A l’arrivée à Laâyoune, vous serez certainement surpris par le développement spectaculaire qu’a connu cette ville saharienne qui apparaît comme une incongruité géographique dans un temps record. Une croissance surprenante en dépit d’un environnement hostile et très insuffisant en ressources tant économiques qu’hydriques.
A côté de ce développement urbanistique, votre attention sera attirée par le nombre de citernes noires sur les toits de tous les bâtiments (Administrations, hôtels, immeubles modernes…) et le nombre de camions citernes sur lesquels est écrit« Eau de TanTan » (Ville à 334 Km au nord de Laâyoune), ou tout simplement un numéro d’ordre qui dépassait le chiffre 300. Des camions qui circulent dans la ville avec leurs klaxons qui rompent le silence d’une ville sans bruit. Une particularité de Laâyoune partagée avec les autres provinces sahariennes notamment Es-smara, Boujdour, Tarfaya et Dakhla.
Plusieurs questions se posent dès lors: pourquoi y a-t-il autant de camions citernes et de citernes ? La ville n’est-elle pas servie en eau potable ?
Autant de questions que nous essayerons de soulever dans cet article qui se propose de mettre le doigt sur la plaie dont souffre chaque jour le citoyen de la région de Laâyoune : une égalité des chances dans l’accès à une eau de qualité, en quantité suffisante et au prix raisonnable.
- L’accès à l’eau à Laâyoune : bataille étatique pour vaincre la géographie et la nature
Il est communément connu que le Maroc se caractérise par un climat semi-aride marqué par une grande irrégularité pluviométrique annuelle et interannuelle ainsi que par une grande variabilité spatiale (79% des ressources en eau sont concentrées au niveau de 27% du territoire national). Les ressources en eau naturelle par habitant à l’échelle du pays se situeraient autour de 720 m3/hab/an, alors que 35% de la population totale du pays, disposeraient de moins de 500 m3/hab/an.
À cette irrégularité pluviométrique dans le temps vient s’ajouter un autre aspect capital, à savoir la croissance démographique. Selon les chiffres du ’, en 2021, il faut assurer les besoins en eau potable d’une population de pas moins de 36,31 millions habitants, dont 23,19 millions vivant en villes (projections HCP 2014-2050).
On peut donc considérer que le Maroc a atteint d’ores et déjà la limite du seuil de « stress hydrique », évalué à 950m3/hab./an. De plus, il devrait arriver au seuil de pénurie, 500m3/hab./an, vers 2030 selon les prévisions. Ajoutant à tous ces éléments, la disparité régionale entre le nord et le sud du pays, sans parler des problèmes de pollution de l’eau et des insuffisances du secteur de l’assainissement.
Laâyoune, ville particulièrement excentrée, se trouve à la limite du désert du Sahara, rendant très difficile l’accès à l’eau. Au cours des quarante dernières années, malgré l’environnement très hostile de la ville et les ressources hydriques très insuffisantes, la population n’a eu de cesse de croître. Pourtant, la région ne reçoit qu’environ quarante-cinq millimètres d’eau par an, ce qui est largement insuffisant, en plus du problème d’infiltration de l’eau de mer dans l’eau potable.
En fait, l’État essaie de remplir son devoir et fait régulièrement des efforts, en recourant à des solutions spécifiques à la région, comme le dessalement, afin d’offrir aux citoyens un meilleur accès à l’eau à travers la mise en place d’une politique de mobilisation hydraulique. Cette dernière vise une meilleure distribution de l’eau, aussi bien pour la consommation que pour l’agriculture. Ainsi, il a lancé des programmes visant à faciliter l’accès à l’eau à Laâyoune notamment, la station de dessalement sise à la commune de Lmarsa.
D’autres projets ont vu le jour ces derniers mois, il s’agit du renforcement de l’approvisionnement en eau potable de la ville et des centres avoisinants, qui consiste en la réalisation d’une nouvelle station de dessalement d’une capacité de production de 26.000 m3/j, toujours en cours, avec un renforcement de la production de l’eau brute. Ce qui permettra de doubler la capacité de production des stations de dessalement de l’eau de mer pour arriver à 52.000 m3/j, la réalisation de trois réservoirs d’une capacité de stockage de 5.500 m3, la construction de stations de pompage et la mise en place d’un système de télégestion.
Malgré ces efforts non négligeables, avoir une eau en quantité et qualité suffisantes restent un souci et une bataille au quotidien du citoyen laâyounnais.
- L’accès à l’eau à Laâyoune : la chasse à la soif au quotidien
Si la situation hydrique du pays semble très inquiétante, celle des provinces du sud l’est plus vu leur localisation géographique et du climat. Les politiques et la gouvernance locale d’une telle ressource vitale viennent accentuer la souffrance du citoyen.
Il est à rappeler que l’approvisionnement et la distribution de l’eau potable ainsi que l’assainissement relèvent de la compétence des communes en vertu de la loi organique N° 113-14 relative aux communes.
