A en croire le site de suivi des prix du gasoil dans 167 pays[1] (parmi lesquels 143 n’ont pas d’autosuffisance de production pétrolière), le classement du Maroc dans les prix du gasoil s’est légèrement amélioré :
- il avait le 82ème prix le moins cher avec 11,20 Dh/litre rapportés pour le 07/03/2022,
- il avait le 107ème prix le moins cher avec 16,57 Dh/litre rapportés pour le 18/07/2022,
- il avait le 105ème prix le moins cher avec 16,14 Dh/litre rapportés pour le 21/11/2022,
- il avait le 95ème prix le moins cher avec 13,78 Dh/litre rapportés pour le 27/02/2023 et, si le prix n’était surestimé (moins de 13 Dh/litre à Casablanca), il aurait été classé à la 80ème
Le citoyen lambda ne bâtit son opinion que sur de simples faits affectés par une part de subjectivité car la douleur de la hausse des prix se ressent plus que le bénéfice d’une baisse :
- on semble plus prompt à imputer les hausses que les baisses de prix,
- les amplitudes des hausses sont toujours plus élevées que les baisses.
Face à cette subjectivité somme toute légitime, nous avions tenté dans un article précédent[2] d’expliquer en quoi les prix des combustibles à la pompe au Maroc ne pouvaient être en phase avec les cours mondiaux du pétrole et ce même article2 avait permis d’anticiper la relative stagnation des prix qui a eu lieu durant la fin de l’été 2022. Puis, dans un second article[3], nous nous demandions pourquoi l’on ne retrouvait pas, à la pompe, un impact de la baisse tendancielle des cours du pétrole amorcée depuis mai 2022 et que la décision de l’OPEP de limiter la production n’a fait que ralentir. Il semble maintenant que les prix à la pompe se rapprochent de nouveau du très simple modèle théorique que nous avons construit. Nous en profitons pour annoncer qu’il de devrait pas y avoir de hausse significative durant le mois de mars 2023.
Le rapprochement des prix à la pompe du gasoil, certes très lent et progressif, au niveau de ceux qui étaient pratiqués avant la guerre en Ukraine (environ 10 Dh) fait bien moins de bruit que la hausse. Et pourtant, chaque Dirham gagné coupe l’herbe sous le pied des spéculateurs qui pointent indûment le doigt vers le coût du transport et Dieu qu’il y a besoin de la moindre baisse pour les démasquer en cette veille de Ramadan !
ÉVOLUTION DES COURS MONDIAUX ET ÉROSION DU DIRHAM FACE AU DOLLAR US
La Figure 1 montre l’évolution :
- des différents cours moyens hebdomadaires internationaux de pétrole en dollars US (échelle bleue de gauche), tels qu’ils sont rapportés par un site de statistiques internationales[4]:
- Brent (bleu) : prix moyen de pétroles extraits de la Mer du Nord,
- OPEC (vert) : prix moyen de pétroles provenant des différents pays de l’OPEP,
- WTI (noir) : prix moyen de pétroles légers américains (West Texas Intermediate).
La Figure 1 montre aussi l’évolution du cours du Dirham face au Dollar US[5] (échelle rouge de droite).
Figure 1 Evolution des cours moyens internationaux du pétrole et du cours du Dirham face à l’US$
La Figure 1 met bien en évidence :
- la lente reprise des cours mondiaux du pétrole induite par la hausse de la demande après la reprise de l’économie « après » COVID (Octobre 2020),
- la hausse brutale générée par la crise en Ukraine (Janvier 2022),
- l’érosion régulière et reprise du Dirham face au Dollar US. Dans notre premier article2, nous avions volontairement l’évolution du cours mais, depuis, nous la prenons en considération « ab initio » puisque le Dh a quand même perdu près de 18% entre le printemps 2021 et l’automne 2022.
QUE RETENIR DE L’ÉVOLUTION RÉCENTE DES PRIX DU GASOIL ?
