Ecrit par Lamiae Boumahrou |
La crise sanitaire a mis à nu notre économie et en évidence la fragilité de notre tissu économique marqué par l’informel. Malheureusement, le gouvernement ne semble pas avoir tiré les leçons qu’il fallait de cette crise. Il fait fi de la dangerosité des conséquences de l’informel aussi bien sur le plan économique que social.
Après 3 années de dure épreuve, de sacrifice, de crise économique et de dégâts collatéraux inestimables, l’heure est au bilan. Une crise sanitaire qui faut-il reconnaître a chamboulé notre existence, notre façon de vivre mais aussi notre manière de fonctionner. Elle aurait toutefois dû changer également notre façon de gouverner et de gérer la chose publique.
Aujourd’hui, avec du recul on se demande si réellement nous avons tiré les bonnes leçons de cette crise ? Pas vraiment. Malheureusement, l’homme a tendance à vite oublier. Preuve en est, nous avons rapidement repris nos vieilles habitudes de vie et de gestion. L’Etat qui avait fait un grand effort pour atténuer l’impact de cette crise aussi bien sur le plan sanitaire qu’économique ne semble pas pressé pour prendre le taureau par les cornes.
L’informel ne cesse de peser sur notre économie. Des centaines de milliers de marocains qui travaillent dans l’informel, au su et au vu des autorités, se sont retrouvés du jour au lendemain sans revenus et surtout non éligibles aux mesures de soutien mises en place par l’Etat pour soutenir les employés des secteurs impactés par la crise.
La question qui s’impose : qu’a fait le gouvernement depuis la crise sanitaire pour éradiquer ce fléau et éviter que des personnes actives dans la société soient inéligibles aux aides financières en cas de crise ?
Contacté par nos soins, l’économiste Azeddine Akesbi nous a confirmé le constat suivant : l’Etat n’intervient pas réellement pour résorber ce fléau. « Personnellement je n’ai pas encore vu de mesures significatives du gouvernement pour faire évoluer le secteur informel vers le formel. A noter qu’il ne s’agit pas seulement d’une mesure mais d’une politique globale qui doit inclure également la lutte contre la politique de rente et monopolistique de certains secteurs bien organisés », a-t-il précisé.
Et d’ajouter « Si l’on veut réellement lutter contre l’informel il faut d’abord l’analyser comme étant un secteur important qui rend des services, qui permet à une population importante de vivre et survivre et qui offre des services abordables pour la majorité de la population qui ne peut se permettre les marges monopolistiques de certains secteurs. Il faut donc appréhender cette problématique non seulement du point de vue fiscal mais en traitant différents aspects entre autres le lien entre le secteur informel et secteur formel qui lui cherche à échapper à certains engagements en sous-traitant de l’informel », a-t-il précisé.
Outre les activités souterraines des entreprises « formelles » (sous-déclaration du chiffre d’affaires ou des employés…), force est de constater que la situation de milliers d’employés vulnérables notamment ceux travaillant dans des secteurs comme les salons de coiffure, les hammams, les chantiers de construction…, et bien d’autres, est restée inchangeable. Et pourtant, le contrôle de ces entités par les autorités n’est pas une tâche ardue sauf si l’Etat ferme délibérément les yeux.
Et c’est le cas puisque depuis la reprise de l’activité économique post-Covid, on n’entend plus parler de la lutte contre l’informel qui pourtant devait être une priorité pour le gouvernement.
On se rend bien compte qu’il y a bel et bien un profond fossé entre le discours politique pré-élection et l’action politique post-élection. Les travailleurs informels continuent de subir de plein fouet l’inaction de l’Etat pour mettre fin à l’informel (ou du moins le réduire) et l’avidité des employeurs irresponsables.
Faut-il rappeler au gouvernement que l’informel pèse jusqu’à 30% du PIB selon les dernières données de BAM datant de 2018 et que la population active opérant dans l’informel est estimée entre 60% à 80%.
Plusieurs instances du pays ont tiré la sonnette d’alarme appelant le gouvernement à réagir et à agir pour stopper cette hémorragie qui fragilise notre économie.
Et pourtant la LF 2023 avait prévu quelques mesures pour effectivement intégrer le secteur informel dans le formel. Sauf que pour l’économiste A. Akesbi ces mesures fiscales n’ont d’impact que de réduire les impôts pour les grandes entreprises référence faite à l’impôt sur les sociétés, le passage progressif à un taux uniforme ou encore la révision de la TVA.
Malheureusement, ni le secteur informel, ni les petites entreprises d’ailleurs ne profitent de ces mesures. « Nous sommes aujourd’hui dans une situation extrêmement difficile pour une grande partie de la population rurale notamment en raison de la sécheresse. Je pense que nous sous-estimons la gravité de la situation puisque ce contexte va certainement entrainer l’exode rural qui va se traduire par plus de chômage et plus de travail dans l’informel », alerte A. Akesbi.
Que fait le gouvernement au juste?
Dans son dernier avis sur l’informel (2021), le Conseil économique, social et environnement avait plaidé pour la mise en place d’une stratégie intégrée de résorption de l’informel au Maroc.
Une stratégie qui devrait ramener progressivement le poids de l’emploi informel dans l’emploi total à environ 20%, une moyenne proche du groupe de pays développés. « La cible de 20% concernerait surtout les activités de subsistance et les unités de production informelles à capacités limitées. En revanche, un objectif de tolérance zéro est adossé aux activités illicites, souterraines et celles relevant de l’informel concurrentiel », lit-on dans ledit avis.
Sauf qu’après presque 2 ans au pouvoir, le gouvernement Akhannouch ne s’est toujours pas penché sur ce fléau. Aucune stratégie pour lutter contre l’informel n’est en vue.
Ce gouvernement manque-t-il de courage politique pour s’attaquer à ce fléau ou n’ose-t-il pas ouvrir cette boite de pandore au risque de contrarier une bonne frange du tissu économique qui profite largement de cette aubaine ? Faut-il attendre une crise (sanitaire ou économique) pour agir dans la précipitation et sans doute mettre à l’écart, une fois de plus, des milliers de Marocains qui n’ont d’autre choix que de travailler dans l’informel ? Que fait le gouvernement pour garantir à tous les Marocains des droits égaux d’accès, entre autre, à un emploi digne ?