Écrit par Imane Bouhrara I
La liberté économique reflète la capacité des individus et des familles à prendre leurs propres décisions économiques avec le minimum d’interférence de la part de l’État ou des capitalistes de connivence. En termes simples, l’ingéniosité et la motivation des individus sont plus efficaces pour créer la prospérité et obtenir d’autres résultats positifs que la main trop interventionniste de l’État ou l’avidité des privilégiés et rentiers. Quid du Maroc ? Comment intégrer « les marchés efficaces », qui favorisent la croissance économique.
Dans les revues académiques les plus réputées, il a été démontré que la liberté économique, étendue à tous, génère des bienfaits économiques et sociaux, notamment la croissance économique, la diversification de l’économie, davantage d’emplois, la stabilité politique et le développement pacifique d’autres libertés.
Quid du Maroc ? Comment intégrer « les marchés efficaces », qui favorisent la croissance économique.
Le Centre Arabe pour la Recherche et la Friedrich Naumann, en partenariat avec Atlas Network et le Fraser Institute, a entrepris un projet visant l’analyse des politiques économiques au Maroc dans le but d’accroître la prospérité du peuple marocain. Une journée d’étude organisée récemment a permis d’explorer les données du rapport 2024 sur la liberté économique élaborér par le Fraser Institute, et donnera lieu à des recommandations sur le sujet.
En attendant, il est intéressant de revenir sur les leviers d’amélioration de la liberté économique au Maroc, tout en comparant avec des pays avec une grande liberté économique tel que le Danemark ou Singapour.
Un pays qui s’est remis relativement bien d’une multitude de chocs (la pandémie de COVID, l’inflation, le ralentissement mondial, le séisme d’Al Haouz et une sécheresse prolongée), puisque la croissance économique s’est établie à 3,4 % en 2023.
Les organisations internationales ont d’ailleurs félicité le Maroc pour sa résilience et son environnement macroéconomique stable, bien que la dette et les déficits restent trop importants (selon les rapports de l’OCDE, 2024 ; la Banque mondiale, 2024).
Pourtant, le Maroc reste freiné par des problèmes structurels qui ont entravé la croissance et limité les opportunités.
Le gap entre le PIB par habitant moyen mondial et celui du Maroc s’est élargi au fil des décennies, au lieu de se résorber, bien que les nations en voie de développement croissent généralement plus rapidement que celles plus prospères.
En 1966, selon les premières données de la Banque mondiale sur le PIB par habitant du Maroc, celui-ci était de 835 dollars US (dollars constants de 2015 ajustés à l’inflation) contre une moyenne mondiale de 4 443 dollars US, soit un écart de 3 608 dollars US entre le PIB par habitant moyen mondial et celui du Maroc.
En 2023, le PIB par habitant du Maroc n’était que de 3 371 dollars US, ce qui signifie que le PIB par habitant moyen mondial était plus de trois fois supérieur à celui du Maroc. En d’autres termes, en 2023 le Maroc avait encore un PIB par habitant inférieur à la moyenne mondiale de 1966, selon le Rapport sur la liberté économique au Maroc.
Principaux obstacles à la croissance marocaine
Deux obstacles majeurs se dressent sur la voie de la croissance. Tous les deux pouvant être résolus par des actions politiques relativement simples qui insuffleraient un fort élan à la croissance économique au Maroc.
Le premier grand obstacle est lié à toute une série de politiques qui entravent les marchés et la concurrence. En l’absence de concurrence, les entreprises subissent peu ou pas de pression pour améliorer leurs produits et services. En d’autres termes, l’incitation à accroître la productivité faiblit, ce qui freine le progrès de la prospérité.
La croissance de la productivité est la seule voie sûre menant vers la prospérité pour les économies non dotées de ressources naturelles abondantes.
L’autre grand obstacle est un marché du travail entravé par la bureaucratie et des barrières réglementaires pénalisant les travailleurs, en particulier les jeunes et les non qualifiés. Cela limite souvent les opportunités d’accéder à l’emploi formel, avec plus de sécurité et de meilleures conditions de travail et de rémunération. Deux études réalisées en 2024, l’une par l’OCDE et l’autre par la Banque Mondiale, détaillent les nombreuses freins à la croissance de la productivité et au bon fonctionnement d’un marché du travail offrant des opportunités. Leurs conclusions corroborent les données marocaines de l’indice de liberté économique dans le monde.
