Ecrit par Imane Bouhrara |
Le démarrage effectif du RSU en 2023 avec les aides financières ciblées (20 Mds de DH en 2023), signe un autre démarrage, celui de la décompensation progressive. Quid de la classe moyenne qui devra dès lors payer au tarif réel les produits compensés et subventionnés par l’Etat ? On peut souffler, la compensation est dotée d’un budget de 26 Mds de DH dans le PLF de 2023, plus tard, on verra bien de quoi demain sera fait.
La réforme de la compensation a été de tout temps un sujet qui faisait trembler les politiques, combien même tous étaient d’accord que ce système est peu viable pour plusieurs raisons. Bien des rétropédalages ont été opérés à la dernière minute par différents exécutifs sur la décompensation du sucre, du butane…
Aujourd’hui, l’actuel gouvernement semble décidé à aller jusqu’au bout dans ce choix opéré par le Maroc surtout que la réforme de la compensation est une composante du financement du chantier de la protection sociale enclenché par le Maroc.
Un chantier qui sera marqué par un basculement des ramédistes vers l’AMO (14 Mds de DH pour la généralisation de l’AMO) avant fin 2023 et le démarrage effectif du RSU en 2023 suivi des allocations familiales la même année (20 Mds de DH), ouvrant ainsi deux fronts budgétivores pour les finances de l’Etat. Sans oublier dans un dernier temps que l’Etat devra également mobiliser 19 Mds de DH pour la retraite et 1 Md de DH pour l’indemnité perte d’emploi (IPE).
Pour mobiliser à terme une enveloppe annuelle de 51 Mds de DH, l’un des leviers majeurs du financement de ce chantier gigantesque est la réforme de la compensation. Une condition sine qua non pour la poursuite de ce chantier avec la mise en place du RSU et du déploiement des allocations familiales au profit de 7 millions d’enfants en âge de scolarisation et 3 millions de ménages n’ayant pas d’enfants en âge de scolarisation.
Interrogé par nos soins sur l’implication de la réforme de la compensation sur la classe moyenne au Maroc, lors d’un point de presse organisé le 25 octobre à Rabat sur le PLF 2023, Fouzi Lekjaâ a été catégorique, le démarrage du RSU et des allocations familiales donnera lieu au démarrage d’une décompensation progressive ! Il est encore tôt de dire pour quels produits et à quel rythme.
« Le débat sur la réforme de la compensation nous a pris dix ans. Il y a toujours eu un consensus sur le fait que la subvention globale a un effet inverse dans le sens où celui qui a un plus grand pouvoir d’achat profite le plus de la compensation, alors que les faibles revenus consomment moins et donc bénéficient moins. Pour plus d’efficacité, le Maroc a fait le choix d’aller vers l’aide directe avec des transferts financiers mensuels ciblés », explique le ministre du Budget.
Il rappelle d’ailleurs que le PLF 2023 prévoit 20 Mds de DH de transferts directs aux familles vulnérables conditionnés par 7 millions d’enfants en âge de scolarisation et de 3 millions de familles n’ayant pas d’enfants ou pas d’enfants scolarisés.
« C’est cette réforme globale et profonde de la compensation qui commence à prendre effet dans le PLF 2023. C’est un choix dans lequel s’engage le gouvernement : la décompensation progressive. La mise en place du RSU met à profit une base de données qui permettra à chaque fois que le gouvernement veut intervenir sur un secteur ou un, de cibler les bénéficiaires et d’éviter ainsi les déperditions », assure Fouzi Lekjaâ.
On va trinquer !
Un Etat social sans classe moyenne ? Il faut croire que cette catégorie va encore une fois se retrouver à la marge dans un contexte qui montre clairement que les reins financiers des Marocains sont épuisés.
