En attendant de voir ce que nous cache 2021, l’heure est au bilan de 2020. Un exercice auquel se sont livrés les économistes de Policy Center for the new South dans un rapport sur les « impacts de la covid-19 sur l’économie marocaine : un premier bilan ».
Sans doute l’année 2020 a marqué l’histoire de l’humanité. Une année de crise (sanitaire et économique), d’incertitude, de panique, de peur, de récession, de manque de visibilité et de projection, de confinement…
Une année où les puissances mondiales ont été secouées, les systèmes de santé mis à rude épreuve et l’être humain confronté à l’une des pires épidémies de l’histoire.
Mais bien que la page de cette année exceptionnelle soit tournée ce n’est pas le cas de la pandémie qui continue d’imposer ses règles.
En attendant de voir ce que nous cache 2021, l’heure est au bilan de 2020. Un exercice auquel se sont livrés les économistes Abdelaaziz Ait Ali, Karim El Aynaoui, Fayçal El Hossaini et Badr Mandri de Policy Center for the new South (PCNS) dans un rapport sur les « impacts de la covid-19 sur l’économie marocaine : un premier bilan ». Ces économistes décrivent le choc de la Covid-19 comme unique en son genre.
Un rapport qui dresse une première évaluation circonstanciée des ramifications de cette crise, ce qui permettrait de mieux poser les défis et les enjeux de la politique économique pour les années à venir, devant un bilan économique a priori lourd.
D’après les experts du PCNS, l’objectif de cet exercice « n’est pas de fournir une estimation ponctuelle de l’impact de la crise, qui se rajoute aux différentes estimations des institutions nationales et internationales, mais de cerner au mieux les ramifications de cette crise à l’échelle de l’activité économique, le cadre macroéconomique et la situation sociale ».
Trois approches complémentaires ont été retenues pour dégager une estimation de la croissance : une première, qui s’appuie sur les canaux recensés auparavant pour dégager un ordre de grandeur par type de choc ; une deuxième, fondée sur des techniques d’estimation économétriques, et, une troisième approche, qui puise dans les interrelations sectorielles établies par les tableaux entrées-sorties.
Ainsi il ressort du rapport que les analystes s’accordent sur l’ampleur de la crise et révèlent une contraction sévère de l’activité économique de près de 7%, sous l’effet principalement des mesures de confinement et la baisse drastique de la demande étrangère.
« Les 3 approches déployées concluent sur la sévérité de la crise et estiment que la contraction de la production serait aux alentours de 7%, avant de rebondir, en 2021, à près de 4,5%. L’incertitude demeure prégnante, mais à une moindre échelle comparativement aux premiers mois de la crise », précise le rapport.
L’exercice 2020 a donc été impacté par deux chocs violents relatifs aux mesures de confinement et au recul de la demande étrangère, dont l’ampleur peut amputer plus de 13 points de croissance au terme de l’année. La sécheresse n’a pas arrangé les choses.
En effet, la confirmation d’une année agricole défavorable aggrave la récession. Conséquence, un affaissement de la demande intérieure, davantage amplifié par la détérioration du niveau de confiance. « La résilience des transferts des MRE devrait exercer un effet neutre sur la croissance, au regard de leur quasi-stabilité prévisible au terme de l’année », lit-on dans le rapport.
La contraction de la production nationale serait ainsi de près de 7% avant de renouer avec la croissance aux alentours de 4,5% en 2021, insuffisante pour rétablir le niveau de 2019.
« Les résultats du modèle économétrique indiquent, pour leur part, une prévision centrale de croissance de près de -7%, en liaison avec le recul de la consommation des ménages et de l’investissement domestique, ainsi qu’une demande extérieure nette en berne. Cette estimation ponctuelle ne doit pas occulter les incertitudes accrues qui entourent nos appréciations sujettes à des hypothèses, en particulier celle relative à l’évolution de l’activité économique dans la zone Euro qui reste instable », précisent les analystes.
Sans surprise, la reprise de l’activité reste tributaire de l’évolution de la pandémie et du rythme de déploiement du vaccin au niveau national. Dans ces conditions, l’économie marocaine devrait continuer d’être soutenue par des conditions de financement favorables et une amélioration progressive de l’activité et de la demande mondiales, précise le rapport.
Les équilibres macroéconomiques : une nouvelle épreuve
Les économistes relèvent que les équilibres internes et externes de l’économie marocaine seraient soumis à de rudes épreuves en cette année 2020. « On serait témoins d’un creusement des déficits jumeaux, s’établissant entre 6% et 8% du PIB. Les marges de manœuvre dont disposent les autorités, budgétaire et monétaire, pourraient absorber partiellement le choc de la Covid-19 dans le court terme mais seraient sous stress pour accompagner la relance sur les années à venir », lit-on dans cette analyse.
