Dans un autre contexte, on aurait pu critiquer la révision de l’ALE Maroc-Turquie qui se considère comme une volte-face pour sauver les meubles. Toujours est-il que si le produit marocain était compétitif et performant, il aurait chassé automatiquement le produit turc.
L’accord de libre-échange liant le Maroc à la Turquie a longtemps suscité des appréhensions de la part des pouvoirs publics et des opérateurs économiques à cause de son caractère inégalitaire. L’analyse de la balance commerciale Maroc-Turquie montre qu’au fil du temps, ledit accord a profité amplement à l’économie turque. La détérioration du déficit commercial montre par ailleurs que le Maroc n’a malheureusement profité de presque aucun de la cinquantaine d’ALE qu’il a signés (UE, USA, accord d’Agadir, Turquie…).
Pour ceux qui croient que le déficit commercial est né avec l’entrée en vigueur des accords de libre-échange (ALE), qu’ils se détrompent. Depuis que le Maroc commerce à l’international, le déficit est omniprésent. Il faut reconnaître que le gap entre les importations et les exportations s’est rondement élargi avec l’activation des différents ALE. Le déficit commercial est passé de 30,1 Mds de DH en 1998 à 206 Mds de DH au terme de 2018, soit un TCAM de 10,10%.
La Turquie ouvre le bal
Le Conseil de gouvernement du 8 octobre s’est penché sur l’ALE Maroc-Turquie. Sa révision validée par le Conseil comporte en son sein des changements notamment avec l’instauration des droits de douane pendant une période de 5 ans sur des produits industriels d’origine turque, relevant de l’annexe I de l’ALE.
Concrètement, ces produits seront passibles de droits de douane à hauteur de 90% des taux appliqués aux pays les plus favorisés. En parallèle, le Maroc en vertu de cet accord, sera amené à ne pas appliquer d’autres taxes équivalentes aux droits de douane sur les importations d’origine turque, y compris les produits relevant de l’annexe II.
La révision s’est faite en l’absence de réponses à plusieurs questionnements tels que : est-ce que l’accord en cours d’exécution prévoit une révision unilatérale ou encore cette révision est-elle opérée en concertation avec la Turquie ? Quel serait le coût de cette révision sur les exportations marocaines vers la Turquie si cette dernière réplique ? Un tel revirement de la part de l’Etat ne risque-t-il pas de porter atteinte à l’image du Maroc ?
Et les autres accords ?
Tous les ALE signés par le Maroc sont favorables aux pays partenaires à telle enseigne que l’on se demande où nos chers responsables avaient la tête au moment des négociations.
Chaque fois que l’occasion se présente, les opérateurs crient à tue-tête qu’il est impératif de procéder à une révision globale des accords de libre-échange conclus et prospecter les meilleures voies possibles à même de favoriser un rééquilibrage des relations commerciales avec les partenaires. C’est a priori chose faite aujourd’hui avec la Turquie, mais est-ce suffisant ? Cette révision est-elle le prélude à d’autres qui suivront ?
Dans un autre contexte, on aurait pu critiquer la politique commerciale du Maroc qui se considère comme une volte-face pour sauver les meubles. Toutefois en pleine crise sanitaire, les économies même les plus développées ont revu certaines mesures commerciales pour assurer aussi bien leur autonomie que leur souveraineté. La crise sanitaire a imposé à toutes les économies nanties ou démunies des leçons des plus farfelues en contradiction même avec les principes sacro-saints du libéralisme. Elles convergent toutes vers la préservation du marché intérieur et son harmonisation. Le Maroc ne déroge certainement pas à la règle.
Mais cela ne doit pas occulter qu’en matière de politique commerciale, le Maroc a encore du pain sur la planche. La révision des ALE toutes catégories confondues n’améliorerait en rien la situation si la configuration du tissu économique demeure telle qu’elle est. La détérioration du déficit commercial se poursuivrait si des mesures importantes ne sont pas prises pour se doter d’une économie forte et résiliente.
Il est toujours recommandé l’accélération de la transformation structurelle du système productif national dont les limites ont été dévoilées au grand jour par la crise sanitaire.
Ce qui supposerait par ailleurs le relèvement du taux d’intégration local au niveau des principales filières industrielles pour élargir le spectre de création de la valeur et des emplois et parvenir, in-fine, à capter en interne les effets de la sophistication du tissu productif.
Autre élément important est l’approfondissement de l’ancrage régional du Maroc en Afrique. A ce titre, le Maroc ne devrait ménager aucun effort pour mener à bon escient son adhésion à la CEDEAO qui constitue une profondeur stratégique vitale pour le Royaume, de par l’histoire. Le processus d’intégration du Maroc à la CEDEAO est encore (et depuis belle lurette) au stade d’étude de l’évaluation de l’impact.
Dans le but d’impulser l’effort national d’exportation en Afrique, en particulier, et vers d’autres marchés porteurs, trois points paraissent essentiels :
Un système de veille stratégique pour capter les opportunités commerciales et les saisir, tout en anticipant les risques auxquels pourraient être exposées les entreprises nationales ;
Une offre marocaine intégrée pour susciter de fortes synergies entre grands opérateurs et PME-PMI ciblant les marchés d’Afrique ;
Une politique incitative appropriée dont le déploiement serait assujetti à des critères de résultat (relèvement du chiffre d’affaires à l’export, gain de parts de marchés, effet sur les créations d’emplois au Maroc…).
Une chose est sûre : si le produit marocain devient performant et compétitif, il va s’imposer de lui même et chasser le produit turc sans recours à l’interventionnisme étatique.
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1 comment
Si les produits marocains étaient de bonne qualité et aussi de bon prix les marocains vont certainement choisir le marocain