Trois affaires en matière de qualité sanitaire défrayent depuis peu la chronique.
- L’affaire de la viande importée du Brésil
- L’intoxication grave à la fraise de toute une famille de sept personnes dans la ville de Taroudant
- Les révélations scientifiques sur la présence de bactéries pathogènes dans une des viandes que consomment le plus les marocains : le poulet industriel.
Encore une fois, ce qui est en jeu, c’est la capacité de notre gouvernance institutionnelle de faire face à ces problématiques et le degré de transparence dans l’information communiquée au citoyen marocain.
L’article 4 de loi 28-07 relative à la sécurité sanitaire des produits alimentaires est explicite : « aucun produit primaire ou produit alimentaire ne peut être mis sur le marché national, importé ou exporté, s’il constitue un danger pour la vie ou la santé humaine ». Or dans ces trois cas que nous allons examiner, il semble bien qu’il y a des inquiétudes s’agissant de la vie ou de la santé humaine.
Cet article a été volontairement rédigé sous forme d’interrogations, de questions auxquelles devraient répondre les responsables de l’État. Pourquoi ? Parce qu’ils sont redevables auprès du Roi et du peuple marocain, et doivent s’expliquer. L’étymologie du terme responsable provient du latin, responsum, supin de respondere « répondre » : répondre de ses propres actions ou de celles des autres
- L’affaire de la viande importée du Brésil
Tout d’abord le cas de la viande brésilienne. Je ne reviendrai pas sur les détails qui ont été largement discutés dans la presse marocaine. Mais, je formule des interrogations que se posent de nombreux citoyens avisés.
- Lorsqu’on décortique le prix de cette viande, on constate qu’elle a été achetée à un prix défiant toute concurrence, augmenté de tous les frais d’approche jusqu’au port marocain. La viande atterrit chez le boucher avec un différentiel de prix substantiel. Autrement dit, entre le Brésil et notre assiette, des acteurs se sont « sucrés » comme il se doit. La question est la suivante : si le gouvernement a pris cette décision pour importer la viande la moins chère, afin d’éviter des ruptures d’approvisionnement, pendant ce Ramadan, pourquoi cette viande est-elle proposée chez le boucher à un prix équivalent à la viande du bœuf local ? L’objectif n’était-il pas de rendre accessible ce produit aux petites bourses dans un contexte général d’inflation et de malaise consistant ?
- Le gouvernement marocain a-t-il décidé d’importer sans s’entourer de l’avis de l’ONSSA, autorité compétente, qui aurait pu le prévenir des risques potentiels, s’agissant de la qualité sanitaire et de la probabilité que cet animal (qui n’est pas répertorié en tant que bœuf) puisse faire disparaitre la race locale en cas d’accouplement ou d’augmenter fortement la consanguinité ? Si la réponse est oui, le questionnement s’arrête là, sinon il se poursuit.
- Si l’ONSSA a été associé à la décision, pourquoi a-t-il donné le feu vert pour l’importation, avec autant de facilités, sachant que le contrôle animal est la force de frappe de l’ONSSA, et que les vétérinaires constituent un corps important à l’ONSSA ?
- L’ONSSA a-t-il accepté de faire passer cette viande pour du bœuf, alors que ce n’est pas du bœuf ? Pourquoi n’a-t-on pas prévenu le consommateur que c’est un bovin issu d’un croisement avec le zébu ?, c’est-à-dire contraindre le boucher à afficher « viande de zébu croisé du Brésil ». N’est-ce pas finalement une tromperie sur l’identité du produit du consommateur et une publicité mensongère, et qui relèvent de la loi (Loi n°13-83 relative à la répression des fraudes, titre premier, article premier ainsi que le code de la consommation, chapitre 3, obligation générale d’information, article 3, et l’article 21, chapitre premier des pratiques commerciales, publicité).
- Pour importer la viande de bœuf, il est nécessaire de disposer des autorisations d’importation. Ces autorisations parlaient explicitement de bœuf. Pourquoi a-t-on importé du zébu et induit en erreur le consommateur ?
- L’ONSSA s’est-il assuré que ce zébu importé ne porte pas de maladies graves, épidémies ou autre qui pourraient contaminer ou intoxiquer ?
- L’ONSSA et le ministère de l’agriculture savent-ils que la viande du Zebu (« gamouss » en dialecte) est difficilement comestible, ainsi que me le déclarait un connaisseur : « il fallait, aux occasions exceptionnelles où j’ai eu à la consommer avec mes camarades, que nous ajoutions de la graisse de mouton pour qu’elle gagne en comestibilité » ? Les responsables ont-ils des égards pour les marocains, leurs concitoyens, pour se permettre de leur délivrer une viande de cette qualité gustative « dégradée » ?