La moyenne des trois prix du pétrole (Brent, pétroles OPEC et WTI) est d’abord convertie en Dirhams avant d’être utilisée pour calculer, par ajustement et décalage, ce que serait le prix moyen du gasoil à Casablanca.
Figure 2 Evolution du cours moyen du pétrole en Dh (bleu) et des prix observés et calculés à Casablanca (rouge)
C’est ainsi que la Figure 2 montre les évolutions :
- de la moyenne des trois prix du pétrole en Dh (ronds bleus se rapportant à l’échelle de gauche),
- du prix moyen constaté chez 5 pompistes de Casablanca[6], [7] jusqu’au 18 juillet 2022, les prix ultérieurs ayant été obtenus par d’autres communiqués récents dans la presse marocaine (triangles rouges pleins se rapportant à l’échelle de droite),
- du même prix calculé par ajustement et décalage (carrés rouges se rapportant à l’échelle de droite).
La Figure 2 montre clairement que :
- Durant la phase ascensionnelle des cours mondiaux (fin décembre 2021 à fin mai 2022), il y a un parallélisme décalé entre les cours mondiaux (bleus) et les prix à la pompe au Maroc (rouges),
- Jusqu’à fin août 2022, les prix à la pompe calculés (triangles rouges) ont suivi les prix réels (carrés rouges) en restant toujours à l’intérieur d’une barre d’erreur de ±8%. Le bon accord va
- de la période de prix « basse » du cours moyen du pétrole (de fin juin à fin décembre 2021),
- jusqu’à la phase « ascensionnelle et haute » des prix (de fin décembre 2021 à fin septembre 2022),
- Durant la période d’octobre 2022 à janvier 2023, les prix réels se sont excessivement écartés des prix calculés, alors que le cours moyen du pétrole s’érodait lentement depuis fin mai 2022, quoique de façon erratique.
- Quoique encore supérieurs, les prix réels se rapprochent des prix calculés à fin février 2023.
- L’extrapolation des prix calculés au mois de mars 2023 montre qu’à moins de baisser, le prix du gasoil devrait rester sensiblement constant.
Abstraction faite de toute simplicité ou complexité du modèle de calcul représenté par les triangles rouges, il n’en reste pas moins que celui-ci a correctement fonctionné pendant près de 15 mois et que les « règles du jeu » qui prévalaient alors sont devenues caduques par l’écart excessif constaté pendant les mois d’octobre 2022 à janvier 2023. Pour ma part, je ne vois que deux explications à cet écart :
- Les distributeurs pourraient avoir profité de l’opportunité d’une augmentation de leurs marges, ce qui est tout à fait légal dans un marché libre. Toutefois, dans un contexte de libre concurrence entre plusieurs opérateurs, la synchronisation parfaite des hausses ne peut se produire sans entente, ce qui violerait les Lois de la concurrence de ce pays et, à défaut d’Autorité spécialisée dans le domaine[8], le Conseil de la Concurrence n’aurait alors plus qu’à remettre au travail l’Instance qui a instruit le récent Avis du Conseil sur le sujet[9] afin de nous dire s’il y a effectivement entente.
- La politique d’approvisionnement des distributeurs pourrait avoir changé par rapport à la phase ascensionnelle des prix. Dans ce cas, il faudra que le Conseil de la Concurrence nous explique le fonctionnement de ce « marché libre » dans lequel 85% des importations de combustibles ne sont faits que par 8 opérateurs différents9 mais qui changent simultanément leur politique d’approvisionnement menant à une synchronisation systématique des tendances des prix. Car, au sens commun d’un vrai marché concurrentiel, les étiquettes ne devraient pas valser de façon synchrone, n’est-ce pas ?
Du fait que nous vivions sur une planète qui n’est pas infinie, le réchauffement climatique et l’épidémie de COVID ont fait que les fondements du capitalisme sont en train de changer et que nombre d’économistes jadis chantres du libre marché ont révisé leur position aujourd’hui. Souhaite-t-on laisser encore les marocains entre les mains de cette image locale du capitalisme débridé qu’est la distribution des produits pétroliers ?
