Ecrit par Lamiae Boumahrou |
Les bureaux de change (BC), qui mobilisent environ 50 Mds de DH de devises, déplorent leur exclusion de la réforme de la flexibilité du DH non sans conséquence sur le marché. Le cadre régissant les BC (non modifié après la réforme), pénalise les BC au moment de la négociation de leur marge. Le taux de change est-il réellement fixé par l’offre et la demande ?
En 2018, le Maroc a fait le choix de lancer le processus de mise en place de la flexibilité du Dirham. Une démarche volontariste du pays dans le cadre de la réforme de son régime de change dont l’objectif est de renforcer la résilience de l’économie nationale face aux chocs exogènes, de soutenir sa compétitivité et d’améliorer son niveau de croissance.
Ainsi, depuis mars 2018, le taux de change est fixé par l’offre et la demande et non pas par la banque centrale. Certes les autorités marocaines ont attendu le moment opportun pour opérer cette réforme tant réclamée par les instances internationales à l’instar du FMI. Mais c’était sans compter avec la crise sanitaire de la Covid qui, depuis 2020, a mis sens dessus-dessous tous les équilibres macroéconomiques et remis en cause toutes prévisions.
Environ 3 ans et demi après la réforme de la flexibilité du DH qui a connu 2 élargissements de la bande de fluctuation, soit ±2,5 % en mars 2018 à ±5 % en mars 2020, certains acteurs du marché commencent à émettre des signaux d’alerte notamment avec une crise économique et sanitaire qui persiste.
Il s’agit des bureaux de change, l’un des intervenants du marché de change aux côtés des banques, qui déplorent une réforme qui n’a pas pris en considération un secteur qui génère au marché de change, en temps normal, environ 50 Mds de DH.
« Les bureaux de change sont les grands oubliés de la réforme de la flexibilité du DH. Et pour cause, bien que les règles du marché aient changé, les bureaux de change continuent de travailler avec les mêmes conditions et loi avant-réforme », tient à préciser un représentant de la Fédération nationale des associations régionales des sociétés de change (FNAR).
En effet, la réglementation régissant les bureaux de change à savoir l’Instruction régissant l’activité de Change manuel n’a pas été adaptée à la réforme du marché de change. La FNAR conteste un article en particulier à savoir l’article 2.2.8 qui stipule que « l‘encaissement devises en billets de banque étrangers de la société bénéficiant d’un agrément catégorie A, B ou C, ne doit pas dépasser la contrevaleur en devises de 500.000 DH. Tout excédent par rapport à ce plafond doit être cédé à la banque, avant 17 (dix-sept) heures le premier jour ouvrable suivant ».
Un article contraignant qui fausse les règles du marché selon notre source. Et pour cause, si le taux de change avant la réforme de la flexibilité était fixé par la banque centrale aujourd’hui, et de façon implicite, ce sont les banques qui fixent les prix en profitant de la réglementation en vigueur.
« Pour ne pas être dans l’infraction, les bureaux de change sont contraints de vendre en moins de 17H l’excédent de 500.000 DH en contrevaleur en devises uniquement aux banques (secteur privé et concurrent direct des BC). Une contrainte qui pénalise les bureaux de change qui non seulement n’ont pas de marge de manœuvre pour négocier le prix de vente avec les banques mais parfois vont jusqu’à brader les devises pour respecter la loi », nous explique le membre de la FNAR.
Le taux de change est-il réellement fixé par l’offre et la demande ?
Non, d’après les opérateurs des bureaux de change. On n’est plus dans un principe de l’offre et la demande comme prônait la réforme de la flexibilité du DH mais dans un marché purement interbancaire où les banques, grâce à la loi, imposent les prix. Ce qui explique, selon notre interlocuteur, le fait que la barre de fluctuation soit toujours dans la limite inférieure. « Or, ce supplément de devises provient des Bureaux de Change. Une devise low cost que nous mettons à la disposition des banques qu’elles revendent un peu plus chère sur le marché », tient à souligner notre source.
Le cours d’achat intermédiaire est passé de 4% de marge (écart entre le prix le plus bas et le plus haut) avant l’entrée en vigueur de la réforme à 1% voire moins. Les bureaux de change, qui sont obligés d’alimenter un marché sans pouvoir répondre à la demande des opérateurs, perdent environ 75% de leur marge.
Interpellé sur cette question, Omar Bakkou, économiste et spécialiste en politique de change, nous précise qu’il doit y avoir un partage équitable des gains entre les deux opérateurs dans un marché des changes. « Il faut une réforme de la loi pour renforcer le pouvoir de négociation des bureaux de change. Cela permettrait plus d’équité sur les marges générées au titre de l’activité de change manuel entre les deux acteurs du marché à savoir les banques et les bureaux de change », a-t-il précisé.
Les banques profiteraient d’une rente réglementaire qui les favorise sur le marché des changes.
Le représentant de la FNAR rappelle à juste titre le rôle des BC dans le marché des changes. « La position des changes des banques est passée de négative à plus 10 Mds de DH entre juillet et fin août soit après l’ouverture des frontières et l’arrivée des MRE et touristes. Ce qui témoigne que cette devise provient principalement des MRE et touristes et non pas des transferts des MRE ni des exportations contrairement à ce qu’on avance », tient à clarifier le membre de la FNAR.
Rappelons que cette entrée de devise associée à une conjoncture économique toujours morose a entraîné un déséquilibre entre l’offre et la demande sur le DH, et a poussé BAM à intervenir, pour la première fois après la réforme, en épongeant 9 Mds de DH afin de rééquilibrer le marché.
Cela dit, les opérateurs des bureaux de change, qui ont été fortement impactés par la crise sanitaire et ses conséquences, broient du noir et appellent à une révision des règles du jeu pour un réel marché des changes concurrentiel. « Nous avons tenté de sensibiliser les autorités qui soit ne sont pas conscientes de la problématique soit elles ne veulent pas y croire », précise notre source.
Tout l’enjeu pour les autorités marocaines est de maintenir la valeur du DH à une valeur qui ne pénalise ni la balance des paiements et donc sa soutenabilité ni les transferts des MRE.