Ecrit par Imane Bouhrara |
Il y a des signaux qui ne trompent jamais. Parmi eux l’expression du choix des Marocains à travers les urnes lors du scrutin que le parti arrivé en tête ne perde pas de vu dans le processus de formation du prochain gouvernement et que la prochaine majorité n’omette pas dans la formulation de son programme quinquennal : opérer un changement immédiat, une aspiration restée en sursis depuis 2011, et répondre aux chantiers sociaux sans délai.
Le prochain gouvernement ne risque pas de chômer. C’est le moins qu’on puisse dire dans la conjoncture actuelle : un modèle de développement déjà essoufflé et malmené par la pandémie du Covid-19. Après plus d’une année et demie de la pandémie du Covid-19, les dysfonctionnements dont souffre le pays ont été exacerbés et le prochain exécutif devra opérer sur plusieurs fronts en urgence. Le dilemme est qu’il ne suffit plus de jouer aux pompiers ou colmater les brèches mais apporter des réponses structurelles en urgence.
Gare à décevoir l’électorat marocain
Il ne fait nul doute que le premier test pour la nouvelle majorité est le changement ayant motivé la volonté des électeurs de voter massivement ce 8 septembre. En effet, sa composition partisane (donc à quel niveau répond-elle aux choix exprimés par les urnes), son degré d’homogénéité et de cohérence (donc la garantie de son efficience), les profils qui y briguent des responsabilités (calculs politiciens ou réelle prise de conscience de faire valoir l’intérêt suprême du pays sur toute autre considération). Autant dire qu’avec un score confortable, le chef de gouvernement désigné Aziz Akhannouch, a les mains libres pour faire un bon choix.
C’est ce premier exercice de composition du gouvernement qui va, soit maintenir l’enthousiasme provoqué par ces élections, soit il fera pschitt !
En effet, il faut rompre avec une pratique frustrante : considérer le Marocain comme un majeur lorsqu’il est sollicité pour aller voter et une fois aux commandes, les partis le considèrent tel un mineur ne connaissant pas son propre intérêt. Il n’y a qu’à bien analyser la réaction de sanction des électeurs vis-à-vis du PJD. Inutile d’ajouter à la défiance des Marocains vis-à-vis de l’action politique, le sentiment de déception et de frustration.
Les partis politiques seraient dans ce cas perdant sur tous les tableaux : en plus d’échouer dans leur rôle de redynamiser l’action politique, d’assurer un meilleur encadrement de la population et d’améliorer l’attrait de l’action politique pour renouveler les élites, les partis verront la population revenir massivement aux espaces de mobilisation collective : les réseaux sociaux en plus du risque de vote sanction en 2026, pis d’un taux de participation en chute libre témoignant de la déception de l’électorat.
La Constitution, une promesse en sursis
Les dossiers urgents pour cette rentrée politique ne manquent pas et il restera au bon soin de l’exécutif de les hiérarchiser. Sauf que l’un d’eux attend depuis plus de 10 ans et s’il avait été mis en œuvre, nous n’en serions pas là aujourd’hui !
Il s’agit de la Constitution de 2011, le texte suprême de la nation qui plus est a été plébiscité par la population marocaine en juillet 2011. Un outil magnifique qui contient en son ADN les principales réponses aux attentes exprimées depuis le fameux printemps arabe mais dont les dispositions n’ont pas été toutes mises en œuvre. Particulièrement en matière des droits et libertés publiques des citoyens permettant de poursuivre la construction démocratique et le renforcement de la pratique citoyenne dans notre pays. Toute politique ne peut continuer à se soustraire aux exigences constitutionnelles, également en matière d’égalité et de parité.
D’autant plus que garantir ces droits figurent parmi les recommandations pour un nouveau modèle de développement, telles que présentées au Roi en mai dernier. Des recommandations qui posent la base du futur Pacte National de développement et sur lequel les partis politiques ont déjà démarré les réunions consultatives interrompues en raison de la préparation des élections.
