L’un des défis majeurs de la gouvernance des villes d’aujourd’hui est la mobilité urbaine. Ne pas tenir compte de cette donne par les politiques publiques urbaines revient à hypothéquer les chances d’inscrire les villes sur la voie du développement urbain et de l’intégration sociale.
Conscients des défis de la question de la mobilité urbaine, les pouvoirs publics ont opté pour le tramway comme mode de transport de masse en site propre à l’échelle des agglomérations de Rabat en 2011 et Casablanca en 2012, et le Bus à Haut Niveau de Service (BHNS) au niveau des villes de Marrakech et Fès.
Dans l’attente de l’arrivée d’un nouvel opérateur à Casablanca, l’entrée en service du nouveau délégataire du transport en commun par bus (Alsa-City) à l’échelle de l’aire métropolitaine de Rabat-Salé-Temara, est à la fois un soulagement pour les usagers que pour l’autorité délégante, et ce après l’échec de l’expérience Stareo et des mois d’atermoiements du groupement intercommunal ‘’Al-Assima’’. Quelle gouvernance en matière de mobilités ? Comment rendre le service des transports urbains viable et durable? Analyse en deux points.
Pour une autorité chargée de la mobilité métropolitaine
Si la fonction première du réseau de transport en commun est de déplacer des flux humains d’un point d’origine à un point de destination, il est aussi, un moyen d’intégration sociale et spatiale. En effet, connecter les familles qui habitent la périphérie à ceux du Centre, et permettre à d’autres de regagner le centre-ville, la plage, les loisirs et les équipements à caractère socio-éducatifs (hôpital, université…) sont autant de formes de cohésion sociale par le transport en commun. Cependant, un système de transport urbain ne gagnerait en termes de capacité, de desserte et d’intégration que si l’intermodalité est assurée. Par l’intermodalité, il est entendu le passage d’un mode de transport à un autre. Autrement, dans un même trajet, l’usager peut utiliser le bus, le tramway, voire autres mode de transport urbain.
Annoncée par les autorités élues et les acteurs du transport urbain (STRS et Casa-transport) depuis la mise en service des réseaux de tramway à l’échelle de Rabat et Casablanca, l’intermodalité est la pièce manquante du puzzle. Interpellé en 2016 sur la question de l’intermodalité Bus-tramway, le DG de Casa-transport, a souligné que «Les tests techniques entre les deux opérateurs ont été réalisés et le sujet est aujourd’hui entre les mains du Conseil de la ville afin de déterminer les pourtours de cette intermodalité, notamment en matière de tarif et de partage des bases de données». Quant à la DG de la Société de Transport de Rabat-Salé, elle précise déjà en 2011 que ‘’Nous sommes en train de travailler avec les pouvoirs publics sur un projet ambitieux d’intégration des tramways et des bus, et de restructuration des taxis. L’avènement du tramway n’est que le démarrage d’une restructuration des transports en commun à Rabat et Salé’’.
Pour dire l’importance de la mise en place d’une autorité organisatrice de la mobilité urbaine avec pouvoir décisionnel et assise juridique, en rupture totale avec l’expérience non entreprenante instaurée en 2009 à Casablanca. Comment articuler concrètement la compétence mobilité entre les différentes échelles territoriales? Quelles modalités de contractualisation? Quelles sources de financement ? sont autant de questions que l’autorité organisatrice de la mobilité urbaine doit mettre sur son agenda une fois mise en place.
L’intermodalité Bus-tramway, une clé de la durabilité du transport urbain
Dans un contexte de régionalisation avancée et de déconcentration, les villes sont appelées à penser et à faire évoluer l’organisation des compétences territoriales en matière de mobilités. Pour cela le portage du secteur à la bonne échelle territoriale de décision (métropolitaine) et la mise en place d’une structure organisatrice sont de nature à apporter les bonnes réponses afin d’éviter de revenir à la case départ dans 10 ou 15 ans.
En 2009, l’étude de mise en place du tramway de Rabat-Salé a fait état de 500 véhicules utilitaires pour le transport du personnel administratif qui circulent à l’échelle métropolitaine de Rabat-Salé. Au lieu d’aller capter ces usagers, on assiste aujourd’hui à un recours de plusieurs administrations et entreprises publiques/privées au service du privé pour le transport de leur personnel. Ce qui laisse présager que ce nombre est en progression continue. L’une des causes de cette tendance est certes, un maillage faible du transport urbain, mais surtout à cause de l’absence d’une inter-modalité Bus-tramway.
Il n’est pas à démontré que la mise en place d’une ligne de tramway ou l’extension d’une ligne existante permet d’optimiser le fonctionnement du réseau de transport urbain par un redéploiement de l’offre de bus et une meilleure articulation entre les différents systèmes.
A charges donc des autorités élues de Casablanca et Rabat d’activer ce projet de l’intermodalité Bus-tramway pour permettre au système de transport urbain de capter d’autres usagers, et surtout le personnel des administrations et entreprises publique-privées. L’intermodalité nécessite, outre le portage politique, un état d’esprit loin des considérations politiques et financières de certains acteurs. Service public par excellence, malgré qu’il soit transcendé par la finance, le transport urbain est un secteur stratégique qui façonne les villes d’aujourd’hui et de demain.
Pour conclure, il y a lieu de dire que la viabilité du transport en commun à l’échelle des métropoles de Casablanca et Rabat est tributaire de trois facteurs : D’abord, la solidité du modèle économique (gouvernance et financement), ensuite, l’articulation entre le système de planification urbaine et le système de transport urbain, et enfin, l’adoption d’un système intermodal et tarifaire intégrant l’ensemble des modes de transport urbain (Tramway, Bus et Transport privé du personnel des administrations et entreprises publiques-privées).
Mostafa KHEIREDDINE
Urbaniste-Université de Montréal
Chercheur en sciences de la ville