En première ligne de cette marée, les finances publiques et les recettes budgétaires qui restent élastiques à l’activité économique. Pis encore, elles ne manqueraient pas de se compresser au regard de la violence des chocs mais également des mesures déployées par les autorités publiques pour alléger la pression sur le tissu productif.
Il ressort que du côté des dépenses, la Loi de Finances rectificative est venue avec une principale vocation : réduire le train de vie de l’Etat et réaffecter les enveloppes budgétaires, de telle sorte à prioriser les dépenses courantes qui ont trait à la lutte contre la pandémie.
« Dans un tel contexte, et tenant compte de nos estimations de croissance, nous devrions assister à une détérioration du déficit budgétaire qui pourrait passer à 8% du PIB, consécutive à une chute des recettes ordinaires d’environ 15% par rapport à l’année 2019 et sous l’hypothèse d’une augmentation du niveau total des dépenses de 10 milliards de dirhams par rapport aux prévisions de la loi de Finances 2020. Par conséquent, la dette du trésor devrait dépasser 76% du PIB, soit le plus haut ratio depuis 1997 », précisent les économistes.
Reprise en U
L’un des principaux défis à relever à partir de 2021 celui de la repise. Malheureusement, jusqu’à aujourd’hui, il y a un flou total quant aux perspectives de croissance et de relance.
« La forme de la reprise dépendra, notamment, de la résilience du système de santé, des effets des politiques économiques visant à soutenir les ménages et les entreprises, ainsi que de la disponibilité d’un vaccin efficace. Par rapport à ce dernier point, il est évident que l’acquisition par le Maroc d’un vaccin contre la Covid-19, les préparatifs actuels pour le lancement de la campagne nationale de vaccination, ainsi que la décision royale en faveur de la gratuité du vaccin constituent une nouvelle qui porte à l’optimisme sur les plans sanitaire et économique », précisent les économistes de Policy Center for the new South.
Ils prédisent le scénario d’une reprise graduelle en U qui serait la plus probable pour le Maroc. Cela peut nécessiter une période de résilience durant laquelle les fondamentaux économiques doivent demeurer solides. Ce qui est sûr c’est que « la reprise se ferait graduellement à un rythme déterminé par la résolution de la pandémie, à travers une vaccination généralisée, qui permet d’agir favorablement sur l’offre de travail et la productivité, ainsi que par la normalisation des conditions mondiales, en particulier chez nos principaux pays partenaires », soulignent-ils.
Toutefois, le rapport relève certains facteurs qui risquent d’influencer négativement les perspectives de croissance. Référence faite d’abord à la dégradation de la situation bilancielle des agents économiques privés lors de l’impact de la Covid-19 (ex. baisse des revenus, dégradation des fonds propres et de la trésorerie, hausse de l’endettement, arriérées) pourrait déclencher ce que l’économiste américano-taïwanais Richard Koo appelle « une récession des bilans ».
Une situation qui pousse les ménages et les entreprises, pendant la phase Post-Covid-19, à se préoccuper par la reconstitution de l’épargne et le remboursement de la dette au détriment de la consommation et de l’accumulation du capital, entraînant ainsi un ralentissement de la demande intérieure privée et un essoufflement de la croissance économique.
Ensuite, il y a la dette publique qui poursuit sa tendance haussière, en raison essentiellement de l’assouplissement de la politique budgétaire. Il est clair que la dette publique a un rôle important à jouer dans le lissage des cycles économiques, la réponse aux crises de tous genres, en l’occurrence la crise sanitaire, ainsi que dans le financement des investissements publics et d’infrastructure.
Cependant, et bien que le Maroc n’ait jusqu’à présent pas atteint un niveau critique de la dette publique, cette dernière demeure soumise aux risques de taux de change et de maturité.
Si le ratio dette publique sur produit intérieur brut continue sur sa tendance haussière et atteint un niveau critique dans le futur, le Maroc pourrait bien manquer d’espace budgétaire et ne pas être en mesure de déployer des ressources publiques nécessaires pour contre tout autre choc négatif.
En outre, la « fuite vers la qualité » sur les marchés financiers pourrait bien signifier que pour certains pays à revenu intermédiaire, comme le Maroc, il sera plus difficile d’emprunter pour couvrir leur déficit budgétaire (Hausmann, 2020).
La montée de l’aversion au risque pourrait également durcir les conditions d’accès au financement extérieur et limiter les ressources nécessaires pour faire face aux chocs de la balance des paiements.
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Bin