POURQUOI Y A-T-IL DIFFÉRÉ ENTRE LES PRIX DU PÉTROLE ET CEUX À LA POMPE ?
Décrite simplement, la séquence causant le différé est la suivante :
- Les raffineries étrangères qui produisent les combustibles destinés au Maroc nécessitent un délai entre le moment où elles achètent, reçoivent et stockent leur matière première (pétrole) et le moment où, après fabrication, elles stockent leurs produits raffinés (flèches noire et bleue de la Figure 3).
- Les réseaux de transport internationaux nécessitent eux aussi un délai entre le moment où ils prennent en charge les produits raffinés dans les réservoirs des raffineurs et le moment où ils livrent nos distributeurs locaux dans les ports marocains (flèche rouge de la Figure 3).
- Les distributeurs marocains nécessitent eux aussi un délai entre le stockage des produits raffinés et la livraison des pompes à essence à un prix donné. Ce délai, est celui de la flèche verte de la Figure 3.
Figure 3 Schéma simplifié des étapes encadrant les différentes phases en amont des détaillants de combustibles pétroliers
Par ailleurs, les distributeurs marocains de combustibles ont une politique d’approvisionnement basée :
- sur une très large majorité d’achats sous contrat signés à l’avance, dont les fluctuations de prix sont faibles et décalées dans le temps,
- sur une minorité d’achats dont les fluctuations de prix sont soumises aux cours mondiaux et dont le décalage dans le temps est plus faible.
Les prix à la pompe résultent d’un mécanisme d’autant complexe incluant aussi la diversité des acteurs.
Par Amin BENNOUNA (sindibad@uca.ac.ma)
Références
[1] Base de données « Global Petrol Prices » consultée le 07 mars 2022 et encore le 24 juillet 2022, https://fr.globalpetrolprices.com/Morocco/diesel_prices/
[2] A. Bennouna, « Sommes-nous à l’aube d’un palier des prix du gasoil au Maroc pendant le troisième trimestre 2022 ?« , EcoActu, 25 Juillet 2022, https://www.ecoactu.ma/sommes-nous-a-laube-dun-palier-des-prix-du-gasoil-au-maroc-pendant-le-troisieme-trimestre-2022/
[3] Amin Bennouna, « Maroc : les prix du gasoil à la pompe ne devraient-ils pas être nettement plus bas depuis Octobre 2022 ?« , EcoActu, 22 Novembre 2022, https://www.ecoactu.ma/maroc-prix-gasoil-pompe/
[4] Base de données « Statista« , https://www.statista.com/statistics/326017/weekly-crude-oil-prices/
[5] Site web de Bank Almaghrib, https://www.bkam.ma/Marches/Principaux-indicateurs/Marche-des-changes/Cours-de-change/Cours-de-reference
[6] Webmagazine « Médias 24« , 08 novembre 2021, https://medias24.com/content/uploads/2021/11/08/Le%CC%81volution-des-prix-moyens-a%CC%80-la-Pompe-du-gasoil-v2-01-3.svg?x98526
[7] Webmagazine « Médias 24« , 18 juillet 2022, https://medias24.com/2022/07/16/carburants-baisse-des-prix-du-diesel-et-de-lessence-ce-16-juillet/
[8] Important plus de 90% de ses besoins énergétiques, le Maroc n’a plus aucune d’institution spécialisée pour réguler ou contrôler les prix des combustibles libéralisés par le gouvernement de Abdelilah Benkirane en 2015. Il est difficile de ne pas opposer : l’intelligence avec laquelle on avait alors choisi la date de la libéralisation des prix pour que le consommateur n’en ressente pas l’effet au machiavélisme avec lequel on l’a laissé sans une Autorité qui, à l’instar de l’ANRT, l’aurait protégé des abus ultérieurs.
[9] Avis du Conseil de la Concurrence N°A/3/22, https://conseil-concurrence.ma/cc/wp-content/uploads/2022/09/Avis-A.3.22-du-Conseil-de-la-concurrence-version-FR.pdf