Au-delà des réactions très rapides et efficaces des autorités et des professionnels de santé, la pandémie Covid-19 est l’occasion de faire un diagnostic de notre système de santé. Prolonger le confinement de trois semaines est un aveu de plus que le Maroc a les mains liées en matière de santé.
Prendre des mesures aussi drastiques et précoces par le Maroc pour contrer les effets de la pandémie Covid-19 a été considéré comme une prouesse aux yeux des nationaux et des internationaux. A ce titre, il est utile de rappeler que dès le premier décès, le Maroc a décidé de fermer ses frontières, ses écoles, adopter le confinement… bref autant de mesures pour éviter la propagation de la pandémie. Toutefois au-delà même des réactions très rapides et efficaces des autorités et des professionnels de santé, la pandémie Covid-19 est l’occasion de faire un diagnostic de notre système de santé. Prolonger le confinement de trois semaines est un aveu de plus que le Maroc a les mains liées en matière de santé.
Sans vouloir verser le bébé avec l’eau du bain, il est également important de noter que ces mesures ont un coût économique fortement excessif. Devant le Parlement le 19 mai, le ministre de l’Economie et des Finances a annoncé que les deux mois de confinement devraient coûter à l’économie marocaine 6 points de croissance de son PIB pour l’année 2020. En matière des finances publiques, le ministre a relevé que le ralentissement économique, suite logique du confinement, devrait entraîner une baisse des recettes du Trésor d’environ 500 millions de dirhams (MDH) par jour durant la période de confinement sanitaire.
Nombreux sont ceux qui lèveront la voix pour dire que faute de mesures de confinement, le Maroc perdra des vies humaines et sauver d’autres lui coûtera les yeux de la tête. Nous en convenons, mais il ne faut pas non plus omettre que la détérioration des pans entiers de l’économie suite au confinement n’est pas exempte d’impact sur le volet social. Des faillites qui monteraient en flèche entraînant ipso facto une hausse du nombre de chômeurs avec tout ce que cela entraînerait dans son sillage notamment sur le plan social ( dépression, suicide, agressions…). Autrement dit, le coût social de la crise économique pourrait être fatal autant que celui de la pandémie. Le nombre de chômeurs potentiels s’ajoutant au stock existant entraînera une bombe sociale qui peut exploser à tout moment. Le Maroc est donc pris en tenaille entre un système de santé fragile et un ralentissement économique menaçant.
Le contexte actuel de la pandémie Covid-19 met en évidence que le Maroc doit revoir de fond en comble sa politique économique. Les secteurs relégués au second rang tels que la santé et l’éducation doivent avoir tout le mérite dans un monde en perpétuelle évolution. En découle, alors, un point important, celui de s’interroger si le financement actuel de la santé est en mesure de répondre à des menaces inconnues à ce jour, comment et jusqu’à quel degré ?
Au début de la pandémie, gouvernement et citoyens broyaient du noir à cause de la capacité litière jugée insuffisante pour faire face à un risque de contamination plus large des citoyens. On parlait de 1.640 lits de réanimation face à une population de l’ordre de 35,6 millions d’habitants. Au fil des ans, les équipes au pouvoir n’ont pas accordé l’importance qu’il faut à un secteur aussi vital non seulement en matière d’investissement dans l’hôpital public mais également dans la R& D.
Des chiffres saisissants !!
Outre la part de 5,2% du PIB allouée à la santé, l’analyse des budgets affectés au fonctionnement et à l’investissement sur la période 2012-2020, montre que les investissements n’augmentent pas de manière proportionnelle aux besoins de la population qui évoluent d’une manière exponentielle.
Les dépenses relatives à l’investissement dans le secteur de la santé sont passées de 3,13 Mds de DH en 2012 à 7,35 Mds de DH en 2020.
Au cours des trois dernières années, lesdites dépenses se sont respectivement établies au cours des années 2018, 2019 et 2020 à 4,65 Mds de DH, 6,75 Mds de DH et 7,35 Mds de DH. Les budgets relatifs au fonctionnement ont été de l’ordre de 12,24 Mds de DH, 13 Mds de DH et 15 Mds de DH respectivement au cours des trois dernières années.
Du côté des ressources humaines, on note un recrutement de 2000 postes en 2012 et 4000 en 2020. Au cours des trois dernières années, le nombre des postes créés est resté quasiment stable, soit 4.000. Toutefois, il est à noter que l’effectif annoncé correspond dans plusieurs cas au remplacement des départs qu’a connus le secteur pour différentes raisons (départ à la retraite, migration vers le privé…).
Ces chiffres que ce soient les emplois ou les dépenses afférentes au fonctionnement ou à l’investissement restent insuffisants face non seulement à la hausse démographique constatée chaque année mais également à la prolifération des épidémies qui s’est accentuée au cours des dernières années.
Résultat des courses : des niveaux de santé par habitant assez disparates, se traduisant par des écarts importants dans l’offre de soins.
L’Allemagne, l’exemple à suivre…
Sans vouloir se comparer avec l’Allemagne, un pays fortement industrialisé qui a damé le pion à des pays très développés, il est tout de même judicieux de s’y intéresser. Avec la hausse de la contamination, plusieurs systèmes de santé succombent à leurs failles. Seuls ceux ayant investi suffisamment et efficacement en matière de santé arrivent à tenir le coup et à paraître plus résilients face au Covid-19. Face à cette pandémie très brutale, l’Allemagne a su et pu sortir son épingle du jeu.
En effet, bien que ce pays soit fortement touché par la pandémie, son taux de létalité (4.3%) reste très faible, en comparaison avec l’Italie ou ce taux s’élève à 13.8%, l’Espagne 10.1% ou, encore, la France où il s’établit à 14.8%. Cette situation a donné du fil à retordre aux experts.
D’aucuns avancent l’argument de l’adoption, par l’Allemagne, d’une politique de dépistage systémique (500 000 tests par semaine), d’autres estiment que ce taux trouve son origine dans la propagation de la maladie auprès d’une population relativement jeune et en bonne santé. « Cependant, l’une des réalités les plus frappantes et qui peut fortement expliquer ce faible taux réside dans la résilience du système de santé allemand et l’efficacité des investissements en matière de santé » explique Meriem Oudmane de Policy Center dans un article dédié au renforcement de la résilience des systèmes de santé en Afrique avec un focus sur l’Allemagne. Ce pays est parmi ceux qui allouent une part considérable de leurs budgets au financement de la santé. En 2018, 11.2% du PIB étaient consacrés aux dépenses de santé, soit la part la plus élevée de la Zone Euro avec la France.
Une part substantielle des dépenses de santé est allouée à la rémunération du personnel. Le pays compte autour de 4.3 médecins pour 1000 habitants. Cette densité reste tout de même élevée, en comparaison avec la France et la Belgique où on recense environ 3 médecins pour 1000 habitants. S’agissant du nombre d’infirmiers, l’Allemagne se positionne, également, en tête de liste avec une densité de l’ordre de 12.9 pour 1000 résidents nous apprend la même source. Le pays est également doté d’une grande capacité litière (8 lits d’hôpitaux pour 1000 Habitants) et dispose de 28000 lits de soins intensifs avec assistance respiratoire. Avec cette capacité, l’Allemagne est particulièrement bien équipée pour faire face à la pandémie, comparée à ses voisins européens.
Une chose est sûre : le Maroc à l’instar d’autres pays doit tirer comme enseignement de cette crise qu’il est impératif de renforcer la résilience du système de la santé. L’investissement, l’efficacité des dépenses de la santé, la qualité de l’offre… doivent désormais être les principaux piliers de la politique sanitaire.
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