Des chiffres qui se passent de tout commentaire : 32.104 demandes de mariage d’enfants en 2018 (contre 30.312 en 2006), 85 % de ces demandes ont reçu l’aval des juges en charge du mariage entre 2011 et 2018, 99 % des demandes concernaient des filles entre 2007 et 2018.
Le plus alarmant est que les chiffres précités ne concernent que les demandes dérogatoires de mariage des enfants et ceux contractés légalement sont pris en compte par les statistiques du Ministère de la Justice. Les mariages informels d’enfants de types « Orfi » ; « avec Al Fatiha » ou alors par « contrats » n’apparaissent pour leur part dans aucune donnée statistique officielle. C’est dire l’ampleur de ce phénomène qui s’accentue malgré tous les efforts pour l’éradiquer, du moins le contenir. On serait même tenté de dire que depuis l’entrée en vigueur de ce Code, le nombre des mariages des mineures a augmenté de manière exponentielle. Le problème au Maroc ? C’est l’obstination d’une société patriarcale à contrôler la sexualité des femmes dès le jeune âge, quitte à violer leur innocence sous le couvert du religieux et en raison d’us et coutumes moyenâgeuses.
Face à cette situation alarmante, le Conseil économique, social et environnemental s’est autosaisi et a élaboré un avis sur ce sujet, notamment l’abrogation des articles 20, 21 et 22 du Code de la famille. Le mariage des mineurs n’est pas le seul phénomène que le Code de la famille n’a pas su contenir.
En effet, les appels à la révision de ce code se multiplient et s’accentuent ces derniers temps. En cause les autorisations des mariages polygames, le problème de la représentation légale, le droit bafoué des enfants à une identité liée aux enfants biologiques, les complications liées au divorce et aux pensions, notamment celle des enfants, le caractère non obligatoire du contrat de répartition des biens entre époux… Autant de points sujets à interprétation ou des questions ouvertes auxquelles le législateur doit impérativement remédier.
Mais revenons-en au mariage des mineurs ou plutôt aux mariages des petites filles pour ne pas masquer une réalité écarlate.
Lors de sa 100e session ordinaire, tenue le 18 juillet 2019, l’Assemblée Générale du Conseil Economique, Social et Environnemental a adopté, à l’unanimité, l’avis sur « Que faire, face à la persistance du mariage d’enfants au Maroc ? ». Mais il faut signaler tout de même que les avis ont divergé sur deux points essentiels : Le premier consiste en le maintien de la possibilité de dérogation à la règle des 18 ans tout en restreignant de façon plus ou moins importante le pouvoir discrétionnaire accordé aux juges. Autant du pareil au même ! Pire encore, « ce point de vue puise sa justification dans la réalité des conditions socio-économiques et culturelles (mentalités) et dans la nécessité de répondre juridiquement à un certain nombre de cas particuliers : fille désirant se marier, fille enceinte, fille ayant accouché, fille ayant été violée ».
Il faut justement s’arrêter longuement sur ce dernier cas. Autoriser le mariage d’une fille mineure violée à son violeur c’est torpiller tous les efforts, et les vies humaines emportées par la mort-aux-rats, pour abroger l’article 475 du Code pénal.
La branche qui milite pour le maintien de la dérogation estime qu’il faudrait s’assurer que les mineurs ont bien compris les enjeux du mariage, les juges devraient être aidés dans leurs décisions par des psychologues et des sociologues, les adouls devraient être impliqués et expliquer les droits et devoirs des époux. Comme si l’on ne connaissait pas la réalité des tribunaux marocains et la masse des affaires que doivent gérer les magistrats ! Une proposition qui n’est nullement pratique. Et avancerait qu’il conviendrait de ne plus accorder d’autorisations de mariage lorsque les filles sont trop jeunes ou lorsque la différence d’âge entre les époux est trop grande (Ce qui est assimilé à la pédophilie sous d’autres cieux) et envisager de sanctionner toute violation en la matière, c’est juste une façon de détourner le problème au lieu de faire des propositions qui opèrent une rupture avec le passé. D’ailleurs, dans son avis le CESE énumère toutes les conséquences déplorables du mariage des mineurs en termes d’exclusion, de précarité, de mortalité dans les couches, de violence, de veuvages et divorces précoces… A quoi bon attendre et sacrifier d’autres générations de petites filles en ce troisième millénaire !
L’éradication ne se fera pas que sur le terrain réglementaire
Le second point de divergence consiste pour l’essentiel à harmoniser le Code de la famille avec les dispositions de la Constitution dans le respect des Conventions internationales en abrogeant notamment les articles 20, 21 et 22, car le pays a besoin d’un cadre législatif cohérent et clair.
Les défenseurs de ce point de vue, le Maroc a besoin d’un cadre normatif clair et cohérent, en phase avec son ambition de mettre en œuvre un Nouveau modèle de développement, ce qui implique d’accélérer résolument le processus bien entamé d’éradication d’un ensemble de pratiques et de préjugés préjudiciables aux enfants et aux femmes et à l’égalité entre les hommes et les femmes. Ils considèrent que l’abrogation de « l’exception » est un élément certes nécessaire mais pas suffisant pour éradiquer définitivement cette pratique et que d’autres réflexions et actions doivent être menées en parallèle sur des questions en lien avec le sujet tels que l’élargissement des modalités de reconnaissance des droits de filiation, l’éducation, la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, la protection des enfants, la lutte contre toutes les formes de discriminations, la protection et l’assistance.
Un avis sur lequel il faut s’inscrire. En effet, si l’on prend en exemple la reconnaissance du mariage, elle peut intervenir dans un délai qui ne dépasse pas les cinq selon l’article 16 du Code de la famille. Pour schématiser, on peut procéder à un mariage à la Fatiha ou Orfi d’une petite fille sans demander une autorisation de dérogation, et attendre sa majorité pour venir au tribunal demander reconnaissance de son mariage.
D’ailleurs le CESE estime que cet article devrait préciser que cela ne concerne que les mariages des adultes, sinon, au stade actuel, c’est la voie ouverte à détourner la loi et au contraire favoriser le mariage des mineurs.
Ce qui nous amène à dire que le combat ne peut pas être que sur le champ de la législation. En effet, si la lutte contre le mariage doit passer par « l’amélioration du cadre juridique et du système judiciaire », en harmonisant les dispositions du Code de la Famille avec la Constitution et les conventions internationales par l’abrogation des articles 20, 21 et 22 ayant trait aux mariages des enfants et en développant la médiation familiale comme recommande le CESE :
« Un travail titanesque est à mener pour la mise en œuvre soutenue et intégrée de différentes politiques et actions publiques à l’échelle nationale et territoriale, en garantissant la mise en œuvre effective de la politique intégrée de protection de l’enfance et en renforçant les dispositions de la loi 27-14 par la sanction des parents et des intermédiaires impliqués dans ces trafics.
Le CESE identifie également un autre levier de lutte contre ce phénomène : mettre en place des indicateurs et un pilotage permanent permettant un suivi et une évaluation de l’éradication de la pratique du mariage d’enfants ».
Pour conclure, plus de dix années de son entrée en application, et encore, une analyse de l’apport du Code de la Famille permettrait d’identifier les lacunes et les axes de révision de ce texte réglementaire, dont l’adoption a été une véritable victoire pour la cause non pas féminine mais de toute la famille, les enfants en premier. Autrement, on se lamentera encore des années durant des effets pervers de certains articles, qui au lieu de préserver certains droits, ouvrent la voie à certains abus.