Entre modèle de développement, promesses électorales et chantiers déjà enclenchés
Le prochain gouvernement devra travailler sur deux niveaux : concrétiser rapidement les promesses électorales qui lui ont permis une majorité confortable et amorçer le nouveau référentiel de développement qui lui s’étale sur au moins trois mandats.
A l’issue de la campagne électorale, des promesses très ambitieuses sont retenues dans l’esprit du Marocain, entre autres la création d’un million d’emplois de qualité, l’augmentation des salaires des enseignants en début de carrière à 7.500 DH mensuels nets, doubler le budget de la santé publique sur 5 ans, pour le RNI ou encore intégrer les enseignants contractuels dans la fonction publique, pour le cas de l’Istiqlal. Des promesses couteuses mais si elles ne sont pas tenues, elles mettent à mal deux chantiers sociaux d’une extrême urgence : un enseignement et une santé publics de qualité.
Sans oublier que c’est comme jeter un pavé dans la marre du dialogue social au point mort ; autre chantier avec lequel le gouvernement devra dealer.
Pour le cas de la couverture sociale, la majorité devra poursuivre le pilotage du chantier de l’élargissement et surtout trouver les sources de financement pour le pérenniser, dans les délais fixés dans le discours royal à savoir, la généralisation de l’Assurance Maladie Obligatoire (AMO) et des allocations familiales (2021-2022) et ensuite les autres couvertures sociales que sont la retraite et l’indemnité pour perte d’emploi (IPE).
Ce chantier à lui seul répond à l’exigence de réduction des disparités catégorielles et de la réalisation d’une justice sociale, deux recommandations figurant dans les travaux de la commission spéciale sur le modèle de développement. A condition de le réaliser dans les délais impartis.
Un modèle qui nécessitera de la majorité de continuer de travailler avec le reste des partis politiques pour élaborer un Pacte national de développement qui reprend les recommandations formulées par la CSMD notamment la nouvelle doctrine de l’Etat et la restructuration de l’économie, mais surtout la valorisation des ressources humaines (notamment sa jeunesse) et naturelles du pays.
La relance post-covid au stand-by
Être dans la nouvelle majorité n’est certainement pas une sinécure. En effet, la prochaine majorité hérite d’un tissu économique éprouvé par plus d’une année et demie de Covid, des branches locomotives comme le tourisme au bord de l’asphyxie, le sous-emploi et un niveau d’endettement historique…. Mais surtout un plan de relance en Stand-by.
En effet, il ne serait pas injuste de dire que ce plan doté de 120 milliards de DH et dont les contours ont été dévoilés en août 2020 et qui a été déclenché en 2021 est loin d’avoir atteint son rythme de croisière. Il s’agit particulièrement d’inciter le secteur bancaire à véritablement assister l’entrepreneuriat et les PME pour dépasser cette mauvaise passe mais aussi d’activer le Fonds Mohammed VI pour l’investissement pour « booster » le moral de la classe économique en berne, malgré tous les signaux de reprise.
Cela n’affranchit pas le gouvernement de mener en même temps les chantiers de restructuration de l’économie marocaine, telle que détaillée dans le rapport de la CSMD, de mettre sérieusement la commande publique au service de l’économie nationale, particulièrement les PME historiquement sanctionnées à défaut d’une loi sur les marchés publics qui leur soit favorable.
Mais à ce jour, le principal défi reste de choisir les profils qu’il faut et qui seraient capables de déplacer des montagnes !
Mais pour que la mayonnaise prenne, l’équipe au pouvoir a besoin d’un ingrédient qu’est la bonne gouvernance. Faute de quoi, on n’aboutirait jamais à une rationalisation et une efficience de la dépense publique. Le budget s’effriterait. La pression fiscale s’alourdirait. La médiocrité primerait sur la compétence. La corruption gangrènerait les différents pans de l’économie. L’intérêt individuel surpasserait l’intérêt collectif… Ce qui in fine aboutirait à une croissance insuffisante voire une économie qui suffoque au gré des aléas ô combien imprévisibles.