Tous ces freins sont similaires par leur nature. Ils limitent tous la liberté économique, la capacité des individus, des entreprises et des entrepreneurs à prendre leurs propres décisions sans interférence ni du gouvernement ni de ses « courtisans ». Le rapport de Fraser Institute propose des réformes structurelles qui pourraient ouvrir la voie à la liberté économique au Maroc et conduire à une nouvelle ère de prospérité.
La productivité et les EEP font-ils bon ménage ?
Selon le rapport, les décideurs publics imposent de nombreuses entraves à une concurrence favorable à la prospérité. Des réglementations coûteuses empêchent les entreprises et les travailleurs d’accéder à de nombreuses activités et opportunités d’emploi ; divers mécanismes favorisent les entreprises publiques au détriment des entreprises privées, étouffant ainsi la concurrence ; l’accès au crédit est plus aisé aux personnes influentes et bien connectées, qu’elles soient productives ou non ; les grandes entreprises semblent être soumises à des incitations perverses les rendant moins compétitives et moins productives, ce qui pourrait faciliter des pratiques de favoritisme ; des régimes fiscaux complexes et appliqués de manière inéquitable pénalisent les petites entreprises non-connectées politiquement ; et ainsi de suite.
Le rapport s’attelle sur les freins à la formalisation, à l’augmentation de la productivité et à la croissance des petites entreprises. Les petites entreprises informelles, qui pourraient autrement rejoindre l’économie formelle, se heurtent à de nombreux obstacles réglementaires et fiscaux. Ces obstacles rendent souvent la formalisation tellement coûteuse et complexe, qu’il devient rationnel pour les entreprises de rester dans l’informalité pour éviter les coûts et les contraintes bureaucratiques.
Par ailleurs, le développement de « champions nationaux » et d’entreprises publiques puissantes a créé des distorsions dans le système économique. De ce fait, le favoritisme étatique envers les champions nationaux et les entreprises publiques détermine souvent le succès des entreprises, au détriment de l’efficacité productive et de la liberté des consommateurs de choisir les meilleurs produits au meilleur prix.
Sans oublier que les entreprises publiques dominent certaines industries. En plus de certaines inefficacités, la propriété publique risque de créer un effet d’éviction des investissements du secteur privé.
Les garanties implicites et explicites accordées par le gouvernement aux entreprises publiques faussent la concurrence au détriment de la croissance du secteur privé.
Les entreprises publiques bénéficient souvent d’injections de capitaux de l’État ainsi que de renflouements pour les dépenses courantes et d’investissement.
Liberté économique, un manque à gagner
Ce rapport propose un cadre d’analyse original, visant à promouvoir la liberté économique dans l’ensemble de l’économie. Il examine également les preuves factuelles montrant les immenses gains de prospérité et d’autres bienfaits que peut générer la liberté économique.
Pour revenir aux performances du Maroc, il se classe dans la moitié inférieure de l’indice 2024 selon le rapport de Fraser Institute sur la liberté économique, ce qui signifie que même des réformes simples et directes pourraient lancer une nouvelle ère de croissance, tant la marge de progression est énorme.
La recherche a massivement démontré que la liberté économique favorise la prospérité et génère d’autres bienfaits.
L’amélioration du niveau de liberté économique au Maroc pourrait entraîner une nouvelle ère de prospérité accrue, de recul de la pauvreté, de création d’emplois et de croissance économique pour le pays.
Pour ce faire des verrous doivent sauter.
Corruption et liberté économique
Le Maroc est classé 94ème sur 180 dans l’Indice de Perception de la Corruption de Transparency International et a obtenu un score de 38 sur 100 en 2022 (des scores plus bas indiquent une corruption accrue). L’impact de la liberté économique sur la corruption mérite d’être souligné : L’augmentation de la liberté économique en soi réduit la corruption.
À contrario, le manque de liberté économique est le carburant alimentant la corruption, souligne-t-on.