- L’ONSSA s’est-il rendu au Brésil, sur les lieux mêmes de la production, pour examiner ce qui va être importé ? En principe, dans d’autres pays, la FDA, (Food Drug Administration) par exemple, qui est l’équivalent de l’ONSSA aux USA, se déplace le cas échéant pour s’assurer de la qualité sanitaire des produits, des équipements, de l’état du transport, surtout lorsque l’enjeu sanitaire est crucial. Elle possède même des laboratoires dans certains pays. On ne demande pas tant à l’ONSSA, mais a-t-il envoyé ses équipes pour garantir la salubrité de la viande importée ?
- L’ONSSA et le ministère de l’agriculture ne sont-ils pas au courant du scandale brésilien Carne Fraca ou « chair faible » qui, en 2017, a mis à jour tout un vaste réseau de commercialisation de viande avariée compromettant toute une série de hauts fonctionnaires pour corruption, y compris les inspecteurs sanitaires et politiciens au plus haut niveau ? des fonctionnaires qui empochaient des pots de vin pour écouler de la viande avariée dans le Brésil et à l’extérieur, en émettant des certifications sanitaires sans avoir effectué des inspections et en fermant les yeux sur des substances cancérigènes pour masquer la détérioration des produits. Deux anciens ministres de l’agriculture ont été arrêtés sous la présidence de Dilma Roussef. Le Président français Macron avait déclaré en 2018, devant des agriculteurs, qu’il fallait se méfier des viandes provenant du Mercosur (marché commun des pays de l’Amérique du Sud). Des journaux comme The Gardian, le Monde du 5 juillet 2019, Figaro, l’agence Reuters, le site presse portugais Exame anos 55 (https://exame.com/brasil/temer-anuncia-forca-tarefa-para-investigar-alvos-da-carne-fraca/) ont rapporté et analysé ces évènements.
- Pourquoi cette affaire, qui va éclabousser toute l’Europe, et qui concerne également de la volaille contaminée à la salmonelle (plusieurs lots de morceaux de poules exportés vers l’UE ainsi que 1400 tonnes au moins de volaille contaminée vers le Royaume Uni), n’a-t-elle pas éveillée les méfiances de l’ONSSA et poussé à redoubler de précautions ?
- Le boycott des européens a-t-il poussé le Maroc à choisir la solution des prix bas, dans la mesure où le Brésil est dans une situation depuis 2017, où il est contraint de casser les prix afin d’écouler ses produits refusés ailleurs ? Tous ces faits sont rapportés et analysés dans l’excellent ouvrage récent d’Ingrid Kragl, « manger du faux pour de vrai, les scandales de la fraude alimentaire » aux éditions Robert Laffont.
- L’ONSSA a-t-il pris connaissance des mesures adoptées par d’autres pays importateurs dans le monde ? Pourquoi n’a-t-il pas évalué les risques pour le consommateur marocain à la lumière de l’évaluation des risques menée par ces pays, dont les structures de contrôle de la qualité sont plus avancées que les nôtres ?
- L’organisme de contrôle de la qualité sanitaire possède-t-il une veille presse qui pourrait l’informer en continu des problèmes de qualité sanitaire rapportés dans la presse internationale (la presse de tous les pays) et ce afin de guider de la meilleure manière sa prise de décision ?
- L’affaire de l’intoxication des fraises à Taroudant
S’agissant de la fraise, cette affaire a fait le « buzz » à travers les réseaux sociaux. Toute une famille hospitalisée dans un état préoccupant. L’intoxication serait chimique, provoquée par une forte dose de pesticides utilisées, dépassant les limites résiduelles. On ignore également la nature du pesticide utilisé, et s’il est autorisé par la réglementation marocaine.
Des questions interpellent plus particulièrement l’organisme de contrôle, notre police sanitaire.
- Peut-on nous garantir que les grosses fraises (toujours plus grosses) que nous consommons dans les villes marocaines, et qui proviennent majoritairement du Loukkos, sont indemnes de résidus de pesticides dangereux ?
- Contrôle-t-on ces fraises ? A-t-on les laboratoires équipés capables de relever les résidus chimiques ? Peut-on nous livrer le nombre de prélèvements que sont effectués annuellement sur les fruits et légumes déterminant les doses de pesticides utilisés dans le traitement des récoltes ? Les doses de résidus sur les fraises du Loukkos, que nous savons traitées, dépassent-elles les limites maximales autorisées ? Les pesticides utilisés dans le traitement de récolte sont-ils autorisés à l’échelle internationale ?
- Si l’équipement de l’ONSSA ne le permet pas, pourquoi n’a-t-on pas envoyé les analyses de résidus chimiques dans des laboratoires étrangers qui possèdent des technologies performantes ?
