Lors du précédent entretien, l’économiste Omar Bakkou nous a présenté un bref aperçu sur l’organigramme de l’Etat : principales composantes de cette entité et missions fondamentales de chaque composante.
Dans le présent entretien, nous allons interroger O. Bakkou sur les propositions prônées par la Commission Spéciale sur le Modèle de Développement (CSMD) pour la réforme de l’appareil étatique.
Maintenant que le rôle des différentes composantes de l’Etat a été clarifié, quelles sont alors les réformes qui doivent être mises en oeuvre pour que l’Etat puisse jouer son rôle ?
Effectivement, le rapport de la CSMD a fait le constat que les différentes composantes de l’Etat ne jouent pas correctement leur rôle.
Cette situation s’est traduite par un faible rendement de l’action publique d’une manière générale.
Cette déficience est due à l’absence d’une approche managériale au niveau de la gestion de l’Etat .
Cette absence concerne les aspects suivants : absence d’une vision, dysfonctionnements organisationnels, problèmes de pilotage, faible culture d’évaluation et déficit en matière de gestion des ressources humaines.
Absence d’une vision ?
Oui effectivement le rapport de la CSMD a fait le constat de l’absence d’une vision stratégique globale et à long terme, partagée et assumée par tous les acteurs de la gouvernance publique.
Quid des dysfonctionnements organisationnels ?
En matière d’organisation de l’appareil de l’Etat, le rapport de la CSMD a fait le constat de l’existence de plusieurs dysfonctionnements, notamment :
-Le manque de clarté au niveau de la répartition des rôles entre les différents organes de l’Etat .
-La multiplication d’institutions et d’agences aux prérogatives proches.
-La complexité des procédures de gestion interne au niveau des différents organes de l’Etat dans le sens où elles ne mettent pas l’accent sur les missions transversales et les finalités.
-L’impertinence du statut juridique de certaines entreprises publiques à caractère marchand.
Quels sont les problèmes de pilotage soulevés par la CSMD ?
En matière de pilotage de l’action de l’Etat, le rapport de la CSMD a fait le constat de deux principaux dysfonctionnements.
Le premier concerne la coordination horizontale de l’action des différents ministères et des institutions sous leur contrôle.
Concernant le second, il concerne la cohérence verticale de l’action du gouvernement.
En effet, les politiques publiques n’ont pas une vocation territoriale effective.
Cela se traduit souvent par la conception de solutions au niveau central, qui ne tiennent pas suffisamment compte des spécificités régionales et locales.
Cette situation est due à la lenteur du processus de décentralisation et de déconcentration.
Cette lenteur prive par ailleurs le maillon territorial des capacités humaines, techniques et financières nécessaires à une mise en œuvre plus efficace et proche des citoyens.
Quid de la faiblesse de la culture d’évaluation ?
En matière d’évaluation, le rapport de la CSMD fait le constat de la faible culture d’évaluation des politiques publiques notamment par le parlement.
Cette faiblesse ne permet pas d’opérer les ajustements nécessaires et d’améliorer, à travers le retour d’expérience, l’efficacité de ces politiques.
Et quels sont les dysfonctionnements relevés en matière de gestion des ressources humaines ?
En matière de gestion des ressources humaines, le rapport de la CSMD a fait le constat de la faible qualité des ressources humaines.
Cette faible qualité consiste dans le manque de crédibilité du leadership au niveau du gouvernement et également dans la faiblesse des compétences au niveau de l’administration.
Cette faiblesse des compétences est aggravée par la mauvaise gestion des ressources humaines ( faible encouragement de la performance, de la prise d’initiative et de la production spontanée d’idées et de projets).
Vous avez présenté ci-dessus les raisons objectives qui empêchent l’Etat de jouer correctement son rôle. Maintenant quelles sont les propositions pour dépasser cette situation ?
Les propositions émises par le rapport de la CSMD pour réformer l’appareil de l’Etat peuvent être déduites naturellement des raisons précitées.
Cela signifie que ces propositions consistent dans l’adoption d’une approche managériale au niveau de la gestion de l’Etat.
Cette approche consisterait à : définir une vision pour l’action de l’Etat, pallier les dysfonctionnements organisationnels, résoudre les problèmes de pilotage, adopter une culture d’évaluation et mener un nouveau mode de gestion des ressources humaines.
-Quelle est alors la vision ?
La vision est l’essence même du rapport sur le Nouveau Modèle de Développement.
