Tic Tac, Tic tac. Ou plutôt le temps est aux tactiques. L’heure est grave. Nous sommes à J-1 du plus grand évènement démocratique sportif au monde. Deux candidats s’arrachent le graal de la compétition sportive la plus suivie au monde. Et pas n’importe lesquels : la première puissance mondiale contre le plus beau pays du monde. Sans ironie ! Si le premier qualificatif est véridique, il est aujourd’hui très mal porté par le pays de l’Oncle Sam. Si le second est plus fantasmagorique, il relève néanmoins d’un art subtil dans lequel excellent les Marocains. Les inventeurs du hard-lobbying face aux illusionnistes de l’esthétique nationale. Les concepteurs du hard power international contre les acteurs du soft power sud-sud. Les magiciens de la décision unilatérale contre les maîtres du consensus politique. David contre Goliath ? Trop facile. Je dirais plutôt le Faucon contre le Paon.
Bien évidemment, personne ne peut lire dans un ballon rond, fut-il en cristal. Il reste plus d’une centaine d’inconnues d’ici le mercredi 13 juin. Cela dit, tout porte à croire que le Maroc a d’ores et déjà gagné 2026.
Rappelez-vous les JO de 2012. Paris contre Londres. L’arrogance contre l’influence. Paris perd sur un dossier techniquement irréprochable. Londres gagne grâce à sa diplomatie agressive et ses tractations de dernière minute. Le lobbying de persuasion à la française contre le lobbying de séduction à l’anglo-saxonne. Je ne vais pas m’éterniser sur les ressorts qui guident les votes : ils sont d’abord politiques, ensuite psychologiques, puis encore politiques et enfin techniques. Zut, j’oubliais le facteur sportif. Croisons les doigts, certains y penseront peut-être.
La Task Force a eu beau attribuer des notes, celles-ci sont bien moins utiles que la création même de cette instance ad hoc. Les chiffres, les algorithmes et les équations n’ont de place dans les votes. La raison est au vote ce que les lanternes sont aux violons. Paris 2012 en a fait les frais. Sur ce terrain, nous avons un terrain d’avance. Le Maroc a, depuis quelques années, bon gré mal gré, entamé une véritable opération de charme à l’international, notamment auprès des pays du Sud. La Cop22 en est le dernier vestige grandeur nature. Notre stratégie de séduction est indépendante de toute logique discursive et relève avant tout de notre capacité à ériger le Maroc comme un corpus de symboles forts, sur le plan politique, culturel, social et économique.
Par ailleurs, les Etats-Unis pêchent par une forme d’arrogance, non contenue, et présentent une image bien laide depuis l’élection de Trump. Généralement, dans ce type de lutte d’influence, il ne suffit pas de vanter les mérites d’un projet pour gagner, mais il faut aussi détruire ceux de son adversaire. Cela porte un nom bien précis « ennemy kill ability ». Dans ce cas précis, les Etats-Unis s’y affairent, à notre profit, depuis l’élection de Trump. Une tâche bien rude en moins pour nous, notamment auprès des « Shithole countries ».
D’autre part, la manière dont a été présenté l’idéal footballistique et les vertus du sport est complètement différente. Les Etats-Unis ont présenté un projet politique et économique, avec une mise en avant excessive de leur puissance et d’une pléthore d’infrastructures. Une communication étonnement maladroite pour un pays qui maîtrise les ressorts de la manipulation : l’émotionnel surdomine le rationnel lorsqu’il s’agit de votes. Contrairement à Maroc2026 qui n’a pas mis en avant des stades mais des enfants. Approche juste, judicieuse et assez proche de celle de Londres 2012 (JO).
Cela dit, nous ne sommes pas en reste sur le plan strictement rationnel. La trame argumentative du Maroc est méritante : l’alternance continentale, un budget équilibré en rupture avec le gigantisme de la triple candidature américaine, l’absence « d’éléphants blancs », autrement dit la présence d’infrastructures déjà construites, en cours de construction ou à venir, l’évacuation des projets mégalomanes et la défense du rôle social du sport dans un pays aux confluences multiculturelles. Nous avons su également mettre en place une véritable communication indirecte offensive, jouant notamment sur l’éthique et la transparence dans les règles d’attribution de la coupe du monde.
Mon objectif n’est pas de créer une lueur d’espoir à la veille du vote. Les paramètres sont milliardissimes et infiniment complexes. Difficile de prévoir, encore plus lorsque ma fibre nationale et émotionnelle s’en mêle. Cela dit, ce que je peux prédire, c’est la victoire multidimensionnelle du Maroc quelle que soit l’issue du scrutin. Finalement Maroc 2026 aura été un formidable outil de politique étrangère. Cette stratégie aurait été sciemment voulue, j’aurai applaudit l’exploit. Le choix d’un comité aux relents politico-économiques n’est pas anodin et loin d’être idiot !
Cette candidature nous a ouvert la voie du dialogue avec le concert des nations pour promouvoir notre Royaume, nos atouts et nos forces. A l’heure où nos adversaires se diluent dans la cacophonie internationale actuelle, nous avons aujourd’hui la possibilité de comprendre les choix et les intérêts des uns et des autres, certes de manière conjoncturelle mais Ô combien précieuse. Les votes paradoxaux de l’Algérie et de l’Arabie Saoudite sont criants d’enseignements. Si les décisions politiques sont souvent autonomes des intentions, celles-ci méritent d’être interprétées et utilisées dans notre diplomatie future.
Nous n’organiserons peut-être pas la coupe du monde, mais nous aurons gagné en courage, en leadership et maturité sur la scène internationale. Je n’aurai aucun regret. Nous pouvons et pourrons renouveler nos chances tous les 4 ans. Alors que la politique étrangère n’accorde aucun répit. Elle doit être savamment pensée, constamment renouvelée et surtout finement menée. Nous sommes finalement seul maîtres de notre victoire…
Par Hatim Benjelloun*
*Hatim Benjelloun bénéficie d’une expérience de plus de 10 ans dans les métiers de l’intelligence économique et du lobbying, en France et au Maroc. Diplômé en Science Politique – Sécurité Globale – à l’université de Bordeaux IV avec une double masterisation en Intelligence et Communication Stratégique, il est actuellement gérant associé du cabinet Public Affairs & Services (PASS), un cabinet de conseil en affaires publiques basé à Casablanca.