Un large appareil étatique avec un interventionnisme excessif et persistant dans l’économie offrent des terreaux fertiles également à la poussée du capitalisme de connivence. En effet, il y a des personnes à soudoyer pour obtenir des faveurs et des contrats gouvernementaux et éviter des pénalités. Si le gouvernement libère l’économie et n’intervient pas quand c’est inutile, il n’y a plus de faveurs à acheter, et le capitalisme de connivence s’étiole également.
Liberté économique, quelle analyse du classement du Maroc
Le Maroc est classé 90ème parmi les 165 pays inclus dans l’indice de la Liberté économique dans le monde.
En ce qui concerne la taille de l’État, plus le rang est bas, plus le gouvernement est large, autrement dit, plus celui-ci taxe ses citoyens et plus il intervient dans l’économie. Le Maroc est classé 66ème dans ce domaine.
Selon le rapport, l’État marocain interfère dans le fonctionnement du marché par le biais des entreprises publiques.
Selon le rapport, le Maroc obtient globalement de meilleurs résultats que le Danemark en ce qui concerne la taille de l’administration publique. Il obtient toutefois de moins bons résultats que Singapour, ce qui montre qu’un gouvernement relativement limité peut être très efficace.
Dans le domaine crucial du système juridique et des droits de propriété, le Maroc se classe au 70ème rang. Aucune nation n’est jamais devenue économiquement prospère, à l’exception peut-être de certains pétro-États, sans un état de droit bien fonctionnel.
Par ailleurs, le Maroc occupe la 90ème place en matière de liberté de commerce international. Le pays a intérêt à s’ouvrir sur le reste du monde qui représente un marché de 8 milliards de clients potentiels, plutôt que de rester confiné au marché domestique (36,8 millions de marocains selon le recensement général de 2024).
En matière de réglementation (score global), qui peut étouffer une économie et la croissance, le rang du Maroc est extrêmement bas (86ème).
Ce domaine est composé de quatre sous-domaines : réglementation de crédit, réglementation de travail, réglementation des affaires, et les réglementations qui limitent la capacité des entreprises à compétir sur un marché libre.
Le Maroc obtient également de mauvais résultats en matière d’impôts sur le revenu et sur les cotisations sociales, ce qui suggère que la pression fiscale sur les revenus de travail demeure trop élevée.
Le pays est classé au 70ème rang en matière d’État de droit. Malgré son classement moyen, il s’agit d’un domaine critique pour le Maroc en raison de l’importance fondamentale de l’État de droit.
L’État de droit constitue l’infrastructure de base, le socle sur lequel repose la liberté économique.
Le Maroc arrive en dernière position dans tous les aspects du domaine juridique comparativement à tous les pays de l’échantillon du rapport. Cependant, le score du Maroc est légèrement meilleur que la moyenne mondiale en ce qui concerne l’indépendance judiciaire, l’interférence militaire, l’intégrité légale, l’exécution des contrats, ainsi que la fiabilité de la police et crime.
Par ailleurs, l’indice de l’inégalité du genre examine les lois d’un pays pour déterminer si les femmes sont victimes de discrimination légale au marché du travail. Le fait que le score du Maroc soit inférieur à 1 montre la persistance de lois discriminatoires toujours en vigueur, qui limitent les opportunités pour les femmes et donc pour l’ensemble de l’économie.
En matière de monnaie saine, le Maroc se classe 121ème sur 165 pays, loin derrière les autres pays de l’échantillon, même si, comme eux, son score s’est légèrement amélioré au cours des années 2010 jusqu’à la crise du COVID.
La liberté de passer d’une devise à une autre est un élément essentiel d’une monnaie saine. Le Maroc obtient un score nul dans le domaine de la détention des comptes bancaires en devises, soit son score le plus faible.
Il l’interdit en appliquant le niveau de restrictions le plus drastique.
Pas de liberté économique sans liberté du commerce, de capitaux
Sur un autre registre, le Maroc se classe au 90ème rang sur 165 pays en matière de liberté de commerce. Cette situation limite ses exportations qui pourraient contribuer à générer de la prospérité et les importations de biens essentiels, demandés non seulement pour la consommation mais aussi comme intrants pour l’industrie.
