Au sens militaire du terme, la seule « stratégie » énergétique que le Maroc devrait adopter est celle de l’amélioration de l’indépendance énergétique au moindre coût, le reste n’étant que des « tactiques » au service de ladite « stratégie ».
Pourquoi ? – La réponse est dans le décor du contexte structurel :
- En 2022, le Maroc ne cause que 0,18% des 38 Gt d’émissions anthropiques globales, même avec une part de population mondiale 3 fois supérieure (0,48%). La cessation de toute émission de gaz à effet de serre par le Maroc n’aurait qu’un impact négligeable sur le réchauffement climatique et, malgré cet impact négligeable sur ses causes, le Maroc fait partie des pays qui souffrent le plus de ses effets.
- Même si elle l’aura peut-être fait en 2023, l’indépendance énergétique du Maroc n’avait pratiquement pas dépassé 10% depuis 1988 et, en 2022, le Maroc a été 7ème dernier mondial dans ce domaine.
- Malgré les récentes découvertes de gaz naturel, le Maroc n’a pas encore de réserves prouvées de fossiles lui permettant d’assurer une indépendance énergétique décente.
- Le coût de la dépendance énergétique pointe au sixième du PIB, au quart des imports et à la moitié des exports. Pas étonnant que le pays doive courir après les exportations car c’est une question de survie.
- Le Maroc a des possibilités de génération d’électricité solaire et éolienne dépassant ses besoins tout en étant l’électricité la moins chère même si techniquement intermittente et financièrement trop capitalistique pour les ressources du pays.
- Le futur Mécanisme d’Ajustement Carbone aux Frontières menace nos exportations vers l’UE à cause d’une intensité des émissions de l’électricité produite pas descendue sous 600 gCO2/kWh depuis 1982 (en 2022, le Marc a été 9ème dernier mondial dans ce domaine) et les renouvelables sont une des solutions de la décarbonation.
Après ce survol structurel, passons au conjoncturel. Malgré la très mauvaise performance de l’électricité hydraulique (moins de 1% de la production brute d’électricité), l’année 2023 aura fini avec une électricité renouvelable qui a bondi de +1’895 GWh, soit +26% par rapport à l’année 2022. Il n’empêche que ce bond, que l’on devrait applaudir, fait ressortir des cavernes les réticences de certains milieux marocains qu’on ne saurait encore dire s’ils sont « conservateurs », « défenseurs d’intérêts spécifiques » ou les deux.
Dans cet article nous allons essayer d’expliquer pourquoi, pour l’instant, le Maroc ne devrait pas encore ralentir le développement de l’électricité renouvelable malgré son intermittence, parce que la moins chère, la plus disponible et, accessoirement, la moins émettrice de gaz à effet de serre.
OPPOSITIONS AUX ARGUMENTS COURAMMENT OPPOSÉS AUX RENOUVELABLES
Parmi les arguments qu’on oppose à la progression de l’électricité renouvelable dans le réseau électrique marocain, les deux les plus couramment rencontrés sont numérotés 1 et 2 ci-dessous :
Figure 1 Part d’électricité intermittente et sollicitation de la STEP de Afourer
- Certains vantent le stockage d’énergie comme solution pour dompter l’intermittence des renouvelables. Cette phrase générique est certes vraie, mais il faudrait alors expliquer pourquoi, au Maroc, le facteur de charge du seul stockage existant (STEP de Afourer) a été de moins en moins sollicité (en bleu) alors que la part d’électricité solaire + éolienne (en rouge) a progressé, comme montré sur la Figure 1. Nous avons donc là une contradiction entre la logique affichée d’entrée et la réalité objective du pays.