Ce rapport a permis en effet de définir le cap .
Ce cap est le suivant : quel est ce Maroc qu’on souhaite avoir d’ici 2035 et quelle est la voie qu’il faut emprunter pour réaliser cet objectif ?
Tous ces éléments ont bien entendu été présentés lors de nos précédents entretiens.
-Quid des propositions pour pallier les dysfonctionnements organisationnels ?
Les dysfonctionnements organisationnels de l’appareil de l’Etat résident principalement dans la coordination horizontale de l’action des différents ministères et des institutions sous leur contrôle.
Pour pallier ce problème, le rapport de la CSMD a émis les principales propositions suivantes :
-Le changement de la culture politique dans le sens de la mise en cohérence des coalitions au pouvoir .
Ces coalitions doivent être fondées sur la convergence des programmes politiques de ces coalitions ;
-Le réaménagement de l’architecture du gouvernement dans le sens d’une meilleure lisibilité et efficacité.
Cet objectif doit être réalisé à travers notamment l’organisation du gouvernement en grands pôles ministériels ;
-Le regroupement d’agences et d’institutions proches au sein d’une même organisation ;
– L’accélération du processus de régionalisation avancée.
Cet objectif doit être réalisé à travers la mise en œuvre des schémas directeurs de déconcentration , la simplification du cadre contractuel État-Région, la mise en place auprès des Walis d’une administration ad-hoc chargée des affaires régionales et le renforcement du rôle des Walis en matière de coordination des services extérieurs de l’Etat ;
-Le renforcement de mécanismes d’appui à la coordination et au suivi de l’action du gouvernement.
Parallèlement à ces propositions, le rapport sur le NMD a également émis deux autres propositions concernant les entreprises publiques.
La première concerne la transformation du statut juridique des établissements et entreprises à caractère marchand en société anonyme, et ce, afin d’avoir une autonomie stratégique, financière et opérationnelle.
Quant à la seconde proposition, elle concerne la réforme de la politique actionnariale de l’Etat afin d’optimiser la gestion de son patrimoine.
-Quelles sont les propositions pour améliorer le mode de pilotage de l’action de l’Etat ?
Pour l’amélioration des modes de pilotage de l’action de l’Etat, le rapport sur le NMD a émis les propositions suivantes :
-Le renforcement du leadership pour assurer la mobilisation des énergies et compétences ;
-L’institutionnalisation au niveau du Chef de Gouvernement d’une unité d’appui à la mise en œuvre des politiques publiques et réformes .
Cette unité permettrait d’assurer un suivi étroit de l’avancement des chantiers et de dénouer les blocages éventuels, et ce, en étroite coordination avec les départements ;
-La mise en place d’un mécanisme de coordination spéciale pour la mise en œuvre de la politique nationale de transformation économique.
Ce mécanisme consiste dans des task-forces sectorielles (en particulier dans les filières qui se situent à l’intersection de plusieurs secteurs), composées des représentants des sphères publiques et privées mandatées au plus haut niveau .
Ces task-forces auront pour mission de lever les contraintes qui entravent l’essor des secteurs à fort potentiel ;
-L’élargissement des marges d’action des acteurs territoriaux .
En effet, de réceptacle final de politiques conçues au niveau central, les territoires doivent devenir le lieu d’élaboration et de portage des politiques publiques.
-Quelles sont les propositions du NMD en matière d’évaluation des politiques publiques ?
Le rapport sur le NMD prône la multiplication par le parlement des missions d’évaluation des politiques publiques et leur diffusion systématique auprès de l’opinion publique .
Cela permettra d’alimenter le débat sur les choix de politique publique.
-Quid des propositions de la CSMD pour réparer les insuffisances « d’ordre humain » du secteur public ?
Pour réformer les insuffisances d’ordre humain du secteur public, le rapport de la CSMD prône les principales mesures suivantes :
-Le renforcement de l’attractivité de la haute fonction publique ;
-Le renouvellement régulier de la haute fonction publique nationale et locale ;
-La mise en place de mécanismes appropriés d’identification et de sélection de compétences ;
-La promotion au sein de l’administration de la culture de leadership plutôt que celle de conformité, et ce, afin d’améliorer la motivation et d’encourager la prise d’initiatives et la production d’idées et de projets.
Lire également : Les principales propositions de réforme de notre modèle institutionnel avec Omar Bakkou