La corruption est un problème endémique dans notre pays qui porte préjudice aussi bien aux citoyens qu’aux institutions. Forcément, le sujet s’invite aux travaux de la Commission spéciale pour le modèle de développement (CSDM). Ahmed Reda Chami, membre de ladite Commission et Président de la CESE explicite comment la réflexion est menée sur ce sujet et surtout comment sortir des sentiers battus des approches classiques.
Systémique, endémique, transverse… la liste peut s’allonger indéfiniment pour qualifier la corruption dans notre pays. Pis, la corruption telle un caméléon prend plusieurs formes selon les secteurs. Ce qui rend son appréhension très complexe et sa résolution plus compliquée.
Sans surprise, la lutte contre ce phénomène figure parmi les principales attentes de citoyens et d’entreprises, puisque qu’elle entrave une concurrence loyale et ronge le climat des affaires au Maroc. Un sujet récurrent que soit lors des auditions organisées par la CSMD que dans les contributions externes de citoyens et d’institutions.
À ce jour, les actions standards ont montré leur limite à circonscrire ce phénomène. Pour Explorer de nouvelles pistes de réflexion, la CSMD, en plus de décloisonner le débat en s’ouvrant sur l’ensemble des Marocains (Instituions ou simples citoyens), a mis en place un format de discussion entre ses membres et des experts de divers domaines.
Le cas de la récente rencontre organisée par la Commission et animée par Mushtaq Khan, professeur d’économie à la School of oriental and african studies University à Londres et supervise une cellule de recherche sur la lutte contre la corruption, financée par le gouvernement britannique.
Pour mieux comprendre l’apport de ce format aux travaux de la commission, EcoActu.ma a contacté Ahmed Reda Chami, membre de la commission et également Président du Conseil économique, social et environnemental (CESE).
« Deux à trois fois par semaine, les membres de la CSMD invitent des experts, nationaux ou internationaux, de différents domaines d’expertise, des cadres administratifs responsables de stratégies publiques, des partis politiques, des ONG, la presse… toutes ces audiences viennent alimenter le débat… L’objectif poursuivi est d’élargir le spectre de la réflexion, voir ce qui se passe au Maroc et ailleurs, prendre connaissance et analyser des expériences pertinentes », explique-t-il.
Faut-il rappeler d’ailleurs que le challenge pour la CSMD n’est pas seulement de produire des recommandations en rupture avec le passé mais veiller à leur efficience pour la construction d’un nouveau modèle de développement.
Rien n’est figé dans le marbre
Le choix de la thématique de la corruption répond au fait que les différentes auditions et les remontées d’informations pointent ce sujet comme thématique centrale.
« Les gens se plaignent de la corruption qu’il s’agisse de citoyens ou d’entreprises. C’est une thématique que nous nous devions d’adresser, en prenant en considération qu’il existe une instance en charge de cette problématique et qui dispose de sa propre stratégie », poursuit Ahmed Reda Chami.
Et d’ajouter « En tant que commission, notre rôle est d’explorer d’autres pistes pour apporter des propositions méso ou intermédiaires (ni macro ni micro). Pour ce faire, le parcours de Mushtaq Khan est intéressant à plus d’un titre, en tant que professeur avec des travaux académiques sur le sujet mais aussi pour avoir mené des missions sur le terrain auprès de pays différents pour contribuer aux stratégies de lutte contre la corruption adaptées aux pays, donc il a un retour sur expérience intéressant à écouter ».
Professeur Khan réconforte l’idée d’une solution médiane puisque il souligne l’impossibilité de réduire, de manière rapide, tous les types de corruption motivés pour des raisons différentes. Il remet d’ailleurs en cause les stratégies classiques qui ont montré leur limite. Obligeant au passage plusieurs pays à revoir leur copie. Le Maroc en a eu un rayon !
Pour Mushtaq Khan, comme il existe plusieurs types de corruption, il est plus pertinent de se concentrer sur les plus dommageables et les plus faciles à éradiquer. Donc en quelque sorte agir par palier.