Figure 2 Part d’électricité intermittente, sollicitation des turbines à gaz et subvention du fuel
- D’autres soulignent que, sans stockage, l’intermittence ne peut être suivie que par la flexibilité des turbines à gaz dont l’électricité (au fuel ou gaz naturel), même si elle coûte plus de 2 Dh/kWh et émet autour de 750 grammes de CO2/kWh. Logique satisfaisante dès lors que la production d’électricité intermittente devient dominante par rapport à la pilotable, et ce ratio peut-être d’autant plus important que la production intermittente est foisonnée (voir Appendice). Or, la Figure 2 montre qu’au Maroc, le facteur de charge des turbines à gaz n’a pas suivi la part de l’électricité intermittente mais plutôt… la subvention du fuel (en rouge et en milliards de Dh). Encore une fois, nous avons une contradiction entre la logique affichée d’entrée et la réalité du pays.
La vraie explication à ces deux contradictions apparentes se trouve sans doute aux Roches Noires, entre les mains d’une poignée de brillants ingénieurs du Centre de Dispatching de l’électricité de l’ONEE-BE qui, lui-même, ne communique même plus les courbes de charge journalières après l’avoir fait entre 1981 et 2008 alors que tous les opérateurs réseau qui se respectent dans le monde communiquent cette information instantanément, et de façon segmentée séparant chaque famille d’unités de production. Au Maroc, nous avons droit à l’image de la courbe de charge de la pire journée de l’année… mais seulement en Novembre de l’année suivante mais seulement si nous avons été sages ! (Il n’y a pas mort d’homme, on peut en rire.)
CONCLUSION
A défaut de cette information, auxquels les marocains ont le droit de la part d’un de leurs services publics, je ne trouve qu’une seule explication aux informations contradictoires 12 et 2 ci-dessus : c’est que la pilotabilité de nos centrales thermiques à vapeur permet encore de suivre partiellement l’intermittence de notre production d’électricité renouvelable, compte tenu de sa contribution minoritaire. Ceci voudrait aussi dire qu’en sollicitant un peu plus souvent la seule STEP en service à Afourer, nous pourrions produire encore beaucoup plus d’électricité intermittente, sans même compter la STEP de Abdelmoumen, fin prête semble-t-il, qu’on ne se décide pas à mettre en service après dix ans de retard.
Bien sûr, je peux me tromper mais ce ne serait alors qu’au profit d’informations non publiques qui compèteraient, sans les contredire, celles déduites de la Figure 1 et de la Figure 2. Dans la foulée, l’explication donnée ne devrait pas, non plus, être en contradiction avec ce qui se passe dans les pays où l’électricité intermittente prend des parts de géant dans la production locale, comme, au Portugal avec 61% en 2023 dont certes des barrages (23%) mais surtout, en Australie du Sud qui a atteint 70%, sans barrages !
Si l’on exclut l’autoproduction, qui génère l’électricité sur le site de consommation, l’injection d’électricité dans le réseau doit, bien sûr, respecter les capacités d’accueil du réseau en tous points mais ceci est une limite s’appliquant à toute unité de production, et pas seulement d’électricité renouvelable.
APPENDICE : UN PEU DE LA TERMINOLOGIE ÉLECTRIQUE UTILISÉE
Ce complément technique a été placé à la fin pour ne pas perturber la lecture de ceux qui n’en veulent pas.
Intermittence d’une source d’énergie ou d’une unité de production d’électricité
On parle d’intermittence quand une unité de production électrique est alimentée par une source d’énergie ayant des flux naturels dont la disponibilité, même prévisible, varie sans possibilité de contrôle. Certaines de ces sources ont des variations régulières, comme l’énergie marémotrice et la solaire mais d’autres sont moins régulières, comme l’énergie éolienne dans les sites moins favorables. L’électricité géothermique, ou de biomasse ont l’avantage d’être pilotables comme l’hydroélectrique conventionnelle, tant qu’il y a de l’eau !