- Si malgré la puissance de contrôle des productions animales, on n’est pas parvenu à stopper l’importation de viande brésilienne ou du moins corriger de nombreuses irrégularités soulevées précédemment, comment peut-on être assuré lorsqu’on sait que le contrôle des productions végétales est le maillon faible ?
- Peut-t-on rassurer le consommateur marocains en lui affirmant que les légumes et fruits marocains refoulés sur certains marchés étrangers (comme ces dernières années, le poivron, la clémentine, la tomate) ne sont pas déversés sur le marché national à destination du consommateur marocain ?
- Qui vend les pesticides ? ces commerçants ont-ils le niveau d’instruction nécessaire pour conseiller et accompagner (« coacher ») le fellah marocain, souvent illettré, qui « surdose » les traitements, par ignorance et incapacité de lire et de comprendre les modes d’emploi ?
- La santé du citoyen marocain est-elle moins, ou aussi importante que celle du citoyen américain, canadien ou européen ?
- Une dernière question : en supposant que le contrôle de la qualité sanitaire possède la capacité de contrôler les résidus de pesticides dans les fraises, est-il capable de bloquer la production de certaines fermes de fraise du Loukkos, en cas de dangers en matière de résidus de pesticides ? Autrement dit, a-t-il les marges de manœuvre suffisantes pour protéger la santé du citoyen et s’affranchir du pouvoir des lobbys des grands producteurs ?
- L’affaire de la contamination du poulet industriel
S’agissant maintenant du poulet industriel, la presse rapporte les éléments d’une étude scientifique menée par des chercheurs du laboratoire de biochimie, environnement et agroalimentaire de la Faculté des Sciences et Techniques de Mohammedia, en partenariat avec le Laboratoire d’analyses médicales Charles Nicolle. Après collecte et analyse d’échantillons de viande de volaille recueillis dans des magasins de détail de différentes villes marocaines, entre mai 2021 et juin 2022, les résultats de laboratoire ont conclu que la moitié des échantillons étaient contaminés par une bactérie appelée Escherichia coli (E. coli). La positivité des résultats est impressionnante : 28,5% à 75%, en fonction du type de viande et de la ville d’origine de l’échantillon.
Leur présence, normale, car présents dans le tube digestif, témoigne d’une défaillance du système de contrôle. Au sein de ces E. coli, existent des souches pathogènes dont la plus dangereuse est E. coli STEC. Mais l’étude ne dit pas quels types de souches de l’E.Coli ont été trouvés.
L’étude a conclu également à une résistance accrue aux traitements antibiotiques de première ligne. Voici le lien pour prendre connaissance de ce travail scientifique
Source: https://downloads.hindawi.com/journals/ijfs/2023/7862168.pdf
Il faut savoir que la consommation de viandes de volailles représente 52% de toutes les viandes consommées au Maroc et qu’elle a connu un développement phénoménal. A titre d’anecdote, il était honteux dans certaines régions, il y a encore une trentaine d’années, de consommer du poulet industriel. Aujourd’hui, ces régions, à l’instar du Gharb, ne consomment que ce type de viande. Le poulet « roumi » s’est largement popularisé, en raison notamment de son coût accessible.
Un certain nombre de questions sont posées une fois de plus à notre organisme de contrôle sanitaire :
- Si les habitudes culinaires marocaines (préparation parfaite, hygiène, utilisation d’épices, citron et surtout le mode de cuisson) permettent de diminuer le risque de plusieurs dangers microbiologiques, on doit pouvoir savoir à quelle température meurt l’E. Coli Stec. La cuisson marocaine atteint-elle cette température qui détruit cette souche dangereuse de la bactérie ? Tous les marocains cuisent-ils de la même manière ?
- En matière de cuisson, la restauration hors domicile est-elle aussi sûr que le foyer domestique ? Nous pensons aux rôtisseries, aux saucisses de volaille qui cuisent imparfaitement, etc.
- N’y a-t-il pas un risque de toxi-infections alimentaires collectives pour les touristes, ce qui compromettrait sérieusement tous les efforts du Maroc en matière de promotion du tourisme ?
- Les étrangers qui vivent dans notre pays et leurs manières de préparer et de cuire ne sont pas la même que pour nous autres marocains ? N’y a-t-il pas un risque pour eux ?
- Ce type de contamination n’est-il pas également dangereux pour les personnes sensibles à l’instar des jeunes personnes, des personnes âgées, des personnes souffrant de maladies chroniques et des femmes enceintes ?