En analysant la variable du taux tarifaire moyen, le rapport constate que le Maroc a le taux tarifaire moyen le plus élevé, soit le double ou le triple de celui des autres pays de l’échantillon. En fait, sur 165 pays, le Maroc a le 151ème taux le plus élevé.
Aussi, le pays affiche-t-il des scores faibles en matière de contrôle des mouvements de capitaux et de personnes. Cela comprend l’ouverture financière, le contrôle des capitaux et la protection des actifs des étrangers. Ces deux éléments pénalisent les entreprises marocaines qui sont largement privées de l’accès aux capitaux et aux investissements étrangers. Ils bloquent également l’un des moteurs de croissance les plus remarquables, à savoir l’investissement direct étranger.
Sans omettre bien évidemment les contraintes administratives au Maroc qui non seulement entravent les entreprises et les citoyens, mais limitent le dynamisme du pays et sa capacité à croître et à créer des emplois. Le Maroc se classe au 86ème rang sur 165 en matière de qualité de la réglementation, bien qu’il a constamment amélioré son score en matière de réglementation jusqu’en 2019.
Cependant, il reste loin derrière le Danemark et Singapour, deux des économies les plus libres de la planète.
En matière de réglementation du crédit, le Royaume se classe au 66ème rang en matière de réglementation du crédit, ce qui signifie que les entreprises, les entrepreneurs et les particuliers ont des difficultés d’accès au financement de leurs investissements pour créer de la prospérité et des emplois.
Ceci étant, en 2022, le Maroc a obtenu un meilleur score que le Danemark.
Le Maroc obtient des résultats assez bons en matière de propriété des banques, où des scores élevés indiquent une propriété plus diversifiée, et plus de crédit octroyé au secteur privé. Un examen attentif des données montre que le Maroc a un meilleur score que la moyenne mondiale dans ces domaines, néanmoins son classement le place derrière tous les autres pays, à l’exception de l’Île Maurice qu’il devance en matière d’octroi de crédits au secteur privé.
Les interdictions touchant la main-d’œuvre étrangère, conçues pour réserver des emplois aux Marocains, peuvent affaiblir la croissance de l’emploi. D’une part, en interdisant ou en limitant les compétences nécessaires pour mener à bien des projets ; et d’autre part, en privant les Marocains d’améliorer leurs compétences en apprenant des travailleurs étrangers.
Libérer le marché du travail de ses pesanteurs et rigidités créerait un nouveau dynamisme et de nouveaux emplois, peut-être en millions de postes.
Sur un autre registre, l’un des aspects très préoccupants parmi les indicateurs de liberté économique au Maroc, celui du climat des affaires. En effet, le pays est classé 121ème sur 165 pays en matière de réglementation des affaires, ce qui signifie que les entreprises sont entravées par une lourde bureaucratie réglementaire. La bonne nouvelle est que le score du Maroc s’est constamment amélioré depuis 2000, mais reste loin derrière ceux de Singapour et du Danemark.
Par ailleurs, le Maroc obtient un score faible en matière d’impartialité de l’administration publique.
Liberté de concurrence, le Maroc peut mieux faire
Le Maroc se classe au 90ème rang en matière de liberté de concurrence et obtient un score insuffisant en matière d’ouverture du marché, ce qui signifie que certains concurrents peuvent se voir limiter l’accès au marché. Ceci réduit la motivation des entreprises établies d’améliorer leur productivité puisque les rivaux sont exclus du marché. Cela joue probablement un rôle dans la réduction de la productivité à mesure que les entreprises grandissent : leur pouvoir leur permet de protéger leurs parts de marchés de la menace des autres, et les libère ainsi de la pression concurrentielle de s’améliorer.
Le Maroc obtient également un score faible en matière de distorsion de l’environnement des affaires. Cela est lié à des facteurs tels que le favoritisme par l’État des entreprises publiques ou les grandes entreprises politiquement connectées. Il s’agit là d’un autre facteur contribuant à la baisse de la productivité des grandes entreprises marocaines.