Pilotabilité d’une unité de production d’électricité
La production d’électricité est dite pilotable lorsqu’elle provient de sources d’énergie dont la production peut être modifiée à la demande. Qu’elles incluent une turbine à gaz ou une turbine à vapeur les centrales électriques conventionnelles présentent un certain degré de pilotabilité. Qu’elles soient alimentées par de la chaleur provenant :
- de réactions thermonucléaires,
- de combustion :
- de charbon (comme à Jorf Lasfar ou Safi),
- de gaz naturel (comme à Tahaddart ou Aïn Beni Mathar)
- ou de fuel (comme à Kenitra),
les centrales électriques comportant au moins une turbine à vapeur, mettent trop longtemps à démarrer, ne doivent donc être éteintes que pour la maintenance et fournissent l’électricité 24h/24 (dite électricité de base), les centrales solaires thermodynamiques pourvues de stockage (comme à Ouarzazate) font exception à cette règle puisqu’elles ne produisent que quelques heures durant la nuit. Quant aux centrales électriques ne comportant qu’une turbine à gaz (comme à Mohammedia), ou un moteur Diesel (comme à Laâyoune), elles ont une réactivité de production quasiment immédiate et un degré de pilotabilité très élevé grâce à l’usage de moteurs à combustion interne.
Facteur de charge d’une unité de production d’électricité
Caractérisant le degré de sollicitation d’une unité de production d’électricité, son facteur de charge (FC) est un pourcentage obtenu du rapport entre l’énergie électrique effectivement produite sur une période donnée et l’énergie qu’elle aurait pu produire si elle avait fonctionné à sa puissance nominale durant la même période. Le fait que le facteur de charge n’atteigne jamais 100% sur une année résulte du temps dédié à la maintenance ou de l’indisponibilité (centrales conventionnelles) ou l’intermittence (centrales renouvelables) de la ressource. Pour mémoire, un facteur de charge annuel :
- de 83% correspond à une moyenne de 10 mois sur 12 à pleine puissance, ce qui devrait être pour les turbines à vapeur au charbon ou à réacteur nucléaire ainsi que celles à cycle combiné au gaz naturel,
- de 4% correspond à un peu plus d’une heure de production à pleine puissance par jour (valeur courante pour les turbines à gaz utilisées seulement pour répondre aux pointes de demande),
- 25 à 59% soit 3 à 7 mois par an, qui sont atteints par les parcs éoliens du Maroc, selon le site,
- 23% correspond à 5,5 heures par jour, facilement atteint au Maroc par les centrales solaires.
Foisonnement de la demande ou de la production
Le foisonnement désigne le fait que les variations :
- des demandes individuelles d’électricité, incontrôlables, par les différents consommateurs,
- ou de la génération individuelle d’électricité par les différentes unités de production,
se compensent en partie, si bien que les variations de la demande totale ou de la production totale sont atténuées par rapport aux variations individuelles. Ainsi, les fluctuations sont statistiquement réduites si :
- la demande d’électricité des différents consommateurs n’est pas synchrone,
- les systèmes de production électrique intermittente sont géographiquement répartis ou bien que le réseau électrique est fortement maillé.
Au Maroc, nous avons pratiqué à l’inverse des autres pays qui ont réduit le risque des grandes variations en autorisant d’abord les petites unités solaires géographiquement dispersées avant les grandes centrales.
Capacité d’accueil
Un réseau électrique est formé d’un ensemble de lignes électriques (câbles) et d’un ensemble de postes de transformation permettant, selon la distance à parcourir, de descendre de la très haute tension (400’000 V ou 220’000 V au Maroc), à la haute tension (60’000 V au Maroc), à la moyenne tension (22’000 V au Maroc) et enfin à la basse tension (230 V au Maroc), les abonnés se trouvant en terminaison de réseau. Chaque tronçon du réseau électrique est calculé pour véhiculer une puissance donnée qu’on appelle « capacité d’accueil » et qui correspond donc à la puissance de production qui peut être raccordée sur un poste donné sans générer ni contraintes de courant et de tension, ni autres modifications que le branchement de nouveaux abonnés.