Ecrit par Imane Bouhrara |
A peine trois mois après le projet de loi 53.22 portant ratification du décret-loi n°2.22.770 édictant des dispositions particulières relatives au Conseil National de la Presse (CNP), voilà que la tutelle présentera le 13 avril en conseil du gouvernement le projet de loi 15.23 portant création d’une commission provisoire. L’impasse dans laquelle se trouve aujourd’hui le 4e pouvoir est déconcertante à plus d’un titre.
Depuis octobre 2022, c’est une véritable impasse dans laquelle vit le secteur de la presse puisque le 1e mandat dans l’histoire du Conseil national de la presse (CNP), est arrivé à échéance.
Comprenez la déception. L’opérationnalisation du CNP traduit non seulement l’aspiration du secteur à s’autoréguler, mais aussi donne corps à l’article 28 de la constitution marocaine : « … Les pouvoirs publics favorisent l’organisation du secteur de la presse de manière indépendante et sur des bases démocratiques, ainsi que la détermination des règles juridiques et déontologiques le concernant… ».
Donc au moment où il fallait tenir des élections en 2022, il n’en est rien et le gouvernement adopte un projet de décret-loi portant prorogation de six mois de ce 1e mandat du CNP.
L’objectif étant justement que cette période puisse préparer de nouvelles échéances pour permettre aux professionnels des médias et de la presse d’élire leurs représentants, particulièrement les 14 membres du conseil élus sur un total de 23, dont 7 représentent les journalistes et 7 représentent les éditeurs. Une période de six mois qui a également pris fin en ce mois d’avril, sans succès.
Durant cette période, le ministère de la communication va présenter un autre projet de loi, 53.22 qui est d’ailleurs adopté, qui dispose que le conseil est composé de 23 membres, dont le président sera désormais nommé par le Roi pour une durée de cinq ans, renouvelable une seule fois.
Et voilà que ce 13 avril, le conseil du gouvernement devra statuer sur un nouveau projet de loi 15.23 portant création d’une commission provisoire pour une durée de 2 ans cette fois-ci pour gérer les affaires du secteur.
Dans la note de présentation du texte du ministère de la Communication, il est évoqué que ce projet de loi a été préparé justement en raison de l’incapacité à organiser des élections du nouveau Conseil.
Le ministre de la Communication ne communique pas clairement sur ces goulots d’étranglement qui empêcheraient la tenue d’élection comme celle de juin 2018, pour sortir de cette impasse.
Le hic, les mêmes causes reproduisant les mêmes effets, est qu’on reprend les mêmes membres qui en cinq ans, plus six mois, n’ont pas réussi à assurer une transition fluide ni à sortir le secteur de son marasme ni à organiser des élections démocratiques dans les délais légaux, pour tenter en deux ans d’inverser la situation d’un secteur à l’agonie.
Pis, cette commission doit tenter en 9 mois seulement de faire une évaluation complète de l’état actuel du secteur et faire une proposition de mesures visant à soutenir ses fondements organisationnels, comme stipulé dans l’article 4 du projet de décret qui sera soumis à l’approbation du conseil du gouvernement.
Vous perdez le fil ? Rassurez-vous, nous aussi.
Le cheminement naturel dans toute organisation sectorielle élue et le bon sens veulent qu’un tel chantier soit entamé et poursuivi sur un ou plusieurs mandats. Autrement dit, pour ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain, un chantier de réforme dans un secteur ne doit pas prendre en otage l’organisation même et la bonne marche d’un secteur selon les lois le régissant.
Que ce soit pour le code de la presse, le statut professionnel ou encore le CNP, cela a fait l’objet de plusieurs années de débat, de concertation entre différentes composantes du secteur… que 9 mois, avec une poignée de personnes, semblent sérieusement vouer cette ambition de réforme du secteur à l’échec. D’autant que ces personnes ne disposent plus de la légitimité des urnes, leur mandat échu, ce qui affaiblit l’adhésion à toute velléité de réforme.
Le ministère voulait-il reproduire le même Schéma que pour le nouveau modèle de développement avec une commission spéciale ? Ou bien souhaite-t-on juste passer la patate chaude au prochain exécutif ? En tout état de cause cette mise de tutelle aussi provisoire soit-elle, est pour le moins incompréhensible. L’enfer est pavé de bonnes intentions !
Clairement, le ministère gagne, en toute objectivité, à sortir de la mêlée et mettre le point sur les dysfonctionnements qui empêchent le secteur de s’autoréguler de manière normale.
En effet, lorsqu’un secteur aussi important que la presse est en phase trouble, le droit à l’information et la sincérité sont vitaux.