Le Maroc ne cesse de proclamer sa volonté d’intégrer le cercle fermé des pays émergents. Un objectif qui semble lointain de plus en plus à l’analyse de nos indicateurs économiques, financiers et sociaux malgré tous les efforts déployés pour atteindre cet objectif.
Pour cela, les bureaux d’études, nationaux et de plus en plus internationaux, sont fréquemment mandatés par l’Etat pour accompagner les instances du pays dans l’élaboration des politiques, des stratégies, des visions sectorielles.
Sauf que ces études n’ont pas permis à l’économie marocaine de prendre l’élan souhaité. Plusieurs observateurs dénoncent d’ailleurs une forme de rente déguisée, dont les conséquences sur les deniers publics sont considérables. C’est pourquoi le recours à ces bureaux d’études, qui s’est accéléré durant les 20 dernières années, est entouré de plusieurs zones d’ombre.
Pourquoi les retombées des recommandations de ces études ne se font pas ressentir ? Pourquoi les réformes n’aboutissent-elles pas ? Pourquoi l’économie ne décolle-t-elle pas comme espérée ? Pourquoi la pertinence des études réalisées par les bureaux d’études n’est-elle pas évaluée ?
Autant de questions qui rongent la société et qui plongent le pays dans un climat d’incertitude, d’appréhension parfois même de crainte. Surtout que ces études ont coûté à l’Etat des milliards de DH au détriment du contribuable. A quoi servent-elles in fine ? Et à qui profitent-elles ? Quels sont les garde-fous à mettre en place pour pallier aux abus du recours aux bureaux d’études ?
Nous avons posé ces questions à l’économiste Najib Akesbi qui lègue cet état de fait à la conjonction de 3 phénomènes.
« Le premier est lié aux institutions financières internationales qui ont pris l’habitude de réfléchir à la place des Etats. La Banque Mondiale, le FMI…, s’octroient le droit de produire des rapports où elles dénoncent des stratégies et qu’elles veillent à les faire appliquer. Ce sont des pratiques aussi anciennes que le sont ces institutions.
In fine, ces instances cherchent à placer leur argent dans des pays solvables, à l’instar du Maroc, et pour cela elles incitent les pays à mandater des études auprès de bureaux d’études avec lesquels elles sont coproducteurs », nous explique l’économiste.
Le deuxième phénomène est lié à l’appauvrissement en ressources humaines de qualité dans les appareils de l’Etat. Un phénomène qui s’est malheureusement accéléré durant les 20 dernières années notamment depuis l’opération Départ volontaire à la retraite (DVD), rappelle Najib Akesbi. « Il faut dire que ce n’est pas simplement une question d’appauvrissement en RH mais également une volonté qui rejoint, d’une certaine manière, la scène des institutions financières internationales et qui se traduit par le fait que l’Etat a pris le parti de sous-traiter la réflexion stratégique », martèle-t-il.
Face à cette montée alarmante de cette pratique, on ne peut s’empêcher de demander si en fin de compte les cadres étatiques sont réduits à de simples administrateurs qui ne produisent plus la réflexion. Ce qui n’était pas le cas dans une autre époque (Il y a 30, 40 ans) lorsque les plans de développement étaient produits par les cadres de l’administration, regrette Najib Akesbi.
Et d’ajouter que « plus alarmant encore, les cadres ne sont même plus capables de produire des termes de référence ».
Quant au troisième phénomène, l’économiste ne mâche pas ses mots et parle de cupidité des institutions, des bureaux d’études, d’organismes qu’il qualifie de « marchands de méninges » qui se sont spécialisés dans la réflexion comme produits marchands où seule la valeur du bon de commande compte réellement. « La finalité n’est pas de réaliser un produit intellectuel qui a une valeur ajoutée et qui va apporter des solutions mais le but n’est que la contrepartie sonnante et trébuchante », tient à préciser l’économiste. « En résumé, nous avons une administration qui ne demande qu’à sous-traiter en s’arrangeant à prévoir dans les Lois de Finances des rubriques budgétaires. Une réalité qui rejoint les intérêts des institutions financières internationales qui encouragent la promotion du secteur privé en l’occurrence les bureaux d’études. Mais pas seulement puisqu’il y a également une complicité établie entre les bureaux d’étude et ces institutions internationales qui en fin de compte sont des banques qui cherchent à placer leur fonds dans des pays solvables à l’instar du Maroc », résume Najib Akesbi.
Les bureaux d’études sous la loupe
Cela dit, lorsqu’il ne s’agit pas d’études recommandées par les institutions financières internationales pour les raisons évoquées par Najib Akesbi, il n’en demeure pas moins que c’est une déperdition de l’argent public par des administrateurs qui est à l’origine de bon nombre d’études… inutiles. La Cour des comptes avait d’ailleurs déjà relevé ces abus et tiré la sonnette d’alarme sur ces études qui souvent sont gardées dans les tiroirs.
D’après un média national, l’inspection générale des finances se serait penchée sur ce dossier pour mettre la lumière sur un business qui cache bel et bien quelques secrets. Mais il va falloir plus qu’une commission de contrôle pour mieux contrôler cette pratique. En effet, pour améliorer la gouvernance du recours aux bureaux d’étude, il faut d’abord inventorier les études par ministères ou établissements. Aussi les études doivent-elles être centralisées dans une plateforme consultable pour plus de transparence et une bonne gouvernance. Il faut instrumentaliser l’évaluation de l’état d’avancement de l’exploitation desdites études.
Et enfin, il faut codifier les études pour verrouiller le marché et éviter les duplicatas.
Voir également : [ÉMISSION HIWAR] NAJIB AKESBI DÉCORTIQUE LES FREINS RÉELS À UNE RÉFORME GLOBALE DU RÉGIME FISCAL