Ce texte de loi leur confère une pleine responsabilité pour la gestion de ces services publics locaux. Les communes peuvent donc, soit gérer elles mêmes ces services, soit créer, pour ce faire, une Régie Autonome, ou encore confier les services en gérance à l’Office National de l’Eau Potable et d’Electricité (ONEE) branche Eau ; ou encore à des concessionnaires privés, comme pour le cas de Casablanca (LYDEC) , Rabat (REDAL) et Tanger (AMENDIS).
Le cas se présente principalement lorsque les communes n’ont pas les compétences ou les moyens d’assurer un service performant. L’ONNE-Branche eau se charge de la distribution de l’eau à Laâyoune.
Quant à la production, elle demeure, dans une large mesure, l’apanage de l’ONEE-Branche eau qui produit environ 80% de l’eau potable distribuée.
A noter qu’un chantier de création de sociétés régionales pour ce service est en cours de mise en œuvre malgré les difficultés liées essentiellement à l’avenir du personnel de l’ONEE qui vivent ces derniers temps dans l’incertitude.
A Laâyoune, ville saharienne, les citoyens sont extrêmement impactés par le manque d’eau, ce qui pèse lourdement sur leur budget et leur moral au quotidien. À côté des problèmes quantitatifs, l’eau des robinets, jugée potable selon les normes en vigueur, les habitants n’en boivent pas en raison de son mauvais goût.
Bien qu’elle soit consommable, cela augmente encore la facture en eau puisque les citoyens vont privilégier de l’eau en bouteille plutôt que celle directement accessible chez eux.
De plus, à Laâyoune, l’eau ne coule dans les robinets que quelques heures par jour en plus parfois d’une inaccessibilité des jours entiers.
En effet, le citoyens se trouve obligé d’installer une pompe (Marché très rentable à Laâyoune) pour remédier au problème de débit et de disponibilité, acquérir une ou plusieurs citernes ou creuser un réservoir en béton au garage pour stocker de l’eau pour faire face aux coupures ou encore acheter de l’eau chez les camions citernes qui le revendent aux citoyens après son acquisition depuis le château d’eau de l’ONEE-Branche eau.
Quant à l’eau douce elle est achetée auprès des camions citernes sur lesquelles est écrit « Eau de Tan Tan » qui prétendent l’apporter de la ville de TanTan (310 km de Laâyoune) et dont le prix est le double de celui appliqué par les citernes qui vendent l’eau de l’ONEE-Branche eau.
En effet, la population reste en manque d’eau potable dont la qualité paraît assurée. Elle se trouve contrainte d’utiliser et d’acheter des eaux de pluie qui ne sont pas préalablement testées par les autorités compétentes. Cette eau de TanTan provenant des puits ne semble pas non plus traitée, ce qui pose la question du contrôle sanitaire de cette eau distribuée publiquement et consommée comme eau potable.
Certes des efforts colossaux ont été consentis pour assurer l’approvisionnement en eau des citoyens dans les provinces sahariennes, cependant des interrogations se posent chaque jour chez chaque citoyen à Laâyoune:
- Pourquoi paie-t-on triplement l’eau, auprès des citernes et auprès de l’Office, si on règle la facture à l’ONEE-Branche eau à la fin de chaque mois ?
- Est-il raisonnable que le citoyen supporte un investissement non négligeable (Pompe, citerne, réservoir,…à titre d’exemple le prix de l’achat des citernes – minimum deux citernes- d’une capacité d’une tonne pour un prix dépassant les 1.500 DH) alors qu’il a déjà payé les frais d’abduction en eau potable ?
- L’ONEE-Branche eau n’est-il pas responsable des coupures et du faible débit puisqu’il passe la journée à alimenter les citernes, qui revendent cette même eau au citoyen, depuis le château présumé réserver à l’amélioration du débit ?
- Qui est responsable du contrôle de l’eau distribuée par les citernes dites « Eau de TanTan », de sa qualité, de son origine, de son circuit de distribution, des conditions de son stockage et de sa vente ?
Sans oublier, ces camions citernes privés qui s’alimentent au château de l’ONEE- Eau à Laâyoune pour revendre l’eau au citoyen dans un camion citerne de la commune destiné à l’arrosage.
Autant de questions que de souffrances au quotidien qui méritent une intention particulière de nos responsables qui sont, sans aucun doute, convaincus que l’eau relève de l’ordre public sanitaire et les deux sont vitaux pour l’individu et pour notre pays.
Il est vrai que le problème d’accès à l’eau est très compliqué, mais les seules alternatives mises en place pour le moment se basent essentiellement sur les finances des habitants puisqu’ils paient pour l’eau sous différentes formes, en l’absence d’une véritable solution.
Par Mohamed Oueld Lfadel Ezzahou (mezzahou@yahoo.fr)
Alison Colin (Stagiaire en rédaction professionnelle)