusieurs reprises ses taux d’intérêt pour faire baisser le niveau des prix : 50 points de base en juillet 2022, 75 points en septembre et en octobre 2022, puis à nouveau 50 points en décembre 2022 et en février 2023, soit 300 points de base au total.
Particulièrement au regard de l’évolution encourageante de la situation de ces derniers mois, a déclaré mercredi Pablo Hernandez gouverneur de la Banque d’Espagne (Cos), membre de BCE.
La répercussion des hausses de prix passées et les tensions sur le marché du travail risquent cependant d’exercer une pression à la hausse sur l’inflation de base à court terme, a-t-il néanmoins ajouté.
« Les données récentes sur l’inflation dans la zone euro et certains de ses principaux éléments sont quelque peu encourageants, mais la situation globale exige encore de la prudence », a estimé Pablo Hernandez.
La BCE anticipe une inflation, en moyenne annuelle, de 6,3 % en 2023 et de 3,4 % en 2024, après 8,4 % en 2022 ; une inflation sous-jacente de 4,2 % en 2023 et de 2,8 % en 2024, après 3,9 % en 2022. Cela veut dire que l’inflation et l’inflation sous-jacente anticipées se rapprocheraient de 2 % à la fin de 2024 ou au début de 2025.
L’heure demeure donc à la vigilance face aux nouvelles données qui affluent et changent au gré du contexte économique mais aussi géopolitique. Toujours est-il que les gouvernements doivent être plus innovants et puiser dans des mesures autres que la politique monétaire au risque de sombrer dans la récession.
L’exemple du Covid est édifiant : nombreuses sont les réformes bloquées depuis belle lurette qui ont fini par voir le jour. Sous la pression certes, mais elles ont pu débloquer un tant soit peu des situations très complexes.
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