Ecrit par Imane Bouhrara |
Le PLF 2022 continue de susciter beaucoup de questionnements et de remarques sur son contenu, ses hypothèses et ses orientations générales. Parmi les points qui rendent perplexes, le triptyque investissement, croissance et emplois. Les chiffres confirment la persistance de la faible efficacité de l’investissement et le reste vient crescendo.
Les discussions du projet de Loi de Finances 2022 se poursuivent à la première chambre autour des grandes questions qui demeurent à élucider, particulièrement la place de l’Eta social dans les propositions du PLF 2022, le premier de ce mandat, l’intérêt accordé au nouveau modèle de développement ou encore les ressources pour mettre en marche les engagements du gouvernement dans ce nouveau mandat.
Des questions légitimes eu égard d’abord au contexte général marqué par la poursuite des effets de la pandémie aussi bien au niveau mondial que national, dans ce sens, les hypothèses du PLF 2022 se trouvent d’emblée en décalage avec la flambée des prix des matières premières et de l’énergie et eu égard également aux attentes et espoir exprimés par les Marocains lors des échéances du 8 septembre.
Pourquoi 3,2% de croissance ?
Là encore, l’objectif de 3,2% est non pas seulement en deçà des engagements gouvernementaux qui tablent sur 4% mais contraste également avec l’ambition affichée de relance et de création d’emplois, une question que nous avions déjà soulevée mais qui résolument demande d’être approfondie.
Pourquoi le gouvernement qui s’engage dans sa déclaration devant le parlement sur 4% révise à la baisse ses ambitions de croissance pour l’année 2022, à l’heure même où le FMI table sur 4,9 % de croissance ? Où se fie-t-il plus aux prévisions de Bank Al-Maghrib qui prévoit 3% de croissance en 2022 ?
Pis, comment avec 245 Mds de DH d’investissement on en est réduit à 3,2% de croissance ? L’explication est à trouver du côté de l’efficacité de l’investissement.
L’efficacité de l’investissement en question
L’économiste Najib Akesbi, qui intervenait sur Rifision, a rappelé que l’abécédaire économique souligne la corrélation entre l’effort d’investissement et de croissance.
Dans le cas présent, 245 Mds de DH d’investissement pour 3,2 de croissance confirme le problème persistant au Maroc de la décorélation entre l’effort d’investissement et la croissance, le développement et la création d’emplois, en somme la faible efficacité de l’investissement.
Akesbi cite d’ailleurs l’Etude sur le Rendement du Capital Physique au Maroc réalisée en 2016 par le HCP qui soutient cette tendance.
Ainsi, le coefficient marginal du capital ICOR, indicateur sur le nombre moyen d’unité d’investissement supplémentaire pour réaliser une unité de PIB, demeure élevé, de l’ordre de 7 points, alors que dans certains pays d’Asie par exemple, il suffit de 3 points d’investissement pour produire un point de PIB.
Pis, ICOR qui calcule la rentabilité des investissements (le taux d’investissement divisé par le pourcentage de PIB), se détériore en 2022 puisqu’il devrait s’établir à 9,8 selon N. Akesbi, à l’heure où d’autres pays continuent d’enregistrer plus de croissance économique et d’emploi alors qu’ils investissent moins que le Maroc en fonction du pourcentage de PIB.
« Pourtant le taux d’investissement s’établit à 31,4% », insiste Najib Akesbi.
Des emplois ou la promotion nationale ?
Dans de telles conditions quelles crédibilité à accorder à l’objectif de 250.000 emplois directs à créer en deux ans, soit une moitié en 2022 ?
Là encore l’économiste Najib Akesbi rappelle que, hormis le baromètre international, l’observation a montré que de 1 point de croissance qui créé 52.000 emplois, nous sommes passés à 30.000 puis 20.000 pour tomber ces trois dernières années à 15.000 emplois créés pour chaque point de PIB.
Mais même avec une moyenne de 25.000 emplois créés par un point de croissance, avec un taux de 3,2%, ce sont 80.000 emplois qui seraient créés par l’économie en 2022.
Certes, 2,25 Mds de DH seront alloués dans le cadre du PLF 2022 pour la création de 125.000 emplois, mais dans quelles conditions ?
Dans ce sens et avec un petit calcul, on se rend compte que ce budget prévoit 18.000 DH par an pour chaque emploi soit seulement 1.500 DH par mois. Pour Akesbi cela s’assimile à la promotion nationale donc à des emplois en réalité précaires. Et à 1.500 DH le mois, l’Etat se trouve ainsi en effraction du Code du travail qui fixe le salaire minimum légal.
Et la boucle est bouclée. Cela va sans dire que d’autres éléments du PLF 2022 comme les hypothèses de campagne agricole ou le prix de l’énergie semblent fragiles qu’irréalistes qui brouillent d’avantage les repères de ce PLF 2022.
C’est dire tout le travail à faire pour donner plus de réalisme et de cohérence à ce texte aujourd’hui dans les circuits de validation et la responsabilité qui incombe également au Parlement dans un contexte de coresponsabilité inscrite dans la Constitution, d’établir un cap clair documenté et chiffré pour cette année 2022.
Du moins l’assortir des mesures concrètes pour rompre les tendances économiques actuelles et persistantes dans le pays et qui entament l’efficacité de l’investissement, la qualité des emplois que créé notre économique et par ricochet l’ambition de développement et de croissance.