- S’agissant des traitements dans la campagne, qui a le droit de vendre des médicaments ? Dans tous les pays du monde il y a une séparation des métiers. L’ordonnateur ne peut être le comptable. Un médecin ne peut être un pharmacien. Un vétérinaire ne peut être un pharmacien. Or, au Maroc, le vétérinaire peut vendre des produits de la pharmacie : texte de loi adopté à la fin des années 90, justifié à l’époque par le peu de pharmacies dans le monde rural. Ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Il y a environ 18 000 pharmacies à l’échelle nationale. Qui nous garantit que le vétérinaire qui vend des médicaments n’exagère pas les doses ? ne signale pas les imperfections des médicaments, puisque c’est lui qui les commercialise ? On ne peut dans une société démocratique permettre à des corps de métiers de devenir puissants outre mesure. Il faut permettre à ce qu’il y ait des procédures de contrôle réciproque : par exemple entre le médecin et le vétérinaire
- Pourquoi le médecin de santé publique ne travaille-t-il plus, comme de par le passé, en partenariat rapproché avec le vétérinaire ? Puisque c’est lui seul qui peut diagnostiquer une intoxication alimentaire de type bactériologique ou chimique.
- Enseignements à méditer
A l’issue de cette réflexion, voici finalement un certain nombre de questions légitimes que se pose le citoyen marocain avisé. Le gouvernement et ses structures de contrôle de la qualité doivent informer le consommateur et répondre à ses inquiétudes. L’obligation du droit à l’information est écrite noir sur blanc dans la loi n° 31-13, Dahir n° 1-18-15 du 22 février 2018, relatif au droit d’accès à l’information, s’agissant des produits présentant un risque sanitaire pour le consommateur.
L’organisme national de contrôle sanitaire possède normalement un service de presse et doit publier une mise au point dans la presse et dans les médias. Et le gouvernement doit lui permettre de le faire. Les services concernés doivent assumer leurs responsabilités auprès des citoyens et consommateurs, devant lesquels ils sont redevables.
Davantage encore que les réponses à ces questions, c’est le fait que les préoccupations que nous exprimons devraient servir à une réflexion d’ensemble visant à « recadrer » la politique publique sanitaire de notre pays. Il faudrait pour cela que nos responsables fassent preuve d’humilité (qualité indispensable pour un décideur de l’administration) et ne considèrent pas les interpellations comme des leçons effrontées, provocantes et impétueuses qu’il faudrait ignorer et ne pas accepter avec philosophie. Le citoyen est le miroir de l’administration. Sans un miroir, on ne peut parfaire sa gouvernance. Si ce miroir n’existait pas, il faudrait l’inventer. Il faudrait aussi abandonner l’esprit de chapelle propre à certains corps impliqués dans le contrôle sanitaire, et accepter de réfléchir et de travailler main dans la main. La santé du citoyen marocain n’a pas de prix et doit passer avant toute autre considération partisane. Et ce, pour prévenir une intoxication collective de grande nature, aux effets spectaculaires. Aujourd’hui, malheureusement, tous les signes avant-coureurs pointent leur nez à l’horizon. Gouverner, c’est savoir anticiper
L’ONSSA est la police sanitaire. Lorsque les vols et le banditisme augmentent de manière importante, la police nationale doit s’expliquer. Pareil pour la police sanitaire.
On pourra rétorquer que la communication sur les risques alimentaires devrait se faire par des structures compétentes en la matière, et ce pour éviter les frayeurs/angoisses alimentaires du consommateur. La réponse est que personne ne peut communiquer à la place de l’ONSSA. C’est lui qui a mené les analyses. C’est donc lui qui dispose de l’information véritable. Aux USA, la FDA (Food Drug Administration), l’équivalent de l’ONSSA, informe régulièrement le citoyen américain. Et celui-ci peut la contacter, via des moyens efficaces et surtout fonctionnels. Pareil pour la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes en France.
Nous avons espoir que les responsables (responsables, et non coupables) ne se cantonnent pas dans un silence, qu’ils nous ont habitué, de par le passé, et qu’ils décident enfin de s’expliquer, en toute transparence, devant le citoyen marocain. Et ce, pour ne pas laisser le terrain vide aux réseaux sociaux, où tout et n’importe quoi est dit, ce qui, bien évidemment, pourrait créer une psychose injustifiée parmi les consommateurs. La nature a horreur du vide.
Je terminerai enfin par cette vérité : la démocratie est la possibilité donnée au citoyen, à travers la constitution marocaine de 2011, d’exprimer son droit à la liberté d’expression, et par conséquent d’interpeller les responsables en charge de ses intérêts. Et notre pays est un régime démocratique et constitutionnel voulu par leurs Majesté, feu le Roi Hassan II et le Souverain actuel Mohamed VI.
Par Rachid Hamimaz
Socio économiste
IAV Hassan II
1 comment
Bonjour
Bonne analyse bien argumentée avec des informations fîables. Toutefois, c est un domaine ou c est toute la chaîne alimentaire qui est concernée et les responsables à tous les niveaux doivent s impliquer en tant que professionnels.
Enfin, ce qui fait défaut c est le sérieux et le professionnalisme.