En effet, que ce soit le pouvoir d’achat érodé et le moral en berne des ménages, selon les données du HCP, que ce soit l’augmentation des impayés et autres défaillances soulevés par BAM, plaident en faveur du risque de paupérisation de la classe moyenne ou plutôt des classes moyennes aussi bien des effets conjoncturels du Covid-19 et de la guerre en Ukraine, que structurels inhérents aux choix économiques passés du Maroc.
D’ailleurs, le HCP a bien souligné que quelque 3,2 millions de Marocains ont basculé vers la pauvreté et la vulnérabilité. En termes de lutte contre la pauvreté on serait même revenu au même niveau que 2014, soit 7 ans de perdus !
Dans un climat d’incertitudes au niveau mondial, d’inflation galopante, de flambée des prix et d’une menace de sécheresse, que prévoit le gouvernement pour justement prémunir la classe moyenne lorsqu’il sera au chevet des familles vulnérables ?
Il faut chercher la réponse sur un tout autre registre sur comment le gouvernement œuvre à améliorer les revenus tout en améliorant la qualité des services publics.
En effet, lors de ce point de presse, Fouzi Lekjaâ va quelque peu rappeler la philosophie du gouvernement lorsqu’il a entamé le dialogue social.
« La méthodologie du gouvernement est de procéder d’une manière sectorielle à réformer pour assurer une meilleure qualité du service public et par la même occasion améliorer les revenus des travailleurs du secteur », explique Fouzi Lekjaâ qui est revenu sur les principales réalisations à ce jour.
Ainsi 9,2 Mds de DH sont mobilisés dans le cadre du dialogue social, soit 2 Mds de DH concernant l’IR, alors que l’amélioration des revenus des médecins, les enseignements supérieurs… concentrent 6,788 Mds de DH.
« Dans tout ce qui a été convenu et selon les priorités du dialogue social, il n’a pas été question d’une augmentation des salaires. D’ailleurs le gouvernement opère toujours selon la méthodologie, à savoir qu’on ne négocie pas les augmentations des salaires mais la réforme globale du secteur y compris l’amélioration des revenus. L’exemple de l’enseignement supérieur, pour réformer et améliorer le rendement de l’université marocaine et la révision du statut des enseignants chercheurs est une composante de cet accord », insiste Lakjaâ.
Idem pour la santé et les autres secteurs sociaux. Entendez-bien lorsque la réforme de ces secteurs particuliers visent à soulager le budget des ménages plombés par les frais de scolarisation et de soins de santé chez le privé. Quoi que des réformes on en a vu passer !
« Au total, 26% des fonctionnaires bénéficient de ces mesures. Et dans les semaines à venir, lorsque le secteur de l’éducation nationale sera inclus, soient 273.000 personnes, le total des bénéficiaires passera à plus de 75% des fonctionnaires. Il restera encore les ingénieurs 11.420 personnes, les administrateurs 31.000 personnes, les rédacteurs techniques 24.000 personnes et bien sûr le secteur de la fonction militaire », conclut Lekjaâ.
On notera bien que dans cette configuration, les salariés du privé manquent à l’appel, hormis les smigards bien évidemment car 2 Mds de DH c’est juste très peu.
D’ailleurs dans le PLF 2023, les mesures concernant l’IR ne sont pas légion quand on pense particulièrement à la classe moyenne. On propose de relever le taux forfaitaire de déduction pour frais inhérents à la fonction ou à l’emploi de 20% à 35% pour les personnes dont le revenu brut annuel imposable est inférieur ou égal à 78.000 dirhams.
Autre mesure contenu dans le PLF 2023 celle de la prorogation du délai jusqu’au 31 décembre 2026, du délai de l’exonération de l’IR au titre du salaire mensuel brut plafonné à 10.000 dirhams versé par les entreprises créées durant la période allant du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2022, dans la limite de 10 salariés.
Autant dire, circulez, il n’y a rien à voir. En résumé, le choix de décompensation progressive semble irréversible mais pas avant 2024. En effet, le PLF 2023 prévoit 26 milliards de DH de budget de la compensation, donc encore une année de répit avant que les choses sérieuses commencent.