La question enrichit certes le débat, mais l’idéal est de trouver une solution pour sortir de ce cercle vicieux. Pour l’instant, on est au stade du dilemme : lequel des deux est un goulot d’étranglement pour l’autre : l’inégalité ou la croissance telle qu’elle est produite actuellement ?
L’illogisme « mettre la charrue devant les bœufs » colle parfaitement à la question économique. Laquelle des deux participe à l’autre ? La croissance au Maroc à l’état actuel des choses participe-t-elle à creuser les inégalités ou bien est-ce les disparités sociales et territoriales qui étranglent la croissance ?
A l’heure où le Royaume semble être sur la voie de repenser son modèle de développement, il serait intéressant de plancher sur la persistance des inégalités aussi bien sur le plan social que territorial et analyser la corrélation avec le modèle de croissance actuel.
Selon le rapport du Centre marocain de conjoncture sous le thème « Persistance des inégalités, un frein à la croissance », pour réduire ces inégalités, il faut mettre en place toute une stratégie de prévention de leur aggravation, et relancer durablement la croissance. Autant dire que les économistes du CMC tiennent le bâton par le milieu.
En revanche, le CMC a souligné l’importance pour le pays de procéder au renouvellement de son modèle de développement national et d’accorder une place essentielle à la croissance pro-pauvre avec comme objectif l’élimination de la pauvreté et la réduction des inégalités de revenus, une condition sine qua non à tout développement humain durable.
S’il est intéressant de plonger dans la littérature économique en la matière, il n’en demeure pas moins intéressant de confronter la réalité marocaine avec des économies similaires et d’autres plus performantes.
Le social ne peut pas faire seul cheval de bataille
La politique du Maroc en matière de développement social a montré ses limitespuisqu’elle est quelque peu déconnectée de l’économique. D’aucuns attribuent ses limites à l’état ravageur de la mondialisation et plaident pour une intervention étatique ferme.En effet, mener des chantiers sociaux ne saurait se faire sans une économie forte, mais surtout équitable et inclusive. Quand on sait qu’avec une initiative comme l’INDH lancée en 2005, nous sommes encore à un Indice de développement humain qui peine à franchir les 0,7. Même si d’importants progrès ont été réalisés, il reste beaucoup à faire (La Tunisie est à 0,75avec un taux de croissance de 3%).
Quand on prend le cas d’un pays comme la Chine, où l’Indice de développement humain est passé de 0,4 en 1980 à 0,76 en 2018, ce n’est pas se hasarder que de dire que la croissance contribue inéluctablement à l’inclusion sociale, toutes catégories confondues.
Idem pour la Turquie qui avec ses 7,4 points de croissance dispose d’un IDH de 0,77.
Il ne faut pas non plus être sévère avec le Royaume qui s’est impliqué dans la réalisation des 17 Objectifs du développement durable (ODD) pour éradiquer la pauvreté, réduire les inégalités et lutter contre l’exclusion.
Mais certains écueils persistent, le plus important est l’école qui ne fait plus son rôle d’ascenseur social.
Là encore réapparait le lien indéfectible entre inégalité et croissance, puisqu’en ne formant pas des élites de qualité, les inégalités continueront à prendre la croissance en otage.
Mais attention, on parle bien d’un modèle de croissance qui ne soit pas sauvage sacrifiant l’élément humain sur l’autel du capital.
Allusion faite aux Etats Unis, qui a enregistré 2,3% de croissance,où l’IDH a même reculé en 2015 pour stagner depuis, un pays célèbre par son accès inégal à la santé et à l’éducation.
On peut encore continuer à dédouaner les politiques publiques, obsédées par la maîtrise des déficits et de l’inflation tout en étant accros aux crédits et adeptes des potions des institutions de Breton Woods et se lamenter que c’est la faiblesse du capital humain qui impacte négativement la croissance. Ou bien regarder la réalité en face puisqu’à la lumière des quatre cas étudiés, il ne fait nul doute que l’IDH évolue en fonction de la croissance.
Et quand on sait que pour atteindre le niveau des pays émergents, il faudrait réaliser un taux de croissance de 8 à 9% en moyenne annuelle et pendant 20 à 25 ans, il est clair que l’inclusion sociale telle qu’on la souhaiterait n’est pas pour demain.