« Mushtaq Khan développe une approche très originale, bousculant des certitudes et ne conforte pas certaines idées qu’on peut avoir sur la lutte contre phénomène », relève Ahmed Reda Chami.
En effet, selon Professeur Khan, les stratégies de lutte qui passent par la réduction du pouvoir discrétionnaire en simplifiant les règles, par l’augmentation des salaires des fonctionnaires, par l’application des sanctions… ont abouti à des résultats mitigés.
La lutte contre la corruption est d’autant plus difficile dans les pays émergents et en développement, non seulement parce que les indices de corruption sont élevés (La corruption partout même dans les pays dits développés) mais parce que les économies de ces pays sont également dominées par le secteur informel.
Il défend l’idée selon laquelle, la manière la plus efficace de lutter contre la corruption dans cet état de figure est d’adopter une approche sectorielle en faisant adhérer les entreprises ayant un rôle fédérateur, établir les règles de conduite qui vont dans l’intérêt des entreprises du secteur de sorte à inciter ces entités à les respecter. Voire à dénoncer celles qui ne s’y conforment pas car cela nuit à l’ensemble du secteur.
La création de ce cadre qui puisse enclencher une migration de l’informel vers le formel suggère également selon l’intervenant, d’opérer des reformes réalistes et avoir une réglementation favorable. Dans ce sens M. Khan donne des cas spécifiques, dont la suppression des restrictions du marché pour contrer la corruption y afférente. En d’autres termes, identifier pour chaque secteur les verrous qui représentent un terrain fertile pour la corruption et les faire sauter.
Quelle suite à cette discussion ?
L’intervention qui a duré plus de deux heures a permis d’échanger sur plusieurs aspects relatifs à la construction d’une stratégie de lutte efficiente. Pour Ahmed Reda Chami, « l’intérêt d’une telle discussion avec un expert de terrain en la matière tel que Mushtaq Khan, est de prendre connaissance d’une nouvelle approche sur la question, d’analyser les résultats de ses recherches et voir comment s’en inspirer en plus des avis d’autres experts, pour le nouveau modèle de développement. Ça alimente la réflexion déjà entamée sur le sujet et confronte les avis que l’on peut avoir ».
Certes il est encore très tôt de savoir ce que le rapport final retiendra comme remède à la problématique. Mais Ahmed Reda Chami rejoint l’intervenant sur l’impératif du renforcement institutionnel, notamment le renforcement du travail du Conseil de la Concurrence et de l’INPPLC. Une idée également préconisée par le CESE.
Mais, même si cette régulation est renforcée, elle bute sur le secteur inormel problématique pour l’économie à plusieurs égards mais un foyer de corruption difficile à contenir.
« Le deuxième point de l’intervention de Mushtaq Khan relatif à l’informel, souligne que la corruption ne se traite au niveau national mais au niveau sectoriel. Au niveau du Maroc cela peut se faire à travers un travail commun avec les associations professionnelles, les fédérations et même dans l’informel identifier les entreprises locomotive autour d’un compromis qui prendra certes du temps mais qui soit favorable pour que les entreprises comprennent tout l’intérêt de respecter la règle de Droit », relève A.R. Chami.
Mais des actions rapides et efficaces sont également envisageables. Des quick wins comme la suppression des autorisations pour les activités qui ne présentent une aucune menace pour la santé ou la sécurité, comme le préconise le CESE dans son contribution au Modèle de développement.
Il faut rappeler que le travail au sein de la Commission se décline par groupes, notamment un groupe dédié aux questions économiques et qui compte un sous-groupe « compétitivité » qui planche sur le climat des affaires, particulièrement impacté par la corruption. Donc ce sous-groupe va s’approprier la matière issue des différentes rencontres sur le sujet, en débattre avant de présenter son travail pour ratification en plénière. Un peu plus de trois mois restent devant la commission pour présenter son rapport au Roi.
« Nous avançons très bien, la crise à obligé à revoir certaines de nos réflexions mais nous progressons normalement et nous serons prêt le jour J », conclut Ahmed Reda Chami.